Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis

Pauline, ou la liberté de l'amour - Dumur Louis


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aime à ta façon, qui est, sinon la bonne, du moins la plus agréable, et ne cherche pas à m'inspirer autre chose qu'une profonde admiration pour ceux qui, comme toi, parlent encore avec bonheur de l'amour.

      – Si j'en parle avec bonheur, Réderic, ce n'est pas que j'en ignore les souffrances. Tout à l'heure, rêvant aux femmes que j'ai aimées, à ces disparues qui furent tour à tour mon univers, je me suis senti enveloppé d'une effroyable mélancolie. Quel était le résultat de ces bouleversements d'âme, de ces tumultes de passion? L'amour n'était-il donc qu'un perpétuel leurre? Mais quoi! C'est là la vie elle-même. Bienheureux celui qui a vécu, fût-ce pour avoir à dire ensuite: La vie c'est le néant! Vois-tu, mon cher, il n'y a encore que ces envahissements du cœur par l'amour, pour remplir ce vide de l'existence, si terrifiant lorsqu'on cède au vertige d'y penser. Ceux qui réfléchissent sont peut-être des sages: ceux qui aiment sont ou des fous, radieux inconscients qui ne sont nullement à plaindre, ou de plus sages encore que les sages, qui ont appris l'inanité de la sagesse et retournent avec transport à l'inoubliable folie.

      – Et la folie, c'est la sagesse, ou vice versa! fit Réderic en riant. Allons! je vois avec plaisir que le monde n'est pas encore près d'entrevoir la vérité. Il me semble que toi-même, au moment où tu quittais Paris et que tu secouais contre cette ville agitée la poussière de tes pieds, tu vantais avec éloquence les avantages d'une vie chaste et exempte de passions. Comment concilier cela avec tes dithyrambes d'aujourd'hui?

      – Cela ne se concilie pas: ou plutôt cela se concilie, comme tout ce qui est inconciliable, par les soubresauts du désir humain. Penses-tu que je sois toujours le même, que je n'aie pas comme un autre, plus qu'un autre, mes époques de dégoût et de fatigue? Les fins de passions sont généralement marquées par de pareilles lassitudes. Le cœur inoccupé cesse de vivre, devient philosophe, rêve de calme, c'est-à-dire d'anéantissement. Mais comme l'anéantissement n'est guère possible, le cœur, privé d'alimentation présente, se met à ruminer tristement les souvenirs du passé. Ce sont alors ces théories fausses et creuses sur l'amour qui viennent tenir la place de l'amour lui-même. On n'aime plus, et l'on raisonne sur ce que c'est qu'aimer. Il n'est pas étonnant qu'au lieu du calme que l'on cherchait on rencontre l'amertume. La mélancolie n'atteint que ceux qui regardent en arrière. Regarder en avant, tout est là! Et l'on s'en aperçoit vite, dès qu'une passion naissante prend en victorieuse possession de ce cœur béant, lui apparaissant tout à coup, à lui qui niait, évidente comme la révélation, irrésistible comme le salut.

      – Le coup de la grâce!

      – Et une fois plein de la seule chose qui puisse le remplir, l'amour, il lui semble qu'il retrouve le bonheur, qu'il avait perdu, le bonheur avec ses périls, c'est vrai, mais avec sa souveraine vitalité, son éternelle jeunesse. Il ne conçoit plus qu'on discute l'amour: il n'aspire qu'à aimer.

      – Le coup de grâce!

      – Voilà mon état présent, Réderic. Ce que je me demande seulement, avec une douce angoisse, c'est si mon cœur, qui recommence à battre, s'est mis en mouvement pour une de ces passions sérieuses et bénies qui remuent l'homme entier et l'arrachent décidément aux mesquineries de la solitude. Tout à l'heure, je recevais une lettre de Mme de Rocrange. Rarement j'ai eu plus vivement conscience de ce crime de mon existence: avoir consenti, fût-ce pour quelques mois, à vivre sans amour avec une femme.

      – Qu'est-ce alors que d'aimer une femme comme j'aime Julienne, la détestant cordialement et attendant le jour de délivrance où j'en serai guéri?

      – C'est étrange!

      – Hélas, non! La plupart de tes contemporains aiment ainsi, et c'est toi qui es exceptionnel.

      Ils arrivaient sur le boulevard.

      – Nous prenons l'apéritif? dit Réderic.

      – Si tu veux, répondit Odon. Où dînes-tu, ce soir?

      – Quelle question! Chez les Chandivier.

      Ils s'assirent à la terrasse d'un café.

      – L'amour est pourtant la raison de la vie, dit Odon.

      – Connu! fit Réderic. Garçon, l'absinthe!

      V

      – Je servirai le thé aujourd'hui, chère amie, si vous voulez bien me confier ces délicates fonctions, dit Julienne, qui était arrivée la première, pimpante, à la réception de Pauline. Qui comptez-vous avoir?

      – Peu de monde, les habitués. Je rétrécis de plus en plus le cercle de mes relations.

      – Les miennes s'étendent: je ne sais comment cela se fait.

      – C'est que vous aimez la société, et que la société vous le rend.

      – La société est bien polie.

      – Aurons-nous M. Chandivier?

      – Mon mari est très occupé; il viendra cependant, un peu tard: il m'a priée de l'attendre. Mais je puis vous annoncer la visite de Paul.

      – Paul? demanda Pauline.

      – Oui, Paul Réderic: il se nomme Paul.

      – Ah! Et celle de Sénéchal probablement?

      – Méchante! Sénéchal ne va dans le monde que flanqué de sa femme, la Sénéchale, ainsi qu'on l'appelle, cette grosse dame confite dans ses prétentions. Avec elle, ce cher sénateur devient assommant; il pontifie comme dans la vénérable assemblée dont il est d'ailleurs un des pavots les plus hauts en fleur.

      – Puis, deux ou trois «bonnes amies», je pense.

      – Mme d'Orgely, Mme Sermais, la baronne Citre?

      – Oui. Peut-être les Béhutin: et voilà.

      – En fait d'hommes, c'est tout?

      – Le vicomte, Sénéchal, Réderic, votre mari, le mien… mon Dieu, oui! à moins que l'une de ces dames n'amène aussi le sien, ce qui est peu probable, ces messieurs ne se montrant guère avant le dîner et ces dames étant charmées d'avoir un prétexte pour sortir sans leurs époux. Sous l'œil marital, elles sont moins libres de médire.

      – Elles sont bien bonnes de se gêner! Avec ça que les messieurs s'en privent!

      – Oui, mais avec les femmes des autres.

      – Ou entre eux, ce qui est effrayant. Essayez un peu, comme je me suis quelquefois amusée à le faire, d'écouter à leur insu la conversation des hommes. Elle est épouvantable. Ils nous traitent comme de simples filles.

      – Cela ne tire pas à conséquence: ils n'en disent pas plus avec leurs termes crus que nous par nos sous-entendus. Quelque opinion d'ailleurs qu'ils aient sur nous, ils ne s'en prévalent jamais pour nous nuire. Tant qu'une femme n'est maltraitée que par les hommes, elle peut dormir tranquille. Qu'elle tombe, au contraire, entre les mains des femmes, elle est perdue. Comme ce sont celles-ci qui font la société, elles se voient toutes puissantes pour en expulser qui elles veulent; et les hommes laissent faire, sûrs de retrouver ailleurs la malheureuse qu'ils n'ont pas su ou pas voulu défendre.

      – Celles qui se laissent prendre manquent vraiment d'habileté, dit Julienne. Il est si facile d'exciter à la fois l'amour des hommes et le respect des femmes.

      – Ce n'est pas si facile: il y a des femmes qui font causer les hommes et des hommes qui ne craignent pas de livrer aux femmes les choses qui se disent entre hommes. Ces femmes-là, ces hommes-là surtout sont dangereux.

      – En connaissez-vous?

      – Il y en a partout. Les femmes y mettent toujours quelque scélératesse; les hommes, soit l'amour du scandale, soit de la bêtise, soit seulement de la faiblesse: mais le résultat est acquis.

      – Vous faites les gens plus mauvais qu'ils ne sont, ma chère Pauline.

      – Les gens sont mauvais sans s'en douter. C'est si simple d'exécuter son prochain en riant!

      – Serait-ce, par hasard, moi le prochain? fit Réderic qui entrait.

      – Vous


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