La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne

La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne


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le maréchal de Contades et tous les corps du clergé, de la magistrature et de la noblesse. Pendant la grand'messe, les magistrats en corps se présentèrent à l'offrande, et firent lire par l'un des avocats généraux de la ville l'acte d'un vœu solennel, qui fut déposé sur l'autel.

      «Dieu tout-puissant, arbitre des destinées, vous donnez aux peuples dans votre miséricorde les rois selon votre cœur. Les jours de notre auguste monarque Louis le Bien-Aimé sont menacés. Voyez le magistrat et le peuple prosternés aux pieds de vos autels. Ils viennent vous supplier de prolonger, pour la gloire de votre nom et pour notre bonheur, les jours précieux de notre monarque et notre père. En reconnoissance de ce bienfait, nous faisons le vœu public et solennel, au nom de cette ville, de renouveler annuellement nos actions de grâces par le sacrifice de la messe, que nous ferons célébrer à cet effet; et comme votre miséricorde entend de préférence la voix des pauvres, nous promettons de doter en mariage quatre personnes indigentes nées de cette ville, pour en jouir autant qu'il plaira à votre divine bonté de conserver la vie de notre Roi, pour laquelle nous offrons mille fois les nôtres.»

      Ce vœu, que nous citons à cause de la manière dont il est énoncé, devait rester inexécuté. Dans la soirée du 8, l'état du Roi empira.

      Dès qu'il connut la nature de son mal, Louis XV désespéra de sa guérison. «Je n'entends pas, dit-il, qu'on renouvelle ici la scène de Metz.» C'était ordonner le renvoi de madame du Barry. Elle se retira à Ruel chez le duc d'Aiguillon. Quelques personnes de la cour, au nombre de quinze, dit-on, crurent devoir l'y visiter. Leurs livrées furent remarquées. Une sorte de défaveur rejaillit sur ces personnes. Longtemps après, pour désigner l'une d'elles, on disait dans le cercle de la famille royale: «C'était une des quinze voitures de Ruel.»

      M. le Dauphin, menacé d'être roi, demandait instamment à Dieu d'éloigner de lui ce malheur. Dans la matinée du 9 mai, il écrivit à l'abbé Terray ce billet, que l'histoire doit conserver: «Monsieur le contrôleur général, je vous prie de faire distribuer sur-le-champ deux cent mille francs aux pauvres de Paris, pour prier Dieu pour le Roi; et si vous trouvez que c'est trop cher, retenez-les sur nos pensions à Madame la Dauphine et à moi.»

      Louis XV, sentant le danger où il se trouvait, demanda l'extrême-onction, qui lui fut administrée le 9, à neuf heures du soir, par l'évêque de Senlis, son premier aumônier. Il reçut ce sacrement avec une piété édifiante, et, malgré ses souffrances, ne cessa de joindre ses prières à celles qu'on faisait pour lui. «Le prêtre qui lui administra les derniers sacrements, rapporte Anquetil38, demanda publiquement, par son ordre et en son nom, pardon des scandales qu'il avait donnés.» Dans la nuit du 9 au 10, ses souffrances devinrent atroces; dans la matinée du 10, elles se calmèrent un peu, et à trois heures de l'après-midi, elles cessèrent tout à fait. Louis XV était âgé de soixante-quatre ans trois mois et cinq jours.

      Un symptôme infaillible annonçait de minute en minute la fin de plus en plus prochaine du monarque. Une foule considérable encombrait les abords du palais, et l'Œil-de-bœuf se remplissait de courtisans.

      Le Dauphin avait résolu de quitter Versailles avec sa famille au moment même de la mort du Roi. Dans une telle circonstance, il eût été peu convenable de transmettre de bouche en bouche des ordres positifs de départ. La bienséance inventa un moyen de correspondance entre le château et l'écurie: une bougie placée sur une fenêtre de l'appartement royal devait être éteinte aussitôt que le Roi aurait fermé les yeux. Les écuyers tenaient l'œil fixé sur cette petite lumière, avec laquelle allait finir un règne.

      Au bout d'une demi-heure, la fenêtre s'ouvre et la lumière est éteinte. Les carrosses de la cour sont attelés, les gardes du corps, les écuyers, les pages montent à cheval. Cependant un bruit terrible et ressemblant, dit la chronique, à celui du tonnerre, se faisait entendre dans l'appartement de Louis XV: c'était la foule des courtisans désertant l'antichambre du Roi mort et se précipitant dans l'antichambre du nouveau Roi. C'est ce bruit étrange et sinistre qui annonça à Louis XVI et à Marie-Antoinette que leur règne commençait. Tous deux, par un mouvement spontané, tombèrent à genoux, les yeux pleins de larmes, et en s'écriant: «Mon Dieu! guidez-nous, protégez-nous; nous régnons trop jeunes.» À ce moment, madame la comtesse de Noailles entre, et la première salue Madame la Dauphine comme reine de France; elle prie Leurs Majestés de vouloir bien quitter les cabinets intérieurs pour venir dans la chambre recevoir les hommages de la famille royale et des grands officiers de la couronne. Appuyée au bras de son époux, un mouchoir sur les yeux, la jeune Reine, dans l'attitude la plus touchante, reçoit ces premières visites. Les carrosses sont avancés, l'escorte est à cheval; l'horloge du palais marque quatre heures; toute la cour part pour Choisy: Mesdames, tantes du Roi, dans leur voiture particulière, Madame Clotilde et Madame Élisabeth avec madame la comtesse de Marsan et leurs sous-gouvernantes; le Roi, la Reine, Monsieur, frère du Roi, Madame, le comte et la comtesse d'Artois réunis dans une même voiture.

      Le château de Versailles est désert. Courtisans, serviteurs, laquais se hâtent de fuir l'atmosphère pestilentielle que désormais aucun intérêt ne donne le courage d'affronter. En quittant la chambre mortuaire, le duc de Villequier enjoint à M. Andouillé, premier chirurgien du Roi, d'ouvrir le corps et de l'embaumer. «Je dois nécessairement en mourir, répondit Andouillé, mais je suis prêt; seulement, pendant que j'opérerai, vous tiendrez la tête: votre charge vous en fait un devoir.» M. de Villequier se retira, n'insistant plus pour que l'opération fût faite; aussi ne le fut-elle pas. Il devint urgent de procéder le plus tôt possible à l'ensevelissement. Le cercueil fut apporté, les chirurgiens y firent verser une quantité d'esprit-de-vin. Quelques pauvres ouvriers, grassement rémunérés, mirent dans le linceul et couchèrent dans la bière celui qui peu d'heures auparavant était le roi de France.

      Cependant le carrosse du nouveau Roi et de sa famille cheminait vers Choisy. La scène solennelle dont ils venaient d'être témoins, celle qui s'ouvrait devant eux, les disposaient naturellement à des pensées tristes et graves; mais à moitié route, un mot plaisamment estropié par madame la comtesse d'Artois fit éclater un rire électrique; les larmes furent essuyées, et les trois couples royaux reprirent le caractère de leur âge.

      La Gazette de France du 13 mai contenait le panégyrique du feu Roi, rappelant les hauts faits accomplis sous son règne: la Lorraine acquise à la France, l'érection d'un grand nombre de monuments publics, l'établissement de l'École militaire, la protection accordée aux arts, les grandes voies ouvertes pour la facilité du commerce; puis la Gazette énumérait les qualités d'esprit et de cœur qui avaient conquis à ce prince l'affection populaire39. Les éloges décernés au royal défunt par un journal ne trouvèrent point d'écho dans les sentiments publics. On était loin du temps où la France en larmes avait prodigué à Louis XV des témoignages d'affection. Sans doute quelques pages militaires avaient honoré ce long règne; il léguait au pays des créations utiles et des acquisitions glorieuses. Mais lorsqu'on en pesait d'une main impartiale les torts et les mérites, c'était le plateau des torts qui emportait la balance. Le niveau de la France était descendu en Europe, et le niveau de la royauté était descendu en France. Louis XV, qui avait gaspillé le présent, laissait à son héritier un menaçant avenir. Le peuple apprenait que son Roi avait vaillamment supporté cette maladie purulente dont le dégoût augmente les douleurs; mais il avait vu dans les souffrances du prince le châtiment même de ses désordres.

      Les Feuillants du monastère royal de Saint-Bernard, près des Tuileries, dont la mission est de prier au lit de mort des princes de la maison royale, avaient été, dès le soir du 10 mai, mandés par le grand aumônier pour remplir leur office. Leur charité et leur dévouement furent vaincus par l'insupportable odeur d'un cadavre en dissolution. Dès le 12, il devint indispensable de procéder à la levée du corps. À sept heures du soir, le convoi funèbre sortit du château, sans cérémonie, selon l'usage pratiqué pour les princes qui meurent de la petite vérole40. Le clergé des deux paroisses et les Récollets de Versailles suivirent le cercueil jusqu'à la place d'Armes; l'évêque de Senlis, premier aumônier de Sa Majesté, l'accompagna jusqu'à Saint-Denis. Le peuple,


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Histoire de France, an XIII (1805), t. XIII, p. 196 à 203.

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La plupart des princes de l'Europe avaient une respectueuse sympathie pour Louis XV. Informée de la mort de ce monarque, Marie-Thérèse écrivait de Luxembourg, le 18 mai 1774, à la jeune Reine de France: «Je regretterai toute ma vie ce prince et cet ami, votre bon et tendre beau-père. J'admire en même temps la grâce de Dieu d'avoir donné le moment au Roi de recourir à sa divine miséricorde, et les paroles du grand aumônier prononcées de la part du Roi ne peuvent se lire sans fondre en larmes et espérer son salut. Nous avons d'abord interdit tout spectacle ici; nous ne verrons personne avant le 24, où on mettra le grand deuil, et je le porterai tout le reste de mes jours. Je ne vous fais point de compliments sur votre dignité, qui est achetée bien chèrement, mais qui le deviendra encore plus si vous ne pouvez mener la même vie tranquille et innocente que vous avez menée pendant ces trois années, par les bontés et complaisances du bon père, et qui vous a attiré l'approbation et l'amour de vos peuples, grand avantage pour votre situation présente; mais il faut la savoir conserver et l'employer au bien du Roi et de l'État. Vous êtes tous deux bien jeunes, le fardeau est grand; j'en suis en peine et vraiment en peine. Sans que votre adorable père dans le cas pareil m'auroit soutenue, jamais je n'aurois pu en sortir, et j'étois plus âgée que vous deux. Tout ce que je puis vous souhaiter, c'est que vous ne précipitiez rien: voyez par vos propres yeux, ne changez rien, laissez tout continuer de même; le chaos et les intrigues deviendroient insurmontables, et vous seriez, mes chers enfants, si troublés que vous ne pourriez vous en tirer. Je puis vous en parler d'expérience. Quel autre intérêt pourrois-je avoir de vous conseiller d'écouter surtout les conseils de Mercy? Il connoît la cour et la ville; il est prudent et vous est entièrement attaché. Dans ce moment-ci regardez-le autant comme un ministre de vous que le mien, quoique cela combine très-bien. L'intérêt de nos deux États exige que nous nous tenions aussi étroitement liés d'intérêt comme de famille. Votre gloire, votre bien-être m'est autant à cœur que le nôtre. Ces malheureux temps de jalousie n'existent plus entre nos États et intérêts; mais notre sainte religion, le bien de nos États exigent que nous restions unis de cœur et d'intérêt, et que le monde soit convaincu de la solidité de ce lien… Mes vieux jours ne peuvent couler tranquillement qu'en vous voyant tous deux, mes chers enfants, heureux. J'en prie et ferai prier instamment à ce sujet. En vous donnant ma bénédiction, je suis toujours…»

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Gazette de France du lundi 16 mai 1774.