La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
ne faut pas comprendre dans l'anathème porté contre les coupables la génération tout entière. Les contemporains de ces catastrophes inouïes eussent été disposés à se faire une idée fausse de notre nation, si les prodiges de patriotisme et de vertu militaire accomplis par l'épée de la France au delà des frontières n'eussent mis un contre-poids moral aux sanglants holocaustes de la Révolution.
Les proscriptions, les incendies, les meurtres, les prisons gorgées de victimes, les échafauds ruisselants de sang, nous eussent fait regarder comme un peuple impie et cruel, si l'Europe ne nous eût vus de plus près sur les champs de bataille. Ce jugement eût été injuste. Il n'est point de nation, quelque civilisée qu'elle soit, qui ayant, comme nous, vu briser en un moment tous les éléments qui l'avaient constituée, s'étant séparée de toutes les traditions qui avaient alimenté sa vie, ayant vu périr toute règle morale et tomber tout frein religieux, condamnée par la désorganisation complète de la puissance sociale, en face des factions organisées, à assister à l'assassinat juridique de ses chefs légitimes renversés, mis à mort et remplacés par les flatteurs de la populace et par les hideux courtisans des clubs, il n'est pas de nation, dis-je, qui, placée dans une telle condition, n'eût pas subi un excès aussi odieux.
L'Anglais, réputé plus sage, plus grave et moins inconstant que d'autres peuples, avait avant nous donné au monde le funeste et scandaleux exemple de la subversion d'un empire et du supplice d'un roi mis à mort judiciairement. Il ne faut donc pas être surpris de voir se reproduire cet acte d'iniquité dans l'histoire d'une nation vive, inquiète et ardente, séduite et entraînée vers l'abîme par des hommes dont quelques-uns à la perversité du cœur unissaient de rares talents. Ce qui plutôt doit être aujourd'hui comme alors un sujet d'étonnement, c'est de rencontrer dans un peuple si longtemps encouragé à la mollesse et au vice par les indulgents sourires de la philosophie, un fonds si grand et si inépuisable de courage et de dévouement; c'est de trouver dans une société qui passait pour être dégénérée, corrompue et athée, un ferment si puissant de vertu, de foi et d'héroïsme. Tant il est vrai que si la Révolution de 1789 devait étonner le monde par l'excès de ses crimes, la génération de cette époque devait souvent l'étonner encore plus par l'exemple de ses vertus. Au milieu des scènes les plus sanglantes apparaissent les actions les plus généreuses accomplies simplement, et n'ayant souvent pour témoins, avec Dieu, que le geôlier et le bourreau.
Que de traits de vertu héroïque, de dévouement et d'abnégation, à opposer à tant d'actes d'ignominie et de cruauté!
Des filles séparées de leurs parents ont été vues aux genoux des membres des comités révolutionnaires jusqu'à ce que la même prison les eût reçues. En vain des commissaires émus de pitié pour leur jeune âge, ou peut-être séduits par leur beauté, leur ménagèrent des moyens de se soustraire à l'action homicide des lois. La piété filiale réclamait la communauté de la cause, du jugement et du supplice.
Des serviteurs fidèles se sacrifiaient pour le salut de leurs maîtres.
Des grandes dames, comme madame de Tourzel, osaient affirmer leur dévouement à la Reine jusque dans la cour de la Force, au milieu des massacres de septembre.
À Nantes, madame de la Biliais, pendant la terreur qu'y faisait régner Carrier, marchait à l'échafaud entre ses deux filles, dont la plus jeune n'avait pas encore seize ans. L'aînée mourut courageusement sans un soupir jeté vers la terre; mais la seconde, ce n'était encore qu'un enfant, se prit à pleurer comme la captive d'André Chénier, et, se retournant vers sa mère, elle lui dit en songeant à sa jeunesse: «Ô maman, il faut donc mourir?» Madame de la Biliais se redressa à ces mots comme la mère des Machabées. «Mon enfant, répondit-elle, regarde ce beau ciel où nous allons tous être réunis.» Alors l'enfant gravit d'un pas ferme les marches de l'échafaud, et elle mourut avec courage, comme était morte sa sœur, comme allait mourir sa mère, la plus malheureuse des trois, puisqu'elle mourut la dernière.
La vicomtesse de Noailles, conduite au supplice avec la maréchale de Noailles, son aïeule, et la duchesse d'Ayen, sa mère, exhortait à la résignation un jeune homme qui, dans sa rage contre les proscripteurs, n'avait cessé de proférer des blasphèmes pendant le fatal trajet; le pied déjà sur le sanglant escalier, cette touchante chrétienne se tournait encore vers cet homme exaspéré pour lui demander le sacrifice dont elle lui donnait l'exemple, en lui disant d'un ton et avec des regards suppliants: «En grâce, dites pardon!»
Tandis que le christianisme produisait son immortelle moisson de vertus, le stoïcisme antique se réveillait et jetait de beaux éclairs. Madame Roland, ferme et intrépide sur la charrette, sereine et presque souriante sur la guillotine, exhortait aussi, à son heure dernière, son compagnon qui ne savait pas mourir. «Courage, monsieur!» lui disait cette illustre païenne. Il n'y a que le christianisme qui nous apprenne à dire: «Pardon!»
Des jeunes filles, comme Marie Gattey, entendant condamner à mort leurs fiancés, criaient Vive le Roi! afin de mourir avec eux.
Des pères, comme Loizerolles, donnaient leur vie pour leur fils2.
D'autres, n'ignorant pas que les biens des condamnés pour crime d'opinion étaient confisqués par la République, reculaient jusqu'aux dévouements du paganisme antique, que la morale stoïcienne admirait, que la morale plus sévère du christianisme réprouve, et n'attendaient point leur jugement; comme l'infortuné Caubert3, ils se donnaient la mort dans leur prison, voulant conserver du pain à leurs enfants.
Des femmes, comme madame Davaux4, comme Victoire Regnier, femme Lavergne5, Lucile Duplessis6, réclamaient avidement pour elles l'échafaud de leurs maris.
Des prêtres s'oubliaient dans les cachots pour ne s'occuper que de leurs compagnons d'infortune, apaiser leurs regrets, ranimer leur courage et obtenir d'eux de marcher ensemble à la mort en chantant en chœur des hymnes en faveur de leurs meurtriers.
Nous ne saurions compter le nombre des victimes innocentes et pures qui s'offrirent à Dieu en expiation de tant d'erreurs et de crimes. Parmi elles il en est une, la plus sainte et la plus pieuse de toutes, c'est celle dont je me suis proposé d'écrire l'histoire.
J'ai souvenance que lorsque j'étais encore presque enfant, j'entendais souvent les vieillards parler avec un pieux enthousiasme de Madame Élisabeth. Au nom de cette femme angélique était attaché pour eux le souvenir d'une perfection idéale. Je serais heureux si le simple récit de son passage sur la terre était accepté comme un témoignage qui confirme la juste appréciation de ces vieillards.
Depuis lors, dans toutes les circonstances de ma vie où j'étais conduit vers les souvenirs de la Révolution, ma pensée ne cessait d'évoquer avec un charme mélancolique cette douce figure qui m'attristait tout ensemble et me consolait. Je souscris volontiers aux admirations si légitimes qu'excite Marie-Antoinette, et je suis disposé à croire que par son caractère aussi bien que par ses souffrances et par sa mort, cette magnanime princesse demeurera une des grandes figures de notre histoire; mais Madame Élisabeth, sans parler autant que la Reine à mon imagination, m'inspire peut-être un sentiment plus paisible de vénération et de recueillement. Les contemporains de ces deux femmes éprouvaient pour elles, comme nous, des sentiments différents.
L'esprit dénigrant de l'époque s'ingéniait à trouver à Marie-Antoinette des goûts, des passions ou des travers qui la rapprochassent des femmes ordinaires: c'est ainsi que l'envie, qui la regardait d'en bas, se consolait de ne pouvoir nier sa beauté et sa grandeur.
La personne de Madame Élisabeth n'apparaissait qu'au second plan, et dégagée de cet éblouissant éclat qui environnait la reine de France. Le dépit n'eut pas à lui supposer des faiblesses pour se venger de son rang. Et nous-même, pour arriver à elle et pour la voir telle qu'elle est, nous n'avons pas eu besoin d'écarter l'auréole de la puissance, puis les nuages de la calomnie qui nous dérobent la fille de Marie-Thérèse.
Louis XVI, la Reine et Madame Élisabeth ont eu
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La substitution de Loizerolles père à son fils n'est restée un doute pour personne; Fouquier, dans son procès, fut obligé d'en convenir, et il rejeta la faute sur son substitut Lieudon.
«La déclaration de Loizerolles fils sur le dévouement de son père, rapporte M. Berriat-Saint-Prix, fut extrêmement touchante. Longtemps il avait ignoré ce sublime sacrifice. Mis en liberté avec sa mère le 6 brumaire an III (27 octobre 1794), quelques jours après, il l'apprit d'un ancien curé de Champigny, le sieur Pranville, d'abord enfermé à Saint-Lazare, puis à la Conciergerie, et que le 9 thermidor avait sauvé. «Embrassez-moi, dit Pranville au fils Loizerolles, nous sommes deux malheureux échappés du naufrage. Savez-vous qui vous a sauvé la vie? C'est votre père, et voici ses dernières paroles:
»Loizerolles fils avait peine à comprendre un pareil dévouement. Le lendemain il en eut la preuve. Traversant le pont de l'Hôtel-Dieu, il vit son arrêt de mort affiché parmi plusieurs autres; cet extrait était conforme au jugement du tribunal; le père condamné, c'était le fils qui était resté dans cet acte. Avec la permission d'une patrouille, Loizerolles arracha ce papier, et ce fut la première pièce qui motiva sa pétition et celle de sa mère, qui furent accueillies par la Convention. Devant le tribunal, la déposition de Loizerolles fut si intéressante, si pathétique, que l'auditoire fondit en larmes, et que le président se hâta de fermer le débat sur ce douloureux incident.»
On sait aussi que Sallier père, président à la cour des aides, fut condamné par erreur à la place de son fils, conseiller au parlement de Paris, alors absent depuis deux ans. Une autre fois, ce fut un fils qui fut immolé à la place de son père. M. et madame de Saint-Pern figuraient bien sur la liste d'accusation sous la désignation de Saint-Pern et sa femme, ex-marquis et ex-nobles, gendre et fille de Magon de la Balue. Néanmoins, leur fils, encore presque enfant (il avait dix-sept ans), fut, par ordre de Fouquier, extrait de la prison, placé parmi les accusés déjà sur les bancs, et condamné le jour même, sans avoir reçu d'acte d'accusation.
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Ce trait de tendresse paternelle est rapporté dans les
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M. Davaux, ancien lieutenant général du présidial de Riom, avait été arrêté dans cette ville, et devait être transféré à la Conciergerie. Sachant le péril qui le menace, madame Davaux, qui n'a contre elle aucun mandat d'amener, s'élance sur la voiture qui le conduit à Paris avec d'autres prisonniers des départements. À leur arrivée, elle obtient d'être enfermée avec eux, et elle partage le sort de son époux.
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«Victoire Regnier, femme Lavergne, âgée d'environ vingt-six ans, dit le
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Veuve de Camille Desmoulins, âgée de vingt-trois ans, née et domiciliée à Paris, «condamnée à mort le 24 germinal an II (13 avril 1794) par le tribunal révolutionnaire de Paris, comme convaincue d'être auteur ou complice d'une conspiration tendant à troubler l'État par une guerre civile, dissoudre la représentation nationale, assassiner ses membres, détruire le gouvernement républicain, s'emparer de la souveraineté du peuple et rétablir la monarchie.»