La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne

La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne


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dans cet ordre que la jeune fiancée arriva, à cinq heures du soir, aux portes de la ville, où le sieur de Bellescizes, prévôt des marchands, eut l'honneur de la complimenter à la tête de ses échevins. Son Altesse Royale traversa la ville aux acclamations d'un peuple immense, que ne pouvaient étouffer le son des cloches et les décharges d'artillerie. La compagnie franche du régiment lyonnais, celle de l'arquebuse, celle du guet, et quatre mille hommes de la milice bourgeoise, bordaient la haie depuis la porte de la ville jusqu'au palais archiépiscopal, où la royale voyageuse mit pied à terre. Le sieur de Flesselles, qui avait précédé de quelques instants son arrivée à l'archevêché, se trouva à son carrosse lorsqu'elle descendit. Mesdames de Flesselles et de Bellescizes s'y étaient rendues également pour recevoir Son Altesse Royale. À neuf heures, le consulat69 fit exécuter un feu d'artifice disposé sur un obélisque élevé au milieu de la Saône, en face du palais archiépiscopal, et orné de devises et d'emblèmes. Chaque soir, pendant le séjour de la jeune princesse, la ville fut illuminée. Le 3, à onze heures, la princesse de Piémont entendit dans l'église primatiale la grand'messe, célébrée solennellement par l'abbé de Saligny, qui eut l'honneur de complimenter Son Altesse à la porte de l'église, à la tête du chapitre. Après la messe, elle reçut les salutations des comtes de Lyon, du bureau des finances, du présidial, de l'élection et de l'académie. L'après-midi, elle assista aux vêpres et au salut à l'église primatiale, et honora le soir le spectacle de sa présence.

      Le 4, elle entendit la messe dans la chapelle du palais archiépiscopal. L'abbé de Beaumont, aumônier du Roi, y donna la bénédiction nuptiale à huit jeunes filles dotées par la ville de huit cents livres, et auxquelles, à la prière de la princesse, on venait d'accorder en outre une maîtrise au choix des époux. Son Altesse Royale embrassa les huit nouvelles mariées et donna sa main à baiser à leurs maris. Dans l'après-midi, vers les quatre heures, elle se rendit à l'hôtel de ville, où, après avoir examiné les produits des différents ateliers de Lyon, elle demanda qu'on lui présentât six déserteurs dont elle avait obtenu la grâce de la clémence royale; elle leur en remit elle-même le brevet. Ces pauvres jeunes gens, émus jusqu'au fond de l'âme, tombèrent à ses pieds qu'ils inondèrent de leurs larmes. Enfin, partout où la jeune sœur du Roi parut en public, le peuple l'environna des démonstrations de la plus vive sympathie. Le 5, elle quitta Lyon, après avoir entendu la messe et fait ses dévotions à la chapelle du palais de l'archevêque. Toujours accompagnée de la comtesse de Marsan et des personnes qui composaient sa suite, elle arriva le 5 septembre, à quatre heures de l'après-midi, au Pont-de-Beauvoisin; elle était précédée par le comte de Tonnerre et escortée par un détachement des gardes du corps, commandé par le sieur de Fraguier, chef de brigade, et par deux exempts. Ce détachement avait été précédé, dès le 4, par ceux des Cent-Suisses, des gardes de la porte et des gardes de la prévôté de l'hôtel.

      À un quart de lieue du Pont, la princesse a trouvé sur sa route un détachement de la maréchaussée, commandé par le prévôt général, et un autre de cent dragons de la légion de Lorraine, ayant à sa tête le comte de Viomesnil, son colonel. À l'entrée du faubourg se trouvèrent le marquis de Pusignieu, lieutenant général, le comte de Blot, maréchal de camp, tous deux employés en Dauphiné, et le sieur de la Tour, commandant du Pont; le régiment d'Anjou, sous les ordres du vicomte de Mailly, son colonel, bordait la haie jusqu'au palais destiné à la princesse. Au moment où Son Altesse Royale mit pied à terre, elle fut saluée par six pièces de canon, servies par une compagnie du régiment de Toul du corps royal de l'artillerie. Le sieur Pajot de Marcheval, intendant de Grenoble, ainsi que l'évêque de cette ville et celui de Belley, eurent l'honneur d'être présentés à la princesse au pied de l'escalier construit pour la recevoir.

      Les différents corps militaires lui furent présentés dans son appartement vers les sept heures du soir; Madame de Marcheval et la comtesse de Lesseville, sa fille, eurent l'honneur de lui être nommées par la comtesse de Marsan, ainsi qu'un grand nombre de dames venues de différents points de la province dans l'espoir de rendre leurs respects à Son Altesse Royale.

      Vers les huit heures du soir commencèrent les visites des dames de la cour de Turin désignées pour composer la nouvelle suite de la princesse de Piémont. Après leur avoir adressé quelques bienveillantes paroles, Son Altesse Royale les invita à venir voir avec elle le feu d'artifice que M. de Marcheval allait faire tirer sur la place du Pont, en face des fenêtres du palais. À neuf heures environ eut lieu le souper. La princesse se mit à table en public avec les dames qui composaient sa suite en France et celles qui allaient les remplacer en Piémont.

      Le 6, à huit heures du matin, les troupes prirent les armes et occupèrent sur le territoire français les postes qui leur étaient assignés. À neuf heures et demie, la princesse entendit la messe dans son appartement, pendant laquelle les troupes sardes et la nouvelle suite de Son Altesse Royale occupèrent les postes qui leur étaient destinés pour la cérémonie de la remise, qui eut lieu à l'issue de la messe.

      Le comte de Viry, commissaire plénipotentiaire du Roi de Sardaigne, ayant reçu la princesse des mains du comte de Tonnerre, la conduisit dans une pièce qui avait été disposée pour sa toilette, où elle fut servie par sa cour piémontaise. Quelques moments après, le prince de Piémont est venu lui rendre visite, et la première entrevue des deux augustes époux s'étant faite, le prince est remonté dans ses équipages, escorté d'un détachement des gardes du corps du Roi de Sardaigne, devant lequel marchait une compagnie de dragons bourgeois commandée par le baron de Marette.

      À onze heures, la princesse, précédée du comte de Viry et escortée de cinquante gardes du corps piémontais, se disposa à partir, laissant mille regrets à la France et portant la joie à la cour de Piémont. En traversant le pont, ses regards s'arrêtèrent sur cette petite rivière de Guiers qui allait la séparer de sa première patrie, et ses yeux se mouillèrent malgré elle. Elle arriva bientôt aux Échelles, première ville de Savoie, où le roi Victor-Amédée s'était rendu de Chambéry pour la recevoir et lui donner à dîner.

      Le 20 septembre, sur le théâtre royal de Chambéry, on donna devant la cour la tragédie de Roméo et Juliette, dont l'auteur, François Ducis70, secrétaire de Monsieur, se trouvant à cette époque dans cette ville, dirigeait lui-même la représentation. Le poëte avait eu l'attention d'insérer dans la scène II du quatrième acte le portrait d'un roi chéri qui prête au diadème un charme inexprimable. Les regards de tous les spectateurs, ne pouvant se méprendre à la ressemblance, se dirigèrent vers la loge royale; les acclamations furent si vives que le Roi en fut attendri. Il prit des mains de Madame la princesse de Piémont l'exemplaire de la pièce qu'elle tenait, pour s'assurer si les vers qu'il venait d'entendre faisaient partie du texte. Il les y trouva; mais Monsieur71, qui était à côté de lui, lui fit remarquer qu'une nouvelle feuille imprimée avait été collée sur l'ancienne.

      La famille royale ne fit son entrée à Turin que le 30 septembre. Le roi Victor-Amédée, la reine Marie-Antoinette-Ferdinande, le prince et la princesse de Piémont, étaient dans le même carrosse; celui du duc et de la duchesse de Chablais, frère et belle-sœur du Roi, et des princesses Éléonore-Marie-Thérèse et Marie-Félicité, sœurs du Roi, suivait immédiatement. Dans douze autres voitures étaient les dames du palais, les premiers écuyers et les autres personnes attachées à la cour; les seconds écuyers, les gardes du corps et les pages accompagnaient à cheval. À quelque distance de Turin, les compagnies bourgeoises étaient rangées en bataille, ainsi que quatre régiments de dragons; toutes ces troupes se joignirent au cortége et entrèrent dans la capitale, dont les rues étaient bordées par douze bataillons. À la porte attendaient le gouverneur et l'état-major de la place; ils s'approchèrent du carrosse royal pour complimenter Sa Majesté et lui remettre les clefs de la ville. Le Roi leur ordonna de les offrir à la princesse de Piémont. Il était six heures lorsque la cour descendit au palais; toutes les dames qui s'y étaient rendues furent admises à l'honneur de baiser la main de la Reine, celle de la princesse de Piémont et des autres princesses. Dans la soirée, on tira devant le palais un très-beau feu d'artifice, et toutes les rues de la ville furent illuminées. Le lendemain de son arrivée


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<p>69</p>

On nommait ainsi le corps des conseillers municipaux.

<p>70</p>

Le père de Ducis était sujet du Roi de Sardaigne; aussi l'origine de François Ducis, ses talents, sa position près de Monsieur, aussi bien que son caractère, le recommandaient-ils à la sympathie de la cour de Sardaigne. Le 3 du même mois, il avait été présenté au Roi, au prince de Piémont, aux deux princesses de Savoie, sœurs de Sa Majesté, au duc et à la duchesse de Chablais, et leur avait fait hommage d'un poëme de sa composition sur le mariage de M. le prince de Piémont avec Madame Clotilde de France. Cet ouvrage avait attiré à l'auteur les compliments les plus chaleureux et les plus flatteurs.

<p>71</p>

Partis le 2 septembre de Versailles, Monsieur et Madame avaient suivi l'itinéraire de la princesse de Piémont, et étaient arrivés deux jours après elle à la cour de Savoie.