Résurrection (Roman). León Tolstoi

Résurrection (Roman) - León Tolstoi


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      «Interrogée par le magistrat instructeur en qualité de prévenue, la fille galante surnommée Lubka a déclaré que, pendant que le marchand Smielkov se trouvait dans la maison de tolérance où, suivant son expression, elle travaillait, elle avait été envoyée par le susdit marchand Smielkov dans la chambre qu’il occupait à l’Hôtel de Mauritanie pour y prendre de l’argent, et que, après avoir ouvert la valise du marchand avec la clé qu’il lui avait donnée, elle y avait pris 40 roubles, comme il le lui avait ordonné. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas pris d’autre argent, ce dont pourraient témoigner Simon Kartymkine et Euphémie Botchkov, en présence desquels elle avait ouvert et refermé la valise.

      «En ce qui concerne l’empoisonnement de Smielkov, la fille Lubka a déclaré que, étant revenue une seconde fois dans la chambre du marchand Smielkov, elle avait en effet versé, dans un verre de cognac que celui-ci allait boire, une poudre que lui avait donnée Simon Kartymkine, mais qu’elle croyait que cette poudre était simplement un soporifique, et qu’elle l’avait versée pour que le marchand s’endormît et la laissât plus vite s’en aller. Elle a ajouté qu’elle n’avait point pris d’argent, et que c’était Smielkov lui-même qui lui avait donné la bague, après l’avoir d’abord battue, et pour l’empêcher de s’en aller.

      «Interrogés par le magistrat instructeur en qualité de prévenus, Euphémie Botchkov et Simon Kartymkine ont déclaré ce qui suit:

      «Euphémie Botchkov a déclaré qu’elle ne savait absolument rien de la disparition de l’argent, qu’elle n’était pas entrée dans la chambre du marchand, et que, seule, la Lubka y était entrée. Elle a affirmé que, si une somme d’argent avait été prise chez le marchand, elle avait dû être prise par la Lubka, lorsque celle-ci était venue dans la chambre avec la clé de la valise. (À cet endroit de la lecture de l’acte d’accusation, la Maslova sursauta et, entr’ouvrant la bouche comme pour pousser un cri, se retourna vers la Botchkova.) Interrogée sur la provenance des 1.800 roubles déposés par elle à la Banque, elle a déclaré que cet argent avait été gagné, au cours des douze années passées, par elle et par Simon, avec qui elle était sur le point de se marier.

      «Simon Kartymkine, interrogé, a d’abord avoué que, de complicité avec la Botchkova et à l’instigation de la Maslova, à qui le marchand avait donné la clé de sa valise, il avait pris une grosse somme d’argent, qu’on avait partagée entre la Maslova, la Botchkova et lui; il a aussi avoué qu’il avait donné à la Maslova une poudre pour endormir le marchand. Mais, dans son second interrogatoire, il a nié toute participation au vol de l’argent comme à la remise de la poudre, rejetant toute la faute sur la Maslova. Interrogé sur l’argent placé en banque par la Botchkova, il a répondu, lui aussi, que cet argent avait été gagné par eux en commun pendant douze ans de service, et qu’il était le produit des pourboires à eux donnés par les locataires.

      «L’autopsie du corps du marchand Smielkov, pratiquée conformément à la loi, à révélé la présence dans les intestins d’une certaine quantité de poison…»

      Suivaient, dans l’acte d’accusation, le récit des confrontations, les dépositions des témoins, etc. Et l’acte se terminait ainsi:

      «En conséquence de quoi Simon Kartymkine, paysan, âgé de trente-quatre ans; Euphémie Ivanovna Botchkov, bourgeoise, âgée de quarante-trois ans, et Catherine Mikaïlovna Maslov, âgée de vingt-sept ans, sont accusés d’avoir, le 16 octobre 188…, dérobé en commun au marchand Smielkov une somme de 2.500 roubles, et d’avoir ensuite, afin de cacher les traces de leur vol, attenté délibérément à la vie du susdit Smielkov en lui faisant avaler du poison, d’où est résultée sa mort.

      «Ces délits sont prévus par l’article 1455 du Code Pénal: en conséquence de quoi Simon Kartymkine, paysan, et Euphémie Botchkov et Catherine Maslov, bourgeoises, sont déférés au jugement du tribunal du district, siégeant en cour d’assises avec la collaboration des jurés.»

      Ayant terminé sa lecture, le greffier rangea les feuilles de l’acte qu’il venait de lire, s’assit et lissa de ses deux mains ses longs cheveux noirs. Toute l’assistance poussa un soupir de soulagement; et chacun eut l’agréable impression que l’enquête était désormais ouverte, que tout allait aussitôt s’éclaircir, et que la justice allait être satisfaite. Seul Nekhludov n’éprouva point ce sentiment: il continuait à songer avec épouvante au crime qu’avait pu commettre cette Maslova, qu’il avait connue pleine d’innocence dix ans auparavant.

      VII

      Quand la lecture de l’acte d’accusation fut terminée, le président, après avoir pris l’avis de ses assesseurs, se tourna vers Kartymkine avec une expression qui signifiait: «À présent, nous allons tout savoir de la façon la plus certaine, jusqu’aux moindres détails.»

      — Simon Kartymkine! — fit-il en se penchant à gauche.

      Simon Kartymkine se leva, releva les manches de son manteau et s’avança de tout son corps sans cesser d’agiter les lèvres.

      — Vous êtes accusé d’avoir, le 16 octobre 188…, de connivence avec Euphémie Botchkov et Catherine Maslov. Dérobé dans la valise du marchand Smielkov une somme d’argent lui appartenant, puis de vous être procuré de l’arsenic, et d’avoir engagé Catherine Maslov à le verser dans la boisson du marchand Smielkov, ce qu’elle a fait, et qui a eu pour conséquence la mort de Smielkov.

      — Vous reconnaissez-vous coupable? — conclut le président en se penchant à droite.

      — C’est impossible, parce que notre métier…

      — Vous direz cela plus tard. Vous reconnaissez-vous coupable?

      — C’est impossible… J’ai seulement…

      — Vous nous direz cela plus tard! Vous reconnaissez-vous coupable! — répéta le président d’une voix calme, mais sévère.

      — C’est impossible, parce que…

      De nouveau l’huissier se tourna brusquement vers Simon Kartymkine et l’arrêta d’un «chut!» tragique.

      Le président, avec une expression qui signifiait que cette partie de l’affaire était terminée, changea son coude de place, et s’adressant à Euphémie Botchkov:

      — Euphémie Botchkov, vous êtes accusée d’avoir, le 16 octobre 188…, de connivence avec Simon Kartymkine et Catherine Maslov, dérobé dans la valise du marchand Smielkov une somme d’argent et une bague, puis, ayant partagé entre vous trois le produit du vol, d’avoir fait avaler au marchand Smielkov de l’arsenic, dont il est mort. Vous reconnaissez-vous coupable?

      — Je ne suis coupable de rien! — répondit la prévenue d’une voix dure et hardie. — Je ne suis même pas entrée dans la chambre… et puisque cette ordure y est entrée, c’est elle, bien sûr, qui a tout fait.

      — Vous nous direz cela plus tard, — fît de nouveau le président de sa voix tranquille et ferme. — Ainsi vous ne vous reconnaissez pas coupable?

      — Je n’ai pas pris d’argent, je n’ai pas donné de poison, je ne suis pas entrée dans la chambre! Si j’y étais entrée, j’aurais jeté dehors cette salope!

      — Vous ne vous reconnaissez pas coupable?

      — Pas du tout!

      — Fort bien!

      — Catherine Maslov, — dit ensuite le président s’adressant à l’autre prévenue, — vous êtes accusée d’avoir, étant venue dans une chambre de l’Hôtel de Mauritanie avec la clé de la valise du marchand Smielkov, dérobé dans cette valise de l’argent et une bague…

      Le président s’interrompit dans sa phrase pour écouter ce que lui disait à l’oreille le juge de gauche, qui lui faisait remarquer qu’une des pièces à conviction


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