La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac


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badinent pas en matière d'adoption, et vous seriez entendus dans l'enquête. Le docteur a beau porter le cordon de Saint-Michel, être officier de la Légion-d'Honneur et ancien médecin de l'ex-empereur, il succomberait. Mais si vous êtes avertis en cas d'adoption, comment sauriez-vous le mariage? Le bonhomme est assez rusé pour aller se marier à Paris après un an de domicile, et reconnaître à sa future, par le contrat, une dot d'un million. Le seul acte qui mette votre succession en danger est donc le mariage de la petite et de son oncle.

      Ici le notaire fit une pause.

      – Il existe un autre danger, dit encore Goupil d'un air capable, celui d'un testament fait à un tiers, le père Bongrand, par exemple, qui aurait un fidéicommis relatif à mademoiselle Ursule Mirouët.

      – Si vous taquinez votre oncle, reprit Dionis en coupant la parole à son maître-clerc, si vous n'êtes pas tous excellents pour Ursule, vous le pousserez soit au mariage, soit au fidéicommis dont vous parle Goupil; mais je ne le crois pas capable de recourir au fidéicommis, moyen dangereux. Quant au mariage, il est facile de l'empêcher. Désiré n'a qu'à faire un doigt de cour à la petite, elle préférera toujours un charmant jeune homme, le coq de Nemours, à un vieillard.

      – Ma mère, dit à l'oreille de Zélie le fils du maître de poste autant alléché par la somme que par la beauté d'Ursule, si je l'épousais, nous aurions tout.

      – Es-tu fou? toi qui auras un jour cinquante mille livres de rentes et qui dois devenir député! Tant que je serai vivante, tu ne te casseras pas le cou par un sot mariage. Sept cent mille francs?.. la belle poussée! La fille unique à monsieur le maire aura cinquante mille francs de rentes, et m'a déjà été proposée…

      Cette réponse, où pour la première fois de sa vie sa mère lui parlait avec rudesse, éteignit en Désiré tout espoir de mariage avec la belle Esther, car son père et lui ne l'emporteraient jamais sur la décision écrite dans les terribles yeux bleus de Zélie.

      – Hé! mais, dites donc, monsieur Dionis, s'écria Crémière à qui sa femme avait poussé le coude, si le bonhomme prenait la chose au sérieux et mariait sa pupille à Désiré en lui donnant la nue propriété de toute la fortune, adieu la succession! Et qu'il vive encore cinq ans, notre oncle aura bien un million.

      – Jamais, s'écria Zélie, ni de ma vie ni de mes jours, Désiré n'épousera la fille d'un bâtard, une fille prise par charité, ramassée sur la place! Vertu de chou! mon fils doit représenter les Minoret à la mort de son oncle, et les Minoret ont cinq cents ans de bonne bourgeoisie. Cela vaut la noblesse. Soyez tranquilles là-dessus: Désiré se mariera quand nous saurons ce qu'il peut devenir à la Chambre des Députés.

      Cette hautaine déclaration fut appuyée par Goupil, qui dit: – Désiré, doté de vingt-quatre mille livres de rentes, deviendra ou Président de Cour Royale ou procureur général, ce qui mène à la pairie; et un sot mariage l'enfoncerait.

      Les héritiers se parlèrent tous alors les uns aux autres; mais ils se turent au coup de poing que Minoret frappa sur la table pour maintenir la parole au notaire.

      – Votre oncle est un brave et digne homme, reprit Dionis. Il se croit immortel; et, comme tous les gens d'esprit, il se laissera surprendre par la mort sans avoir testé. Mon opinion est donc pour le moment de le pousser à placer ses capitaux de manière à rendre votre dépossession difficile, et l'occasion s'en présente. Le petit Portenduère est à Sainte-Pélagie écroué pour cent et quelques mille francs de dettes. Sa vieille mère le sait en prison, elle pleure comme une Madeleine et attend l'abbé Chaperon à dîner, sans doute pour causer avec lui de ce désastre. Eh! bien, j'irai ce soir engager votre oncle à vendre ses rentes cinq pour cent consolidés, qui sont à cent dix-huit, et à prêter à madame de Portenduère, sur sa ferme des Bordières et sur sa maison, la somme nécessaire pour dégager l'enfant prodigue. Je suis dans mon rôle de notaire en lui parlant pour ce petit niais de Portenduère, et il est très-naturel que je veuille lui faire déplacer ses rentes: j'y gagne des actes, des ventes, des affaires. Si je puis devenir son conseil, je lui proposerai d'autres placements en terre pour le surplus du capital, et j'en ai d'excellents à mon Étude. Une fois sa fortune mise en propriétés foncières ou en créances hypothécaires dans le pays, elle ne s'envolera pas facilement. On peut toujours faire naître des embarras entre la volonté de réaliser et la réalisation.

      Les héritiers, frappés de la justesse de cette argumentation bien plus habile que celle de monsieur Josse, firent entendre des murmures approbatifs.

      – Entendez-vous donc bien, dit le notaire en terminant, pour garder votre oncle à Nemours où il a ses habitudes, où vous pourrez le surveiller. En donnant un amant à la petite, vous empêchez le mariage…

      – Mais si le mariage se faisait? dit Goupil étreint par une pensée ambitieuse.

      – Ce ne serait pas déjà si bête, car la perte serait chiffrée, on saurait ce que le bonhomme veut lui donner, répondit le notaire. Mais si vous lui lâchez Désiré, il peut bien lambiner la petite jusqu'à la mort du bonhomme. Les mariages se font et se défont.

      – Le plus court, dit Goupil, si le docteur doit vivre encore long-temps, serait de la marier à un bon garçon qui vous en débarrasserait en allant s'établir avec elle à Sens, à Montargis, à Orléans, avec cent mille francs.

      Dionis, Massin, Zélie et Goupil, les seules têtes fortes de cette assemblée, échangèrent quatre regards remplis de pensées.

      – Ce serait le ver dans la poire, dit Zélie à l'oreille de Massin.

      – Pourquoi l'a-t-on laissé venir? répondit le greffier.

      – Ça t'irait! cria Désiré à Goupil; mais pourrais-tu jamais te tenir assez proprement pour plaire au vieillard et à sa pupille?

      – Tu ne te frottes pas le ventre avec un panier, dit le maître de poste qui finit par comprendre l'idée de Goupil.

      Cette grosse plaisanterie eut un succès prodigieux. Le maître-clerc examina les rieurs par un regard circulaire si terrible que le silence se rétablit aussitôt.

      – Aujourd'hui, dit Zélie à Massin d'oreille à oreille, les notaires ne connaissent que leurs intérêts; et si Dionis allait, pour faire des actes, se mettre du côté d'Ursule?

      – Je suis sûr de lui, répondit le greffier en jetant à sa cousine un regard de ses petits yeux malicieux. Il allait ajouter: J'ai de quoi le perdre! Mais il se retint. – Je suis tout à fait de l'avis de Dionis, dit-il à haute voix.

      – Et moi aussi, s'écria Zélie qui cependant soupçonnait déjà le notaire d'une collusion d'intérêts avec le greffier.

      – Ma femme a voté! dit le maître de poste en humant un petit verre, quoique déjà sa face fût violacée par la digestion du déjeuner et par une notable absorption de liquides.

      – C'est très-bien, dit le percepteur.

      – J'irai donc après le dîner? reprit Dionis.

      – Si monsieur Dionis a raison, dit madame Crémière à madame Massin, il faut aller chez notre oncle comme autrefois, en soirée tous les dimanches, et faire tout ce que vient de nous dire monsieur Dionis.

      – Oui, pour être reçus comme nous l'étions! s'écria Zélie. Après tout, nous avons plus de quarante bonnes mille livres de rentes, et il a refusé toutes nos invitations; nous le valons bien. Si je ne sais pas faire des ordonnances, je sais mener ma barque, moi!

      – Comme je suis loin d'avoir quarante mille livres de rentes, dit madame Massin un peu piquée, je ne me soucie pas d'en perdre dix mille!

      – Nous sommes ses nièces, nous le soignerons: nous y verrons clair, dit madame Crémière, et vous nous en saurez gré quelque jour, cousine.

      – Ménagez bien Ursule, le vieux bonhomme de Jordy lui a laissé ses économies! fit le notaire en levant son index droit à la hauteur de sa lèvre.

      – Je vais me mettre sur mon cinquante et un, s'écria Désiré.

      – Vous avez été aussi fort que Desroches, le plus


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