La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne

La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne


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véritable cause de sa mort, nous persistons à le croire, ce fut le spectacle qu'il avait sous les yeux, le sentiment réfléchi des périls de sa maison, de la catastrophe qui menaçait sa patrie, et de sa propre impuissance à la prévenir. Il y avait là une torture qui était autre chose que la fatigue occasionnée par des parades militaires et des manœuvres d'artillerie. C'était moins à l'aspect d'un simulacre de bataille que les forces lui manquaient qu'à l'aspect de ce royal édifice qui penchait déjà sur sa race, et dont, malgré son grand cœur, il ne se sentait pas capable d'empêcher la chute.

      Ses funérailles eurent lieu avec tous les honneurs dus à son rang. La Gazette de France du vendredi 3 janvier 1766 en donne le récit officiel:

      «Après la mort de Mgr le Dauphin, son corps est demeuré exposé dans le château de Fontainebleau. Le Roi a ordonné que le duc d'Orléans y resteroit pour commander les détachements de sa maison militaire et domestique qui devoient faire le service, et pour donner tous les ordres convenables relativement aux obsèques et au transport du corps de Fontainebleau à Sens, où feu Mgr le Dauphin a désiré d'être enterré. Le samedi 28 du mois dernier, tout étant prêt pour le départ du convoi, l'archevêque de Reims, grand aumônier, fit à onze heures du matin la cérémonie de lever le corps, qui fut placé dans le char destiné à le porter à l'église métropolitaine de Sens. Le convoi se mit en marche peu après dans l'ordre suivant: Deux gardes du corps, soixante pauvres portant des flambeaux, plusieurs carrosses des personnes qui composoient le deuil, cinquante mousquetaires de la seconde compagnie, cinquante de la première, cinquante chevau-légers, deux carrosses du Roi occupés par les menins, un autre carrosse du Roi dans lequel étoient le duc d'Orléans, le duc de Tresmes, le duc de Fronsac et le marquis de Chauvelin, un quatrième dans lequel étoient l'archevêque de Reims, un aumônier du Roi, le confesseur de feu Mgr le Dauphin et le curé de l'église paroissiale de Fontainebleau, les pages de Madame la Dauphine, les pages de la Reine, vingt-quatre pages du Roi et plusieurs écuyers de Leurs Majestés, quatre trompettes des écuries, les hérauts d'armes, le maître des cérémonies, le marquis de Dreux, grand maître des cérémonies, quatre chevau-légers, le char funèbre, aux deux côtés duquel marchoient les Cent-Suisses de la garde du Roi, et qui étoit entouré d'un grand nombre de valets de pied de Sa Majesté. Quatre aumôniers du Roi portoient les quatre coins du poêle; les commandants des gendarmes, des chevau-légers et des mousquetaires marchoient près des roues. Le sieur de Saint-Sauveur, lieutenant des gardes du corps, suivoit le char à la tête de son détachement, qui précédoit cinquante gendarmes. Toutes les troupes de Sa Majesté, ainsi que les pages et les valets de pied, portoient des flambeaux. La marche étoit fermée par des carrosses des personnes qui composoient le deuil.

      »Vers les sept heures du soir, le convoi arriva à Sens. Le cardinal de Luynes, archevêque de cette ville, reçut le corps de Mgr le Dauphin à la porte de l'église; l'archevêque de Reims le présenta au cardinal; le cercueil fut porté dans le chœur; on chanta les prières ordinaires; après quoi le duc d'Orléans et toutes les personnes qui avoient accompagné le convoi se retirèrent. Le corps de Mgr le Dauphin a été exposé dans le chœur de l'église pendant la nuit, et le lendemain 29, on a fait un service solennel, qui a été célébré par le cardinal de Luynes, et auquel le duc d'Orléans et toutes les personnes nommées ci-dessus ont assisté. Après le service, le corps de Mgr le Dauphin a été inhumé dans le caveau qui avoit été construit pour l'y déposer.»

      Telles furent les funérailles du Dauphin de France, père des rois Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, ces trois frères qui se succédèrent dans la lignée des Bourbons, comme celle des Valois avait été close par trois frères. Un mausolée lui fut élevé dans la métropole de Sens, des historiens écrivirent sa vie, des orateurs prononcèrent son éloge; la douleur du peuple fut sa plus belle oraison funèbre. Encore un quart de siècle, et ces cérémonies des royales obsèques ne se seraient pas déroulées à la mort du fils de Louis XV. C'est pour cela que j'ai cru devoir m'arrêter un instant devant le cercueil de ce prince, avant de toucher à l'histoire de Madame Élisabeth, sa fille. Son cercueil, en effet, est comme une borne milliaire entre les choses d'autrefois et les choses nouvelles, entre le repos et les orages, entre la monarchie et la révolution. Il nous servira à constater la marche que nous aurons faite sur le terrain brûlant des réformes sociales et des essais politiques. Ce fils de Louis XV avait assez vécu pour voir l'esprit orgueilleux des libres penseurs prévaloir sur l'esprit de l'Évangile. Il savait que Voltaire dominait le siècle, et que la raillerie ou la révolte ne laisserait debout aucune autorité consacrée par le temps. Aussi, avant de mourir, il demanda pour ses restes une sépulture moins royale que celle de ses aïeux. Il semble que ce n'était pas assez pour lui de fuir le Louvre, il voulut s'éloigner de Saint-Denis, que la révolution devait aussi visiter dans ses fureurs.

      L'orphelin de onze ans que nous avons vu apparaître dans l'appartement de Louis XV au moment où la vie du Dauphin venait de s'éteindre, était sous quelques rapports digne d'un père si justement regretté. Sa jeune âme s'ouvrait à tous les sentiments vertueux, son esprit à toutes les sciences utiles. Il est permis de croire que si son père eût occupé le trône pendant quinze à vingt ans, et que ce jeune prince, avant d'y monter à son tour, eût été formé à l'école paternelle, la France aurait eu ces deux bons règnes que le Dauphin jugeait nécessaires pour sauver la monarchie.

      Malheureusement son héritier ne fut point préparé par une intelligente et mâle éducation aux luttes qu'il devait rencontrer. Ses études subissaient l'influence de ce temps d'imprévoyance et d'erreur. Les instituteurs des princes leur enseignaient à modérer leur pouvoir beaucoup mieux qu'à le maintenir, et de leur côté les princes, désireux de complaire à l'opinion, dépouillaient le trône de son prestige et mettaient de l'orgueil à montrer qu'ils n'étaient plus à craindre.

      Louis XV toutefois, malgré ses défauts, n'était pas un prince sans clairvoyance et sans fermeté. Apportant un grand esprit de modération dans son conseil, il laissait volontiers, dans les matières ordinaires, passer la décision à la majorité, alors même qu'elle était contraire à son avis; mais il savait, dans les affaires d'État, imposer son opinion. Aucun prince ne sut mieux écouter ni observer plus mûrement avant de prendre un parti. On sait combien il fut lent à se décider dans les deux actes les plus importants de son règne, l'expulsion des jésuites et le changement des parlements. Mais lorsqu'il n'était question que des prérogatives et affaires des princes de sa maison, il ne consultait même point son conseil, se regardant comme le seul législateur des droits de sa famille. Voici une loi qui fait également l'éloge de son esprit et de son cœur. Sollicité de régler le cérémonial entre Madame la Dauphine et l'aîné de ses fils (Louis XVI): «Il n'y a que la couronne, dit-il, qui puisse décider absolument du rang. Le droit naturel le donne aux mères: ainsi Madame la Dauphine l'aura sur son fils jusqu'à ce qu'il soit roi.»

      Pénétrée des devoirs sacrés que lui imposait la perte qu'elle venait de faire, Madame la Dauphine essaya de surmonter sa douleur pour se dévouer à l'éducation de ses enfants. Élisabeth, qui n'avait que dix-huit mois, et dont le tempérament était toujours extrêmement délicat, occupait particulièrement sa vigilante sollicitude. Chaque jour la chétive existence de cette enfant était en péril, et ce ne fut qu'à force de soins et de tendresse qu'elle fut disputée à la mort: elle dut donc deux fois la vie à sa mère.

      Un peu rassurée sur la santé de sa dernière-née, dont le pâle visage se colorait de jour en jour d'un rayon de vie, la Dauphine songea à se tracer pour l'instruction de ses enfants un plan de conduite et d'étude, et en chercha les éléments dans une liasse de papiers laissés par leur père avec cette suscription: «Écrits pour l'éducation de mon fils de Berry.» L'examen de ces documents, qu'avec un sentiment pieux elle appelait son trésor, ne se terminait jamais sans larmes. Avec le concours d'une personne éclairée et discrète, elle en tira des notes, des observations, des conseils qu'elle fondit dans un plan d'étude suivi, dont elle médita longuement chaque article. Ce labeur occupa sa première année de deuil, et elle s'y était appliquée avec tant d'attention qu'elle avait appris par cœur quelques préceptes touchants afin de les enseigner à ses fils. Ce plan d'étude achevé, elle le soumit à l'approbation du Roi24.

      Qui


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<p>24</p>

Nous avons recherché ce document intéressant et peu connu, que le lecteur trouvera à la fin du volume, no II.