La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
l'ordre de son architecture. La joie publique était vive, et aux acclamations qui saluaient la princesse de Piémont, Son Altesse Royale (dit une lettre de l'époque) dut croire qu'elle se trouvait encore au milieu des Français.
Le lundi 2, la famille royale assista à la représentation de l'opéra de Tithon et l'Aurore.
Le 5, il y eut un grand appartement auquel furent invités les familles distinguées et les étrangers de marque résidant à Turin. La famille royale soupa ensuite avec les dames du palais, les femmes des chevaliers de l'ordre de l'Annonciade et des grands officiers de la cour.
Le 6 eut lieu un concert magnifique dans la galerie.
Le 7, un grand bal paré dans le salon des Cent-Suisses, où Madame la princesse de Piémont dansa.
Toutes les fêtes à l'occasion de son mariage se terminèrent par celle que donna, le 16, le baron de Choiseul, ambassadeur de Sa Majesté Très-Chrétienne. La façade de son hôtel, raconte la gazette du temps, était magnifiquement illuminée; des inscriptions, des chiffres, des emblèmes relatifs à l'objet de cette fête, remplissaient les dessus des portes et les entablements des croisées. Le bal commença à dix heures du soir, à l'issue de l'Opéra, et ne finit que le surlendemain à cinq heures du matin; on y distribua pendant plus de trente heures des rafraîchissements de toute espèce, servis avec autant d'ordre que d'abondance, dans quinze pièces richement décorées, et dont plusieurs avaient été construites pour cette fête. Ce bal, le plus long dont on se souvienne à Turin, n'a fini que par l'impossibilité de remplacer les musiciens fatigués.
Enfin, pour clore cette série de fêtes par une cérémonie religieuse, on exposa, le dimanche 15 octobre, à la dévotion populaire, le saint suaire, religieusement gardé dans la chapelle de la cour. Depuis le 31 mai 1750, jour du mariage du roi Victor-Amédée, cette précieuse relique n'avait pas été montrée au peuple. Le cardinal des Lances, ancien archevêque de Turin, avait quitté sa résidence de Rome pour venir remplir les fonctions usitées dans cette circonstance, où se déploie une pompe particulière. Tous les princes, grands-croix de l'ordre des Saints Maurice et Lazare, suivaient la châsse, vêtus de leur habit de cérémonie, ainsi que les chevaliers de l'ordre de l'Annonciade, les grands officiers de la couronne et les ministres d'État. La Reine, les princesses et toutes les personnes de leur cour portaient des cierges. On avait, sur les places et dans quelques larges rues par où devait passer la procession, dressé des amphithéâtres dans l'intérêt des fidèles, attirés de toutes les provinces par l'exposition de cette relique vénérée.
On me pardonnera si mon récit s'est attardé au milieu de ces détails. L'historien qui raconte les derniers beaux jours de la royauté française voudrait arrêter ce soleil sans pareil (nec pluribus impar) que Louis XIV aux jours de sa grandeur avait pris pour emblème de sa maison, afin de l'empêcher de se coucher dans cet amas de sombres nuages assemblés à l'horizon, et au milieu desquels il va disparaître.
Dans les derniers mois de 1775, quelques changements eurent lieu dans le personnel qui environnait d'ordinaire les princesses. La marquise de Causans fut nommée dame pour accompagner Madame Élisabeth; la maréchale de Mouchy ayant obtenu de la Reine la permission de se démettre de la place de sa dame d'honneur, Sa Majesté en pourvut madame la princesse de Chimay, sa dame d'atour, et nomma à la place de dame d'atour la marquise de Mailly, une de ses dames; et l'abbé Brocquevielle, missionnaire, nommé avec l'agrément du Roi pour remplacer l'abbé Allard dans la cure paroissiale de Notre-Dame, eut l'honneur d'être présenté à Sa Majesté et à la famille royale par le Père Jacquier, supérieur général de la congrégation de la Mission.
Le 1er janvier 1776, les princes et princesses, seigneurs et dames de la cour, rendirent au Roi et à la Reine les respects habituels qu'ils avaient l'honneur de leur offrir à l'occasion du nouvel an. Le corps de ville de Paris, ayant à sa tête le duc de Cossé, gouverneur de la ville, s'acquitta du même devoir, les hautbois de la chambre du Roi exécutant pendant le lever de Sa Majesté plusieurs morceaux de musique.
Les chevaliers, commandeurs et officiers de l'ordre du Saint-Esprit étant assemblés dans le cabinet du Roi, vers les onze heures du matin, Sa Majesté reçut chevaliers de l'ordre de Saint-Michel le marquis de Rochechouart, le marquis de la Roche-Aymon, le comte de Talleyrand, le marquis de la Rochefoucauld et le vicomte de Talaru. Le Roi sortit de son appartement pour se rendre à la chapelle, précédé de Monsieur, du comte d'Artois, du duc d'Orléans, du duc de Chartres, du prince de Condé, du duc de Bourbon, du comte de la Marche, du duc de Penthièvre et des chevaliers, commandeurs et officiers de l'ordre; les cinq nouveaux chevaliers, en habits de novices, marchaient entre les chevaliers et les officiers. Le Roi, devant qui les deux huissiers de la chambre portaient leurs masses, était revêtu du manteau de l'ordre, dont il avait le collier, ainsi que celui de la Toison d'or, par-dessus son manteau. Avant la messe, qui fut chantée par la musique du Roi et célébrée par l'ancien évêque de Limoges, Sa Majesté monta sur son trône, reçut prélats commandeurs de l'ordre du Saint-Esprit l'archevêque de Narbonne, l'ancien évêque de Limoges, et chevaliers du même ordre le marquis de Rochechouart et les quatre autres que nous avons nommés plus haut.
Leurs Majestés soupèrent le même jour à leur grand couvert.
Le temps marche. Le 10 avril 1776, nous rencontrons Madame Élisabeth se rendant en cérémonie en l'église paroissiale de Notre-Dame, et y communiant par les mains de l'évêque de Senlis, premier aumônier du Roi, la princesse de Guéménée, gouvernante des Enfants de France, et mademoiselle de Rohan tenant la nappe.
Le 9 mai, le Roi, accompagné de Monsieur, se rendit à trois heures et demie à la plaine des Sablons, où il passa en revue les deux régiments des gardes françaises et suisses. Le comte d'Artois, colonel de ce dernier corps, était à sa tête. Après l'exercice, les troupes défilèrent devant Sa Majesté et devant la Reine, accompagnée de Madame et des dames de la cour. Madame Élisabeth assistait aussi à cette revue, accompagnée dans sa voiture par la princesse de Guéménée, sa gouvernante, et par ses dames de compagnie. Le lendemain 10, nous la retrouvons accompagnant Leurs Majestés, Madame, la comtesse d'Artois, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie, à l'église royale et paroissiale de Notre-Dame, pour assister au service solennel célébré pour l'anniversaire de la mort de Louis XV, par le sieur Brocquevielle, curé.
Le 12 mai, Turgot et Malesherbes quittèrent le ministère. Comme Malesherbes suppliait le Roi de vouloir bien accepter sa démission: «Que vous êtes heureux! s'écria Louis XVI; que ne puis-je m'en aller aussi!»
Il serait trop long d'entrer dans le détail des causes qui amenaient la retraite de ces deux ministres, et d'ailleurs cet événement n'a pas de lien étroit avec la vie de Madame Élisabeth. Il suffira donc d'indiquer sommairement les difficultés contre lesquelles les efforts de Turgot et de Malesherbes, comme ceux de Louis XVI, se brisèrent. La première partie du règne du jeune successeur de Louis XV avait été une suite de tentatives de réformes. On se plaignait des abus, il voulut les détruire; on réclamait des progrès, il voulut en réaliser. C'est ainsi qu'avec l'agrément de M. de Maurepas, qui, s'il ne provoquait pas les mesures de ce genre, acceptait à titre d'essais, avec une indifférence sceptique, toutes celles que proposaient des intelligences plus hardies, il appela à lui, d'une part Turgot et Malesherbes, de l'autre le comte de Saint-Germain. Turgot et Malesherbes appartenaient à ce qu'on appelait la secte des économistes; c'étaient des esprits élevés et honnêtes, mais qui, pleins de confiance dans leurs théories, ne tenaient pas assez compte des circonstances et ne préparaient pas assez les intelligences, et surtout les intérêts, aux réformes qu'ils voulaient opérer.
Ainsi, quoique la récolte de 1774 eût été mauvaise, Turgot fit établir par un arrêt du conseil la libre circulation des grains. Cette mesure, excellente en elle-même, avait le tort de venir mal à propos. Il y eut des troubles populaires quand on vit les marchés vides, et il fallut envoyer des troupes pour disperser les rassemblements. Ce premier échec jeta du discrédit sur Turgot et ses théories. Les parlements, qui connaissaient son opposition à leur système, lui firent une guerre acharnée. Il fallut un lit de justice pour briser cette résistance, quand le Roi voulut faire enregistrer les édits qui supprimaient les corvées et ceux qui abolissaient les maîtrises et les corporations. En passant ainsi instantanément