Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis
rien ne vous enthousiasme, et il faut vous forcer jusque dans vos retranchements pour obtenir de vous quelque signe, peut-être factice, de sensibilité. Enfin, vous êtes abominablement mystérieux! Voyez Sénéchal: le plein jour. Avec lui, on est à l'aise: on sait toujours ce qu'il veut et ce qu'il pense.
– Quelle éternelle coquette vous faites, observa Réderic avec un sourire forcé: mais ses sourcils se froncèrent de colère.
– C'est mal, la coquetterie? demanda Julienne du ton le plus innocent. Qu'en dites-vous, Pauline?
Pauline dédaignait la coquetterie. Elle la jugeait peu digne lorsqu'il s'agissait de séduire, odieuse quand elle devait servir à attiser la jalousie. Agir franchement et simplement, aussi bien envers ceux qu'on aime qu'envers ceux qu'on n'aime pas, lui paraissait à la fois plus noble et plus sûr. Le mouvement d'humeur de Réderic ne lui échappa pas. Elle comprit qu'il était malheureux des continuelles piqûres faites à son amour-propre, à ses sentiments, à son caractère par la coquetterie de Julienne. Son extérieur de sceptique cachait une âme sujette aux susceptibilités.
– Eh bien, vous n'exprimez pas votre avis? fit Julienne. Je vois que vous êtes l'ennemie de la coquetterie.
– C'est vrai, me sentant à la fois incapable d'être coquette par grâce et trop hautaine pour l'être par méchanceté.
– Dites plutôt, madame, reprit Réderic, que les coquettes font tout coquettement, le bien et le mal.
– Et le mal plutôt que le bien? interrogea finement Julienne.
– Cela dépend, dit Réderic: il y a des hommes qui ne peuvent supporter la coquetterie; pour eux une femme coquette est un démon. Moi qui suis persuadé qu'une femme est toujours un démon, j'aime autant un démon coquet qu'un autre.
– Merci du compliment! s'écria Julienne. Démon coquet! quelle impertinence!
Attiré par les voix, Facial arriva d'une chambre voisine.
– Bonjour, mesdames, tous mes respects.
Et serrant la main de Réderic:
– Mon cher monsieur, vous êtes le bienvenu. J'aime beaucoup qu'il y ait des hommes aux réceptions de ma femme. J'ai même pris mes mesures pour leur être agréable. Voyez donc!
Facial souleva une portière et découvrit une pièce arrangée en fumoir, au milieu de laquelle se trouvait un guéridon chargé de boîtes de cigares, de cigarettes et d'une cave à liqueurs.
– Comment, vous allez nous enlever ces messieurs? protesta Julienne.
– N'ayez pas peur, dit Facial: ces messieurs ne négligeront pas de vous présenter leurs hommages, et ce n'est qu'après avoir rempli ce devoir qu'ils passeront chez moi pour causer un peu entre hommes.
– Est-ce assez perfide! Ils ne resteront auprès de nous que le strict quart d'heure de politesse.
– Pour commencer, je profite de l'invitation, dit Réderic. Vous permettez, Madame? ajouta-t-il en s'adressant à Pauline.
– Vous voyez, déjà une désertion! fit Julienne.
– Oui, dit Facial, mais voici des recrues pour nous remplacer.
Et il s'élança sur les talons de Réderic en lui criant:
– Les cigarettes russes sont dans la boîte en argent.
Pauline se leva pour recevoir. Mme d'Orgely, très élégante, la baronne Citre, très complimenteuse, Mme Sermais, très bavarde, arrivèrent successivement, emplissant bientôt le salon de paroles et d'attitudes.
Mais que devint Pauline, lorsqu'elle vit entrer chez elle la vicomtesse de Béhutin accompagnée d'Odon de Rocrange? Son cœur palpita avec violence. Elle eut néanmoins la force de dissimuler une grande partie de son émotion, mais pas tellement qu'Odon ne s'aperçût avec bonheur de l'effet que son apparition imprévue venait de produire.
La vicomtesse se chargea d'expliquer cette présence, qui, du reste, aux yeux des indifférents, ne pouvait rien avoir d'insolite.
– Chère madame, dit-elle après s'être assise et avoir reçu une tasse de thé des mains de Julienne, le vicomte m'a priée de l'excuser auprès de vous, un rhume le retient à la maison. Moi-même, j'aurais peut-être été privée du plaisir de vous rendre visite, si M. de Rocrange, mon frère, lequel avait d'ailleurs de son côté l'intention de se présenter chez vous, n'avait bien voulu prendre la place de mon mari. Vous savez que je n'aime pas à sortir seule.
Pauline reprit possession d'elle-même. Une joie exquise coulait dans ses veines. Si Odon avait tenu à la revoir, n'était-ce point qu'il s'était passé entre eux quelque chose qu'il n'oubliait pas plus qu'elle? Et maintenant, rien qu'à surprendre dans ses yeux de ces regards qui ne trompent pas, au milieu des paroles quelconques qui voltigeaient autour d'eux et qu'eux-mêmes prononçaient, elle sentait à n'en pas douter l'intérêt excité par elle chez l'homme dont elle éprouvait le charme. Odon était semblablement heureux. Il leur semblait à tous deux, sans s'être encore rien dit, qu'ils venaient de se comprendre.
Mais ils s'observèrent scrupuleusement. Exposés aux malveillances, un signe eût pu les trahir. Pauline n'avait pas l'astuce et l'aisance de Julienne, qui permettaient à celle-ci de mener plusieurs intrigues de front, en plein salon, et avec un tel sans-gêne que chacun, admirant son esprit et sa grâce, oubliait de se demander ce qu'il y avait de sérieux sous sa comédie et affectait de considérer comme de brillantes plaisanteries ses plus impudentes audaces. Pauline était trop sincère, et surtout faisait trop l'effet de l'être, pour que chacune de ses manifestations ne fût pas grosse de conséquences. Elle obviait à ce défaut par une prudence et un tact parfaits. Elle avait si bien réussi jusqu'ici que, comme Réderic l'avait dit à Odon, il ne courait pas sur elle le moindre bruit ayant quelque consistance. Julienne ne laissait cependant pas de l'épier. La sachant discrète et la seule femme dont elle n'eût pas à craindre l'hostilité, elle prenait plaisir à ne lui rien cacher de sa vie. Mais elle eût voulu que Pauline lui rendît la pareille, sans songer qu'elle-même était incapable d'inspirer à son amie une semblable confiance; et quoique celle-ci lui assurât toujours qu'elle n'avait aucune confidence à faire, Julienne n'en était que plus disposée à croire qu'il y avait quelque chose et à chercher ce que pouvait bien être ce quelque chose.
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