Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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surtout, qu'on entendait bien autrement que l'évêque d'Autun, lorsqu'en pleine tribune il le signalait comme le chef de l'agiotage qui perdait, disait-il, les finances de la France plus que tout le reste… Dans cette lutte qui devint presqu'une dispute personnelle, l'abbé Maury fut souvent injurieux pour l'évêque d'Autun. Ce fut particulièrement en défendant tous les anciens droits du clergé et de la noblesse que l'abbé Maury fit autant de bruit. Il combattait pour un parti qui expirait, mais qui était encore nombreux, et regardait comme une tradition inviolable toutes les erreurs de l'ignorance, toutes les prétentions de l'avarice. M. de Talleyrand, quoiqu'il appartînt à cette caste qu'on attaquait, avait reçu la lumière hâtée par la civilisation; et plus éclairé que ses pairs, il s'était rangé du côté des opprimés qui réclamaient leurs droits… Il devait avoir raison.

      Un jour que je raisonnais sur cette question avec le cardinal, il me dit:

      – Est-ce que vous croyez aussi que la noblesse qui se sépara de ses frères au Jeu de Paume était de bonne foi tout entière?

      – Pourquoi non?.. Sans doute, je le crois.

      – Eh bien! vous vous trompez! cette bonne foi ne fut pas générale, et dans la plupart des grands seigneurs qui firent le premier noyau de l'Assemblée Constituante, le plus grand nombre voulait abaisser la puissance royale pour reconquérir cette autre puissance que Richelieu avait su détruire. Croyez-moi, un Montmorency se rappellera toujours qu'un Montmorency épousa la veuve de Louis-le-Gros6, et cette pensée ne lui fera pas venir celle de se faire Sans-Culotte. Le despotisme aristocratique était là, tout prêt à saisir les rênes aussitôt que la main du Roi les aurait laissées échapper… Les insensés ne voyaient pas qu'à côté d'eux était un tigre qui, dans sa gueule béante, devait engloutir et noblesse et royauté…

      Ce n'est pas ainsi que pensaient plusieurs hommes qui, tout en ayant la possibilité de voir, ne voulaient rien apprendre du vocabulaire qui contenait le nom de leurs nouveaux devoirs envers le souverain; c'est ainsi qu'était M. le maréchal de Mailly. La figure de cet homme m'apparaît, en ce moment, lorsque je parle d'honneur et de gloire, et elle est demeurée silencieuse lorsque je parlais des victimes de Robespierre… Pourquoi cela?.. C'est qu'un être aussi honorable n'est jamais victime… Il ne meurt pas… et son nom lui survit pour proclamer le héros, l'homme de la gloire et non l'homme du supplice7.

      Aussitôt après que M. de Talleyrand eut prêté le serment civique et religieux, le maréchal de Mailly ne le voulut plus voir.

      M. de Talleyrand, au reste, ne put qu'en être flatté; car le blâme d'un parti est l'éloge du parti qu'il a suivi, et comme il ne s'est jamais repenti de ce qu'il a fait, il a dû être heureux du blâme de M. de Mailly8.

      M. de Talleyrand demeura constamment dans le parti de la Révolution, et le jour de la fameuse fédération il dit la messe au Champ-de-Mars… Le clergé non-constitutionnel fut doublement contre lui… L'abbé Maury l'attaqua avec d'autant plus de colère que, Mirabeau étant mort, il n'avait plus de quoi occuper assez directement sa bilieuse colère… Un jour il attaqua M. de Talleyrand, comme chef de l'agiotage qui avait un monopole impudemment établi dans Paris… M. de Talleyrand, qui voulait bien s'occuper de la chose publique, mais en repos pour lui-même, comprit cependant qu'un peu de tolérance dans le sens inverse serait une bonne chose… Il s'éleva contre l'émission des deux milliards d'assignats qu'on voulait créer et mettre en émission pour éteindre la dette publique; mais le cardinal ne lui donna pas la joie de pouvoir se vanter d'une mesure sage et modérée… Il fit de grandes railleries sur ces deux milliards:

      – À quoi bon! disait-il… puisque la dette est de sept milliards?..

      M. de Talleyrand, incapable de lutter contre un tel homme avec sa voix douce et sa figure toute féminine, se contentait de lui répondre de ces mots piquants dont au reste, quinze ans plus tard, le cardinal n'avait pas encore perdu le souvenir…

      Ce fut alors que M. de Talleyrand fut nommé exécuteur testamentaire de Mirabeau… Déjà membre du département de Paris, ce qui le rapprochait beaucoup de Manuel et d'une foule d'autres noms qui appartenaient à la Révolution la plus intime de cette époque, M. de Talleyrand fut dès lors classé par ses anciens pairs dans la partie mauvaise de la Révolution… Il n'en était rien… M. de Talleyrand, comme bien d'autres, avait été entraîné le premier jour dans une route où le pied glissait aisément et où le retour, comme le temps d'arrêt, est également impossible; mais il avait un moyen, il l'employa: ce fut de quitter la France; il sollicita de faire partie de l'ambassade de Londres; il eut, dit-on, une mission particulière relative, ainsi qu'on le crut, à l'établissement des deux Chambres. M. de Chauvelin était notre ambassadeur à Londres9. Pitt était alors au ministère.

      M. de Talleyrand avait fui la France, parce qu'on s'y méfiait de son civisme. – En Angleterre, il fut en butte aux soupçons de la plus intime malveillance, parce qu'on le crut jacobin. Ribbes, de la Chambre des Communes, le présenta comme attaché au parti d'Orléans… Ainsi M. de Talleyrand n'était ni royaliste pour les royalistes, ni républicain pour les hommes nouveaux, ni enfin quelque chose… En France, il fut compromis par l'affaire d'Achille Viard; et cité par Chabot, qui ne l'aimait pas, il somma Roland, alors au ministère de l'Intérieur, de le justifier sur ce rapport avec lui… Roland répondit, mais de manière à ne montrer aucune sympathie pour M. de Talleyrand. Aucun parti ne l'adoptait franchement. C'est alors qu'il alla en Amérique. Contraint de quitter l'Angleterre, effrayé des désordres qui se commettaient en France, il chercha un lieu où le retentissement de la tourmente révolutionnaire n'eût pas pénétré. On était alors en 1794: il se rendit aux États-Unis; c'est de là qu'il sollicita sa rentrée en France. Les jours de sang étaient passés, et remplacés par des jours, sinon plus glorieux, au moins plus paisibles. M. de Talleyrand fit demander sa radiation par quelques femmes dont il était fort aimé, et surtout madame de Staël, et il fut rappelé. Cela devait être sous un gouvernement comme celui du Directoire. Il y a plus: il fut ministre, et eut le portefeuille des Affaires étrangères.

      Je viens de donner presqu'une biographie de M. de Talleyrand; c'est que pour arriver à lui à cette époque, si différente de celle où il avait passé sa vie, il fallait le montrer, non pas ce qu'il était (car qui peut dire ce qu'il fut, ce qu'il est, et ce qu'il sera!), mais son attitude dans le monde, sous le Directoire…

      Cette attitude fut ce qu'elle eût été sous le cardinal de Fleury, si M. de Talleyrand fût né quarante ans plus tôt: celle de l'homme le plus spirituel de la société. Il connaissait le Directoire, le méprisait, et ne croyant plus (s'il est vrai qu'il y ait jamais cru) à cette belle liberté régénératrice qui avait assuré ses premiers pas dans la carrière politique révolutionnaire, il se conduisit en conséquence de cette nouvelle croyance. Dans la façon tout énigmatique dont il se pose, M. de Talleyrand donne peu de prise à ceux qui sont chargés, par goût ou par toute autre cause, d'écrire sur lui; il est lui-même un être à part… il étonne, intéresse parce qu'il amuse, mais n'attache jamais. Peu susceptible d'une sérieuse occupation, riant de tout avec cette amère ironie qui grimace en voulant sourire, M. de Talleyrand revint en France parce que l'Amérique l'ennuyait, et que dans le reste de l'Europe on ne voulait pas de lui: en Angleterre, M. Pitt le disait jacobin; en Allemagne, on ne l'aimait pas mieux: l'Italie n'était plus son fait. Quant à l'Espagne, un évêque excommunié aurait été rôti comme un marron en 1795, et ce cas était celui de M. de Talleyrand à l'époque dont je parle… Le Pape l'avait excommunié en 179110, à peu près à la mort de Mirabeau.

      On le rappela donc; et, en arrivant en France, il trouva partout de l'intérêt pour lui, bien qu'il ne fût pas aimé. C'est qu'il y avait des femmes qui se mêlaient de ses affaires…; il les avait si bien servies dans sa jeunesse, qu'elles lui devaient leur secours…

      Le général Lamothe, alors colonel et fort bien vu au Directoire (ce qui ne fut pas plus tard), lui servit d'introducteur le jour où il se présenta au Luxembourg. Je


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Adélaïde de Savoie, fille d'Humbert aux blanches mains: ce sont les États du royaume qui ordonnèrent ce mariage, pour donner un appui au jeune roi, dit le président des États.

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On a beaucoup parlé du maréchal de Mailly, mais pas assez, selon moi. Je veux réparer cette négligence; son nom, d'ailleurs, n'est pas déplacé dans un écrit relatif à M. de Talleyrand: mademoiselle de Périgord, cousine germaine de M. de Talleyrand, était madame de Mailly120.

Tout ce que l'histoire du temps et les Mémoires nous rapportent de la cour de Louis XIV, et de l'époque de la chevalerie, se retrouve dans le maréchal de Mailly.

Né en 1708, il avait passé sa jeunesse avec les hommes les plus distingués de la cour de Louis XIV. Il fit ses premières armes en Allemagne, sous le maréchal de Berwick et des officiers supérieurs choisis et élevés en grade par Louis XIV lui-même. Il reste encore beaucoup de personnes qui ont pu juger de la différence des manières dans les hommes de la Régence et ceux de Louis XVI dans la société, et elles peuvent dire qu'en effet la différence était grande. Le cardinal de Luynes, le maréchal de Croï, le duc de Richelieu, ont été connus par nos pères, et nous savons par eux comme la vie était douce et facile avec de telles personnes. Comme les relations étaient gracieuses! l'existence était du bonheur alors.

M. de Mailly avait toutes les idées du temps de Louis XIV; il voulait que tout le monde fût heureux, mais il avait horreur du mélange des classes. C'est ainsi que lorsqu'il alla gouverner le Roussillon (où sa mémoire est encore adorée), il ne voulut pas favoriser les académies; mais, en revanche, il donna des chaires d'enseignement dans les Universités. Dans le même temps, il fondait des hôpitaux, il ouvrait le port de Port-Vendres pour le peuple du Roussillon; et il établissait des manufactures, des foires, en demandant chaque année qu'on soulageât le peuple de ses taxes.

M. de Mailly avait un haut respect pour la noblesse; il aimait à raconter qu'il descendait d'Anselme de Mailly, tuteur des comtes de Flandre, qui commandait les troupes de la reine Richilde en 1070. Marié trois fois, il ne voulut jamais s'allier qu'à de grandes familles; sa dernière femme était mademoiselle de Narbonne-Pelet121. Il voulut connaître à fond l'histoire de la famille de Narbonne, et fut charmé d'apprendre qu'elle était excellente, et digne vraiment de ceux qui avaient été souverains de la ville de Narbonne par la grâce de Dieu.

Il fut très-content de la réponse que fit M. de Narbonne au Roi, lorsque celui-ci lui demanda, assez ridiculement, au reste:

– M. de Narbonne, êtes-vous Pelet?

– Oui, Sire…

– Et comment?

– Comme Votre Majesté est Capet.

Lorsqu'en 1770, le clergé fit des remontrances au Roi sur les écrits122 philosophiques, le maréchal de Mailly dit à un homme de ma connaissance: «La France aura une révolution plus sanglante que celle de l'Angleterre et de l'Allemagne. Mais sachez, monsieur, ajouta-t-il, que si jamais l'esprit du temps nous conduit à la nécessité de défendre le trône, nous mourrons tous avant le Roi!..»

L'époque prévue approchait à grands pas; et lorsque le premier prince du sang eut donné l'exemple à la noblesse, et que toute cette noblesse, soit d'action, soit de parole, eut laissé attaquer son principe vital, que la métaphysique du temps eut bien divisé sans classer, quand la jalousie et l'esprit d'égalité, amenés tous deux par le despotisme, eut renversé, confondu cette suite de dignités qui formaient et constituaient une grande monarchie, quand le maréchal de Mailly fut obligé d'ôter de son hôtel les armoiries si belles de sa famille:

Hogne qui vonra.

Alors il dit:

«On a peut-être mal fait, à Versailles, de trop peser sur cette classe qui triomphe aujourd'hui. Le cœur des Français est fier, sensible et peu endurant; on l'a humilié, il l'a senti, et il est demeuré vindicatif et ulcéré. Mais il y a dans la nation française quelque chose de grand que les insurgés ne savent pas faire (gouverner). Le tiers-état a renversé un heureux régime, mais celui qu'il lui a donné le renversera, car les Français sont actifs et industrieux; et, dans dix ans, vous verrez que la monarchie se relèvera plus forte et plus glorieuse.»

M. de Mailly ne s'est trompé que de deux ans dans ses calculs.

M. de Mailly ne voulut jamais émigrer; il était contre cette mesure, qui, en effet, laissa le Roi sans défenseurs… l'émigration en Angleterre surtout lui semblait une infamie. Ce fut le mot dont il se servit.

– Quand la Reine était puissante, disait le maréchal, l'Angleterre punissait le lord Gordon qui répandait des libelles contre elle. La Reine est malheureuse: eh bien! madame de Lamothe, fouettée et marquée par la main du bourreau, vend publiquement à Londres d'infâmes écrits sur la reine de France! Elle est accueillie à Londres! elle y est bien vue!.. Elle!.. madame de Lamothe!

M. de Mailly avait raison.

Louis XVI avait pour le maréchal de Mailly une profonde estime et une vénération qu'il est rare qu'un souverain ressente pour un sujet. Aussi ce fut lui qui fut chargé de la défense des côtes du Nord, lorsque le Roi fut averti que les Anglais, profitant des troubles du royaume, devaient faire une descente en France… Le quartier-général du maréchal était à Abbeville; il commandait depuis Montreuil jusqu'à Avranches.

Le maréchal de Mailly avait une grande estime pour une haute et belle naissance. Lorsqu'il fut nommé maréchal, il choisit pour ses aides de camp des hommes remarquables de ce côté: le premier était M. de Torelli, des comtes de Guastalla, maison ancienne, alliée à la France, au duc de Wurtemberg et aux princes d'Este; le second était M. d'Aubusson de la Feuillade, ambassadeur à Florence et à Naples sous l'Empire, et chambellan de Napoléon: un de ses aïeux avait été grand-maître de Rhodes; le troisième était le chevalier de Saint-Simon, descendant des anciens comtes de Vermandois.

Peu de temps après, le Roi partit pour Montmédy. Ce fut alors que la noblesse donna le coup mortel à sa position dans l'État; tout l'état-major de l'armée passa à l'Assemblée Nationale, les Liancourt, Montmorency, Choiseul, Praslin, Sillery, Castellane, de Luynes, Biron, Latour-Maubourg, Lusignan, Crillon, Crussol, Rochegude, Batz, Lafayette, Montesquiou, Menou, Beauharnais, Dillon, Lameth, etc.

Tous ces noms vinrent à la barre de l'Assemblée! La noblesse de France à la barre de l'Assemblée!.. dès lors, il n'y avait plus de monarchie.

Le maréchal de Mailly se conduisit alors comme on devait présumer qu'il le ferait. Lorsqu'il vit toute la cour de France à la barre, lorsqu'un événement aussi inouï, aussi scandaleux, eut prouvé que la royauté était morte en France, le maréchal de Mailly fit voir qu'il y avait encore un représentant des anciens serviteurs de saint Louis. Il envoya au Roi sa démission de toutes ses charges, et lui apprit que, dans sa monarchie expirante, il y avait encore quelques palpitations d'honneur, et que les vieilles maximes étaient moins versatiles que les emplois militaires n'étaient amovibles.

Quand je vois cette figure du maréchal, âgé alors de 83 ans, représentant à lui seul la monarchie française de saint Louis, de François Ier et de Henri IV, je suis d'abord attendrie, et puis mon cœur est rempli d'un sentiment profond d'exaltation et de généreuse admiration!

Il ne restait plus à l'ancienne France qu'un petit nombre de familles fidèles, et la monarchie constitutionnelle elle-même n'avait plus que des lambeaux déchirés par les factions; les haines avaient consommé ce que la confiante ignorance avait commencé. On appelait la seconde monarchie la monarchie des Feuillants, comme en Angleterre ils avaient donné un surnom ridicule à leur Parlement avant la mort de Charles Ier.

C'est ainsi qu'on arriva au 10 août. À minuit, le 9, le tocsin sonna; Mandat, qui voulait défendre le Roi, fut massacré à la Commune et son corps jeté à l'eau. Le maréchal de Mailly, apprenant que le Roi était sans défense, accourut aux Tuileries, se mit au milieu de sept à huit cents gentilshommes venus dans le même dessein que lui, et jura avec eux de mourir en défendant la famille royale. Le Roi passa la revue, et confia la défense des Tuileries au maréchal. Ce fut alors que la Reine, prenant un pistolet à la ceinture de Backmann, le donna au Roi en lui disant: Monsieur, voilà le moment de vous montrer. M. de Mailly salua le Roi de son épée, et lui dit: Sire, nous voulons relever le trône ou mourir à vos côtés!..

Le Roi se couvre, tire son épée, et jure de demeurer avec eux. Mais Rœderer entraîne le Roi à l'Assemblée; tout est fini, il n'y a plus de roi de France.

Quelques nobles suivent le Roi; d'autres se retirent… ce qui reste demande les ordres de M. de Mailly. Que pouvait-il faire? les canonniers étaient passés aux fédérés!.. il ne lui reste plus que la gendarmerie, commandée par Raimond.

– Vivent les grenadiers français! s'écrie le vieillard. – Vive mon général! répondent les grenadiers.

M. d'Affri, commandant des Suisses, avait répondu à la Reine que des Suisses ne pouvaient tirer sur des Français, et s'était retiré. Backmann et Zimmermann l'avaient remplacé… On connaît le détail de cette horrible journée. Le Roi envoya l'ordre aux Suisses de ne plus tirer, par M. d'Hervilly; l'ordre ne put parvenir au milieu du carnage et des malheurs qui commençaient ainsi la République, dont c'était le premier jour!..

Le maréchal, perdu dans cette foule qui combattait pour ainsi dire corps à corps, vit tuer à ses côtés M. de Pomard, gentilhomme qui était son aide de camp. Le noble vieillard, l'épée à la main, combattait toujours néanmoins comme un jeune homme plein d'ardeur; un homme lève sur lui un sabre rouge de sang et allait le tuer, le maréchal pose avec calme la main sur le bras de cet homme et se nomme; à l'aspect de cette figure vénérable, de ces cheveux blancs, de cet homme revêtu du cordon bleu et de ces insignes dont l'éclat imposait encore, le fédéré laisse tomber son sabre; puis, ordonnant tout bas au maréchal de se taire et de le suivre, il le maltraite, et, tout en l'entraînant, lui arrache son cordon bleu qui est toujours un honneur, mais aussi un signe de proscription… C'est ainsi que le maréchal fut conduit à son hôtel… le nom de cet homme est demeuré inconnu… alors une action généreuse était un crime!..

Deux jours après, le maréchal fut dénoncé et conduit à sa section. Ses nobles réponses, ses cheveux blancs et ses quatre-vingt-trois ans firent impression sur les monstres de 93, qui alors n'étaient encore qu'au berceau!.. Il échappa, et se retira avec la maréchale, toute jeune alors, dans le département du Pas-de-Calais. Là, André du Mont, altéré du sang des royalistes en 93, comme il le fut en 94 de celui des républicains, le fit jeter en prison; la maréchale ne le quitta pas… Joseph Lebon, qui succéda à André du Mont, fut assez cannibale pour envoyer à l'échafaud un homme aussi vénérable par son âge que respectable par sa chevaleresque loyauté. En approchant de l'échafaud, sa tête se releva plus fière que jamais elle ne l'avait été devant l'ennemi.

– Vive le Roi! s'écria-t-il… je le dis comme mes ancêtres!

Sa malheureuse femme était enceinte en 1792, et mit au monde, cette même année123, le fils124 qui devait transmettre à cette époque le beau nom de son père.

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Ceci est un peu paradoxal; mais c'est tout ce que je puis trouver de mieux pour excuser M. de Talleyrand.

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On verra dans la suite que cette mission fut aussi singulièrement donnée que remplie. Je vais rapporter tout à l'heure une lettre de M. de Chauvelin qui la dément.

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C'est un fait qui est peu connu et positif que celui de cette excommunication.