La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac


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une sorte d'effusion religieuse. Cette hymne servit de prière du soir à ces trois chrétiens agenouillés.

      – Qu'y a-t-il? demanda la Bougival étonnée.

      – Enfin! mon parrain croit en Dieu, répondit Ursule.

      – Ah! ma foi, tant mieux, il ne lui manquait que ça pour être parfait, s'écria la vieille Bressane en se signant avec une naïveté sérieuse.

      – Cher docteur, dit le bon prêtre, vous aurez compris bientôt les grandeurs de la religion et la nécessité de ses pratiques; vous trouverez sa philosophie, dans ce qu'elle a d'humain, bien plus élevée que celle des esprits les plus audacieux.

      Le curé, qui manifestait une joie presque enfantine, convint alors de catéchiser ce vieillard en conférant avec lui deux fois par semaine. Ainsi, la conversion attribuée à Ursule et à un esprit de calcul sordide fut spontanée. Le curé, qui s'était abstenu pendant quatorze années de toucher aux plaies de ce cœur tout en les déplorant, avait été sollicité comme on va quérir le chirurgien en se sentant blessé. Depuis cette scène, tous les soirs, les prières prononcées par Ursule avaient été faites en commun. De moment en moment le vieillard avait senti la paix succédant en lui-même aux agitations. En ayant, comme il le disait, Dieu pour éditeur responsable des choses inexplicables, son esprit était à l'aise. Sa chère enfant lui répondait qu'il se voyait bien à ceci qu'il avançait dans le royaume de Dieu. Pendant la messe, il venait de lire les prières en y appliquant son entendement, car il s'était élevé dans une première conférence à la divine idée de la communion entre tous les fidèles. Ce vieux néophyte avait compris le symbole éternel attaché à cette nourriture, et que la Foi rend nécessaire quand il a été pénétré dans son sens intime profond, radieux. S'il avait paru pressé de revenir au logis, c'était pour remercier sa chère petite filleule de l'avoir fait entrer en religion, selon la belle expression du temps passé. Aussi la tenait-il sur ses genoux dans son salon, et la baisait-il saintement au front au moment où, salissant de leurs craintes ignobles une si sainte influence, ses héritiers collatéraux prodiguaient à Ursule les outrages les plus grossiers. L'empressement du bonhomme à rentrer chez lui, son prétendu dédain pour ses proches, ses mordantes réponses au sortir de l'église, étaient naturellement attribués par chacun des héritiers à la haine qu'Ursule lui inspirait contre eux.

      Pendant que la filleule jouait à son parrain des variations sur la Dernière Pensée de Weber, il se tramait dans la salle à manger de la maison Minoret-Levrault un honnête complot qui devait avoir pour résultat d'amener sur la scène un des principaux personnages de ce drame. Le déjeuner, bruyant comme tous les déjeuners de province, et animé par d'excellents vins qui arrivent à Nemours par le canal, soit de la Bourgogne, soit de la Touraine, dura plus de deux heures. Zélie avait fait venir du coquillage, du poisson de mer et quelques raretés gastronomiques, afin de fêter le retour de Désiré. La salle à manger, au milieu de laquelle la table ronde offrait un spectacle réjouissant, avait l'air d'une salle d'auberge. Satisfaite de la grandeur de ses communs, Zélie s'était bâti un pavillon entre sa vaste cour et son jardin cultivé en légumes, plein d'arbres fruitiers. Tout, chez elle, était seulement propre et solide. L'exemple de Levrault-Levrault avait été terrible pour le pays. Aussi défendit-elle à son maître architecte de la jeter dans de pareilles sottises. Cette salle était donc tendue d'un papier verni, garnie de chaises en noyer, de buffets en noyer, ornée d'un poêle en faïence, d'un cartel et d'un baromètre. Si la vaisselle était en porcelaine blanche commune, la table brillait par le linge et par une argenterie abondante. Une fois le café servi par Zélie, qui allait et venait comme un grain de plomb dans une bouteille de vin de Champagne, car elle se contentait d'une cuisinière; quand Désiré, le futur avocat, eut été mis au fait du grand événement de la matinée et de ses conséquences, Zélie ferma la porte, et la parole fut donnée au notaire Dionis. Par le silence qui se fit, et par les regards que chaque héritier attacha sur cette face authentique, il était facile de reconnaître l'empire que ces hommes exercent sur les familles.

      – Mes chers enfants, dit-il, votre oncle, étant né en 1746, a ses quatre-vingt-trois ans aujourd'hui; or, les vieillards sont sujets à des folies, et cette petite…

      – Vipère, s'écria madame Massin.

      – Misérable! dit Zélie.

      – Ne l'appelons que par son nom, reprit Dionis.

      – Eh! bien, c'est une voleuse, dit madame Crémière.

      – Une jolie voleuse, répliqua Désiré Minoret.

      – Cette petite Ursule, reprit Dionis, lui tient au cœur. Je n'ai pas attendu, dans l'intérêt de vous tous, qui êtes mes clients, à ce matin pour prendre des renseignements, et voici ce que je sais sur cette jeune…

      – Spoliatrice, s'écria le receveur.

      – Captatrice de succession! dit le greffier.

      – Chut! mes amis, dit le notaire, ou je prends mon chapeau, je vous laisse, et bonsoir.

      – Allons, papa, s'écria Minoret en lui versant un petit verre de rhum, prenez?.. il est de Rome même. Et allez, il y a cent sous de guides.

      – Ursule est, il est vrai, la fille légitime de Joseph Mirouët; mais son père est le fils naturel de Valentin Mirouët, beau-père de votre oncle. Ursule est donc la nièce naturelle du docteur Denis Minoret. Comme nièce naturelle, le testament que ferait le docteur en sa faveur serait peut-être attaquable; et s'il lui laisse ainsi sa fortune, vous intenteriez à Ursule un procès assez mauvais pour vous, car on peut soutenir qu'il n'existe aucun lien de parenté entre Ursule et le docteur; mais ce procès effraierait certes une jeune fille sans défense et donnerait lieu à quelque transaction.

      – La rigueur de la loi est si grande sur les droits des enfants naturels, dit le licencié de fraîche date jaloux de montrer son savoir, qu'aux termes d'un arrêt de la cour de cassation du 7 juillet 1817, l'enfant naturel ne peut rien réclamer de son aïeul naturel, pas même des aliments. Ainsi vous voyez qu'on a étendu la parenté de l'enfant naturel. La loi poursuit l'enfant naturel jusque dans sa descendance légitime, car elle suppose que les libéralités faites aux petits-enfants s'adressent au fils naturel par interposition de personne. Ceci résulte des articles 757, 908 et 911 du Code civil rapprochés. Aussi la Cour Royale de Paris, le 26 décembre de l'année dernière, a-t-elle réduit un legs fait à l'enfant légitime du fils naturel par l'aïeul qui, certes, en tant qu'aïeul, était aussi étranger pour le petit-fils naturel que le docteur, en tant qu'on peut l'être relativement à Ursule.

      – Tout cela, dit Goupil, ne me paraît concerner que la question des libéralités faites par les aïeux à la descendance naturelle; il ne s'agit pas du tout des oncles, qui ne me paraissent avoir aucun lien de parenté avec les enfants légitimes de leurs beaux-frères naturels. Ursule est une étrangère pour le docteur Minoret. Je me souviens d'un arrêt de la Cour Royale de Colmar, rendu en 1825 pendant que j'achevais mon Droit, et par lequel on a déclaré que, l'enfant naturel une fois décédé, sa descendance ne pouvait plus être l'objet d'une interposition. Or, le père d'Ursule est mort.

      L'argumentation de Goupil produisit ce que dans les comptes rendus des séances législatives les journalistes désignent par ces mots: Profonde sensation.

      – Qu'est-ce que cela signifie? s'écria Dionis. Que le cas de libéralités faites par l'oncle d'un enfant naturel ne s'est pas encore présenté devant les tribunaux; mais qu'il s'y présente, et la rigueur de la loi française envers les enfants naturels sera d'autant mieux appliquée que nous sommes dans un temps où la religion est honorée. Aussi puis-je répondre que sur ce procès il y aurait transaction, surtout quand on vous saurait déterminés à conduire Ursule jusqu'en cour de cassation.

      Une joie d'héritiers trouvant des monceaux d'or éclata par des sourires, par des haut-le-corps, par des gestes autour de la table qui ne permirent pas d'apercevoir une dénégation de Goupil. Puis, à cet élan, le profond silence et l'inquiétude succédèrent au premier mot du notaire, mot terrible: – Mais!..

      Comme s'il eût tiré le fil d'un de ces petits théâtres dont tous les personnages marchent par saccades au moyen d'un


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