La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
où ils furent complimentés par Dom Lourdel, prieur de la congrégation de Saint-Maur, à la tête des religieux. Ils suivirent ensuite la procession, qui se faisait à pareil jour dans tout le royaume, pour l'accomplissement du vœu de Louis XIII. La présence de Louis XVI et de Marie-Antoinette donnait un éclat inaccoutumé à cette fête religieuse, au milieu de laquelle les deux petites sœurs du Roi, marchant côte à côte, vêtues de robes blanches et ornées de rubans bleus, rappelaient ces figures d'anges adorateurs qui se couvrent de leurs ailes devant le Saint des saints.
Le duc de Gesvres marchait à la tête de l'état-major de la ville, qui suivait la procession.
Le même jour, la musique des gardes françaises et suisses célébra par des aubades la fête de la Reine, de Madame, de Madame la comtesse d'Artois, de Madame Clotilde et de Madame Adélaïde.
Le séjour de la cour dans cette résidence se prolongea jusqu'au jeudi 1er septembre. La vie des jeunes princesses y était réglée comme à Versailles. Tous les dimanches elles entendaient la messe à l'église de Saint-Jacques avec la famille royale. Leurs études, en changeant de lieu, n'avaient point changé d'objet. Leurs plaisirs étaient aussi toujours les mêmes: la lecture, des promenades à pied dans le parc, en voiture dans la forêt, étaient comme ailleurs leurs principales récréations.
Tout était encore calme et serein autour d'elles, et cependant un mal secret agitait les âmes, un trouble profond tourmentait les esprits; la passion de l'égalité, l'amour de la nouveauté s'emparaient des classes bourgeoises, et dans l'atelier de son père, graveur sur étuis, la jeune fille qui devait s'appeler madame Roland s'enivrait des théories républicaines et commençait à perdre la foi religieuse, tandis que ces deux filles du trône étudiaient tranquillement leur catéchisme et les préceptes de l'Évangile, et, pareilles à deux lis blancs croissant sous un beau ciel, embaumaient l'atmosphère de leur parfum printanier.
Le mardi 7 février 1775, l'archiduc Maximilien-François, frère de l'Empereur, arriva au château de la Muette, où la Reine alla le recevoir. Ce prince, âgé de dix-huit ans, voyageait sous le nom de M. de Burgau et dans le plus strict incognito. Le lendemain, il se rendit à Versailles et fut présenté à Leurs Majestés et à la famille royale par le comte de Mercy, ambassadeur de l'Empereur. Les diplomates cherchèrent un but politique au voyage de l'archiduc, qui, déjà voué au sacerdoce61, n'avait d'autre motif en visitant la France que le désir de s'instruire et de revoir la Reine, sa sœur. Les courtisans, qui se piquaient de perspicacité, voulaient croire que M. de Burgau venait tout simplement demander la main de Madame Clotilde. Cinq jours n'étaient pas écoulés, qu'un démenti officiel était donné aux faux prophètes.
Le dimanche 12 février, le comte de Viry, ambassadeur de Sardaigne, eut une audience particulière du Roi, à laquelle assista seul le comte de Vergennes, ministre des affaires étrangères; et le Roi, après cette audience, déclara le mariage de Madame Clotilde avec Charles-Emmanuel de Savoie, prince de Piémont, fils aîné du roi de Sardaigne62.
Cette princesse s'était fait apprécier par une foule de traits qui révélaient sa bonté d'âme. Je n'en citerai qu'un, qui montre que les piqûres d'amour-propre, si vives d'ordinaire chez les femmes, ne pouvaient arriver jusqu'à son cœur. Son embonpoint, un peu épais pour son âge et pour sa taille, lui avait fait donner par les courtisans le sobriquet de Gros-Madame. Un jour, il advint qu'une dame de son jeu se permit de se servir de cette expression en présence de Madame Clotilde elle-même. Madame la comtesse de Marsan fit aussitôt justice d'une telle inconvenance, et déclara à la personne qui s'en était rendue coupable qu'elle n'eût plus à reparaître devant cette princesse. Celle-ci l'envoya chercher le lendemain et lui dit: «Ma gouvernante a fait son devoir hier, je vais faire à présent le mien. Je vous invite à revenir et à oublier une étourderie que je vous pardonne de bon cœur.»
Personne à cette époque ne mettait en doute les excellentes qualités de cette jeune princesse; mais l'esprit philosophique, qui avait aussi envahi la cour, prétendait que madame de Marsan lui avait enseigné l'histoire de l'Église mieux que celle du monde, et l'avait élevée pour le cloître plus que pour le trône. La fermeté d'âme que la reine de Sardaigne montra dans l'adversité fit voir au monde que le courage qui surmonte les périls s'allie parfaitement avec la foi qui les accepte.
Si la raison de Madame Élisabeth, âgée de dix à onze ans, pouvait déjà comprendre la nécessité d'une séparation, son cœur ne s'en affligea pas moins. Sa chère Clotilde, qui lui était non-seulement une compagne, mais une confidente sûre et un guide éclairé, allait bientôt lui manquer. Cette triste perspective rendait leur union plus étroite et le besoin de se voir plus nécessaire. Le 1er mai (1775), Clotilde alla faire ses adieux à la maison de Saint-Cyr; on devine que Madame Élisabeth était près d'elle. Toutes deux, accompagnées de leurs gouvernantes, furent reçues par la supérieure (madame de Mornay), à la tête de sa communauté. Madame Clotilde, voulant laisser à cette maison un témoignage de ses sympathies, remit à la supérieure son portrait, qui fut reçu avec toutes les marques du respect et de l'affection. De son côté, madame de Mornay offrit à Son Altesse un écran brodé par les doigts les plus habiles de la maison, et représentant la supérieure elle-même remettant le plan de Saint-Cyr à la princesse.
Les cent cinquante jeunes personnes élevées en ce lieu par la munificence royale s'étant alors avancées, l'une d'elles, mademoiselle Durfort de la Roque, sortit de leurs rangs, et lut au nom de ses compagnes des vers composés par Ducis et exprimant les regrets que le départ prochain de la sœur du Roi pour la cour de Turin allait laisser dans tous les cœurs.
Le vendredi 12 mai, nous retrouvons ces deux sœurs angéliques assistant avec le Roi, la Reine et la famille royale au service solennel que faisaient célébrer les curés et marguilliers de l'église paroissiale de Notre-Dame de Versailles pour l'anniversaire de la mort de Louis XV.
Le 27 mai, Sidi-Abderrahman-Bediri-Aga, envoyé du pacha et de la régence de Tripoli de Barbarie, fut reçu en audience par le Roi. Cet envoyé prononça un discours rempli de toutes les fleurs de la poésie orientale63.
Le lendemain, l'envoyé barbaresque fut admis à faire ses révérences à la Reine dans la galerie du château. L'aspect de cet étranger qui n'était pas chrétien inspira aux deux jeunes princesses un mouvement de curiosité, maîtrisé presque aussitôt par un naïf sentiment de pitié. La petite Élisabeth le contemplant d'un regard attendri: «À quoi pensez-vous? lui dit Clotilde. – Je pense à son âme. – Oh! ma sœur, la miséricorde de Dieu est infinie; ce n'est pas à notre pensée à lui poser des limites. Prions pour lui, cela vaut bien mieux. – Vous avez raison, ma sœur; c'est aux chrétiens à prier pour ceux qui ne le sont pas, comme c'est aux riches à donner aux pauvres.»
Le 30 mai, les deux princesses se font une joie d'accompagner ensemble la Reine et Madame dans la plaine de Marly, où le Roi, suivi de ses deux frères, passait en revue les mousquetaires, les chevau-légers et les gendarmes de sa garde. Lorsque, après avoir reçu dans leurs rangs l'inspection du Roi et des princes, les troupes, défilant en colonne par escadrons et par quatre, passèrent devant la Reine, entourée des princesses et d'un grand nombre de seigneurs et de dames de la cour, Élisabeth dit à Clotilde: «Ma sœur, y a-t-il d'aussi beaux soldats à Turin? – Je ne sais pas, ma sœur,» répondit tristement la jeune fiancée.
Il avait été décidé depuis longtemps que le mariage de cette princesse n'aurait lieu qu'après le sacre du Roi, dont l'époque avait été fixée au dimanche 11 juin.
L'approche de cette époque remplissait le cœur d'Élisabeth de tristesse et d'effroi. «Elle montre, mandait la Reine à sa mère (à la date du 14 juillet 1775), elle montre à l'occasion du départ de sa sœur et de plusieurs autres circonstances une honnêteté et sensibilité charmantes. Quand on sent si bien à onze ans, cela est bien précieux. Je la verrai davantage à présent qu'elle sera entre les mains de madame de Guéménée. La pauvre petite partira peut-être dans deux années. Je suis fâchée qu'elle aille si loin que le Portugal; ce sera un bonheur pour elle de partir si jeune: elle en sentira moins la différence des deux pays. Dieu
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Il fut nommé, le 15 avril 1784, électeur archevêque de Cologne et évêque prince de Munster. Il était grand maître de l'ordre Teutonique.
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Le même jour et à la même heure, même déclaration était faite par le roi de Sardaigne. Une lettre, datée de Turin le 15 février, contenait ce qui suit:
«Dimanche 12 de ce mois, le Roi déclara à la cour le mariage arrêté entre le prince de Piémont, son fils, et Madame Clotilde de France. Le maître des cérémonies avoit invité, la veille, les ministres étrangers à se rendre le lendemain à onze heures et demie du matin dans la grande salle des audiences. Dès qu'ils y furent arrivés, il les conduisit à celle de Sa Majesté, auprès de laquelle ils trouvèrent les princes de la famille royale et les princes du sang. Les chevaliers de l'Annonciade, les ministres d'État et toutes les personnes qui par leurs charges ont les entrées de la chambre, y furent aussi appelés. Le Roi, après leur avoir annoncé dans les termes les plus touchants un événement si cher à son cœur, passa dans l'appartement de la Reine, pour se rendre ensuite à la messe, et notifia de même ce mariage aux chefs du sénat et du corps municipal, ainsi qu'au reste de la noblesse, qui s'étoit rassemblée en foule dans les antichambres. Le lundi 13, le Roi, la Reine et le prince de Piémont reçurent successivement les compliments des ministres étrangers, qui furent conduits à ces audiences par le maître des cérémonies. L'ambassadeur de France porta la parole. Le prince de Piémont reçut dans l'après-midi les compliments de toute la noblesse. Ces deux jours et le jour suivant, il y a eu grand gala à la cour. La ville et le théâtre ont été illuminés, et les représentations de l'opéra terminées par des chants analogues à cette heureuse circonstance. Les chiffres de la maison de Savoye et de la maison de France, ceux du prince de Piémont et de Madame Clotilde brilloient partout dans des décorations superbes. Des feux d'artifice ont encore ajouté à l'éclat de ces fêtes. Tous les spectateurs se sont empressés de marquer par des applaudissements multipliés combien ils partageoient la joie de leurs maîtres, qui, de leur côté, ont daigné y répondre par les témoignages de la plus vive sensibilité. Il y a ce soir bal à la cour.»
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On trouvera ce discours parmi les documents placés à la fin du volume.