La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne

La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne


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mon vénérable, lui dit un jour la Reine, que vous devez voir dans notre cour une foule d'abus qui échappent à nos yeux profanes. – Il en est un qui me frappe, répondit l'évêque, c'est de m'y voir moi-même goûtant la consolation auprès de Votre Majesté, au lieu d'être à la répandre parmi mes pauvres diocésains. – Et l'habit court, reprit le Dauphin, croyez-vous que M. d'Amiens ne l'ait pas sur le cœur? – Il est vrai, Monseigneur, continua le prélat, que j'ai sur le cœur et que je trouve bien indigeste qu'on veuille nous faire déposer ici de par le Roi l'habit que nous portons de par Dieu.» Heureux de trouver dans l'évêque un complice et un défenseur de ses sentiments personnels, le Dauphin dirigea l'entretien sur la répartition souvent injuste et partant dangereuse des biens ecclésiastiques.

      «Ce danger est plus grave qu'on ne pense, dit alors M. de la Motte; la déconsidération de l'État entraîne celle de l'Église, quand le favori du trône devient le scandale du sanctuaire. – En vérité, mon vénérable, reprit la Reine, quand vous vous trouvez avec mon fils vous ne savez plus que médire, et je commence à craindre qu'après avoir énuméré les erreurs des rois, les fautes des gens d'Église, vous n'en veniez à passer en revue les torts des reines. – Madame, répondit le prélat, le plus grand tort que les reines puissent avoir sera toujours de ne pas prendre en tout Votre Majesté pour modèle. – Oh! voyez donc, s'écria la Reine, ce que c'est que respirer l'air des cours! Ne voilà-t-il pas que l'évêque d'Amiens parle le langage des courtisans les plus corrompus!»

      «Ne pensez-vous pas, lui dit une autre fois la Reine, que les évêques qui font des prières publiques pour écarter les fléaux qui affligent leurs diocèses, devraient bien en ordonner aussi pour obtenir la cessation du scandale occasionné par le déluge d'écrits licencieux qui inondent la France? – Madame, répondit le saint évêque, si nous ne nous adressons pas à Dieu pour lui demander cette grâce, c'est parce que Dieu a chargé le conseil de Versailles de nous en faire jouir. – Voilà parler en évêque, répondit le Dauphin: eh bien! demandez donc à Dieu notre conversion. – Je me garderai bien, Monseigneur, de lui demander la vôtre. – Il est vrai que sur ce chapitre, reprit le Dauphin, je sais assez à quoi m'en tenir; mais combien d'autres points sur lesquels j'aurais besoin de conversion! Aussi ne craignez pas de prier pour moi plus que pour personne, quoi que vous en dise la Reine, qui ne demande que pour elle, ajouta malicieusement le Dauphin.» Et la conversation durait longtemps avec ce même abandon16. – M. d'Orléans de la Motte avait cinquante et un ans lorsqu'il fut nommé évêque. Quelqu'un s'étonnant devant lui que cette dignité, conférée souvent dans ce temps-là à de jeunes ecclésiastiques, lui arrivât aussi tard: «C'est que, répondit-il, quand le Roi a une faute à faire, il la fait le plus tard qu'il peut17

      Le Dauphin avait eu huit sœurs: six étaient encore vivantes. Deux jumelles nées avant lui, Louise-Élisabeth, qui avait épousé don Philippe, infant d'Espagne, duc de Parme; et Henriette, morte à Versailles le 10 février 1752; quatre venues au monde après lui, Adélaïde en 1732, Victoire en 1733, Sophie en 1734, et Louise en 1737.

      Le cardinal de Fleury, effrayé des dépenses que devait causer au trésor royal l'éducation de tant de filles de France, conseilla au Roi, au mois d'avril 1738, d'en envoyer cinq à l'abbaye de Fontevrault et d'en donner la surintendance à madame de Mortemart, abbesse de cette maison. Louis XV, qui aimait tendrement ses filles, hésitait à prendre ce parti: cependant il s'y résigna. Il en coûtait aussi beaucoup à la Reine de voir ses filles s'éloigner d'elle. Adélaïde, qui n'avait guère que six ans, manifestait de son côté un grand regret de partir. On lui indiqua, dit-on, un moyen de rester à Versailles. Chaque jour ses deux sœurs aînées allaient voir le Roi au sortir de la messe. Elle se mit une fois à leur suite, se glissa devant son père, lui baisa la main et se jeta à ses pieds en pleurant. Le Roi, qui ne savait pas résister à un témoignage de tendresse, se mit à pleurer lui-même: Adélaïde ne partit pas.

      Les princesses demeurèrent à Fontevrault jusqu'à l'âge de quatorze à quinze ans. Madame Victoire en revint au mois d'avril 174818; Mesdames Sophie et Louise ensemble, en octobre 175019. À cette dernière date la Cour se trouvait à Fontainebleau, qui sembla s'embellir et s'égayer de la présence de ces jeunes visages, dont Barbier nous donne l'esquisse dans son Journal:

      «Madame Victoire est assez grande, formée, assez puissante, plus jolie qu'autrement, les yeux beaux, plus brune que blanche, et fort enjouée20;

      Madame Sophie est grande, belle princesse, ressemble au Roi et est assez sérieuse; Madame Louise est plus petite, moins blanche, fort jolie néanmoins, gaie, de l'esprit; c'est elle qui porte toujours la parole21

      Ces princesses, qui faisaient l'ornement du trône de France, semblaient prédestinées à lui créer au dehors de puissantes alliances. Il n'en fut rien: on s'était étonné de voir l'aînée d'entre elles s'allier modestement au troisième infant d'Espagne: on fut bien autrement surpris de voir ses nombreuses sœurs atteindre, dans le palais où elles étaient nées, l'âge au delà duquel on ne songe plus ordinairement à contracter les liens du mariage, sans paraître attristées de leur célibat, sans exprimer aucun regret en voyant s'évanouir une à une toutes les chances qu'elles semblaient avoir à être appelées à porter une couronne. Tenues à l'écart des affaires politiques, heureuses de ne quitter ni leur père ni leur patrie, elles voyaient s'écouler sans tristesse des jours uniformément remplis par des affections de famille, des actes de piété et des cérémonies de cour réglées par une étiquette invariable. N'y aurait-il pas quelque chose de plus dans ce renoncement au mariage, dans cette vie de recueillement presque claustral? N'est-on pas autorisé à y voir une protestation virginale contre les souillures de l'époque? Dans la conduite austère de ces princesses, filles d'un père dissolu, ne pourrait-on pas voir une intention de réparation envers la religion et la morale publique offensées, comme une satisfaction faite à la société et une expiation offerte à Dieu?

      Le Ciel semblait bénir la si parfaite union du Dauphin et de la Dauphine. Après Marie-Zéphirine et le duc de Bourgogne, ils eurent quatre autres fils et deux filles:

      En 1753, le duc d'Aquitaine, qui vécut à peine trois mois et demi;

      En 1754, le duc de Berry, qui fut Louis XVI;

      En 1755, le comte de Provence, qui fut Louis XVIII;

      En 1757, le comte d'Artois, qui fut Charles X;

      En 1759, Marie-Clotilde, qui fut reine de Sardaigne;

      Et enfin, en 1764, notre Élisabeth.

      La naissance successive de ces enfants avait resserré de plus en plus les liens du Dauphin et de la Dauphine. L'étude même que ces deux nobles cœurs avaient faite l'un de l'autre avait donné quelque chose de plus profond à leur affection: leurs sentiments, leurs goûts, étaient devenus les mêmes, et l'on peut dire qu'ils vivaient de la même vie. La perte qu'ils firent, au mois de mars 1761, du duc de Bourgogne, l'aîné de leurs quatre fils et l'héritier présomptif de la couronne après le Dauphin, avait sanctifié par les larmes une union déjà éprouvée par le temps. Ce jeune prince, d'un naturel violent et hautain, mais que l'éducation avait dompté, annonçait des qualités extraordinaires, un caractère et une instruction tels qu'on n'en avait jamais vu dans un enfant de cet âge: il succomba aux souffrances les plus douloureuses, supportées avec le courage le plus magnanime. La France s'associa aux regrets de sa famille, et Le Franc de Pompignan fit l'oraison funèbre du royal enfant, en disant que «dans un âge aussi tendre il avait rempli sa carrière en homme; que sans être parvenu au trône, il s'était montré digne de régner; que sans avoir fait de grandes choses, il avait été un grand prince; qu'il avait souffert en héros et qu'il était mort comme un saint.»

      Plus que jamais retenu dans sa demeure par le chagrin, le Dauphin s'occupa de l'éducation de ses enfants. Les devoirs d'un père envers ses enfants avaient à ses yeux un caractère sacré, et il les remplissait avec un zèle infatigable. «Si l'obscur citoyen, disait-il, doit rendre compte à son


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<p>16</p>

Vie du Dauphin, d'après l'abbé Proyart et le Père Griffet, par Henri de l'Épinois, p. 121.

<p>17</p>

Louis-François-Gabriel d'Orléans de la Motte, né à Carpentras en 1683, sacré évêque d'Amiens le 4 juillet 1734, mourut en son diocèse, dans sa quatre-vingt-douzième année.

<p>18</p>

«Madame la maréchale de Duras et autres dames ont été la chercher. Elles ont trouvé en chemin un détachement de la Maison, et le 24 du mois, le Roi et M. le Dauphin ont été au-devant d'elle la recevoir à l'étang du Plessis-Piquet; de là, ils l'ont conduite à Versailles.» (Barbier, Journal du règne de Louis XV, t. III, p. 32, in-8o, 1851.)

<p>19</p>

«Le Roi les a embrassées l'une et l'autre, pendant un quart d'heure même, en pleurant comme un bon père de famille, bourgeois de Paris.» (Id., ibid., t. III, p. 176.)

<p>20</p>

Idem, ibid., t. III, p. 32.

<p>21</p>

Journal de Barbier, t. III, p. 180.