Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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qui avait son refuge dans le grenier au-dessus du laboratoire de Jacques, répondit seul par son ululement.

      – Ô mon Dieu! murmura-t-elle.

      Elle frappa une seconde fois; pour mieux voir, en même temps, le commissionnaire levait sa lanterne.

      En ce moment, le hibou, attiré par la lumière, passa entre la lanterne et Éva.

      Éva sentit le vent de son aile.

      Elle poussa un faible cri.

      Le commissionnaire eut peur, il laissa tomber la lanterne, qui s'éteignit.

      Il la ramassa; une lumière brillait à travers une petite fenêtre étroite et basse.

      – Je vais aller rallumer ma lanterne, dit-il.

      – Non, restez, fit Éva en lui mettant la main sur l'épaule; il me semble que j'entends du bruit dans la maison.

      En effet, on venait d'entendre le bruit d'une porte qui se refermait; puis un pas lourd qui descendait lentement l'escalier.

      Ce pas s'approcha de la porte. Éva était muette et tremblante comme s'il s'agissait de sa vie.

      – Qui est là? demanda une voix tremblante.

      – Moi, Marthe, moi! répondit Éva d'une voix joyeuse.

      – Ô mon Dieu, notre chère demoiselle! s'écria la vieille femme, qui avait reconnu la voix d'Éva après trois ans d'absence.

      Et elle ouvrit vivement la porte.

      – Et le docteur? demanda-t-elle.

      – Il vit, répondit Éva; il se porte bien. Dans quelques jours il sera ici.

      – Qu'il revienne! Que je le revoie et que je meure! dit la vieille Marthe. Voilà tout ce que je demande à Dieu.

** *

      En quittant la petite maison de la rue de Provence, Jacques Mérey était rentré à l'hôtel de Nantes qu'il avait trouvé vide.

      Il avait poussé un soupir.

      Peut-être était-il triste d'avoir été si vite et si bien obéi.

      Il fit venir une marchande à la toilette, lui donna tous les vêtements qu'Éva portait sur elle lorsqu'elle s'était jetée à la Seine, jusqu'aux bas et aux souliers, et lui ordonna en échange de donner 10 francs au premier pauvre qu'elle rencontrerait.

      Mais il remit et renferma dans son portefeuille la lettre du marquis de Chazelay.

      Puis il s'enferma dans la chambre d'Éva, où il s'était fait servir d'avance son souper, déroula le manuscrit et commença de lire.

      Le titre du premier chapitre était: En France.

      IX

      LE MANUSCRIT

      I

      Ce fut le 14 août 1792, jour de cruelle mémoire, que je fus séparée de mon bien-aimé Jacques, près duquel j'étais depuis sept ans, et que j'adorais depuis le jour où j'eus la connaissance de moi-même.

      Je lui dois tout. Avant lui je ne voyais pas, je n'entendais pas, je ne pensais pas; j'étais comme ces âmes que Jésus a tirées des limbes, c'est-à-dire des lieux bas, pour les conduire au soleil.

      Aussi, malheur à moi si j'oubliais jamais, ne fût-ce qu'une seconde, celui à qui je dois tout!

      (Arrivé là de sa lecture, Jacques poussa un soupir, laissa tomber sa tête sur sa main, et une larme glissa de ses paupières sur le manuscrit. Il l'essuya avec son mouchoir, s'essuya les yeux et se remit à lire.)

      Le coup était d'autant plus violent qu'il était plus inattendu.

      Une heure avant l'arrivée du marquis de Chazelay, – je n'ai pas encore le courage d'appeler mon père cet homme que je ne connais que par la douleur, – il n'y avait pas d'être plus heureux que moi. Une heure après qu'il m'eût séparée de mon Jacques, il n'y eut pas de créature plus malheureuse.

      J'étais folle de douleur, plus que folle, idiote. On eût dit que Jacques avait gardé avec lui toutes les idées que, avec si grand'peine, pendant sept ans, il m'avait fait entrer dans le cerveau.

      On m'emmena au château de Chazelay.

      Du château de Chazelay, de ses appartements immenses, de ses meubles splendides, de ses portraits de famille, je ne me souviens que d'une simple peinture.

      C'était le portrait d'une femme en robe de bal.

      On me le montra en disant:

      – Voilà le portrait de ta mère!

      – Où est-elle, ma mère? demandai-je.

      – Elle est morte.

      – Comment?

      – Un soir qu'elle s'habillait pour aller à une fête, le feu prit à sa robe; elle se sauva d'appartement en appartement, le vent activa la flamme, elle tomba étouffant quand on vint à elle pour la secourir.

      Il y avait une tradition dans les environs que, si quelque malheur devait arriver à l'un des habitants du château, on entendait des cris et l'on voyait la nuit, à travers les fenêtres, tournoyer des flammes.

      On ne parlait que de la chasteté de sa vie, que du bien qu'elle faisait, que de la reconnaissance des pauvres gens pour elle.

      C'était tout à la fois une sainte et une martyre.

      Dans la situation d'esprit où j'étais, ma mère m'apparaissait comme mon seul refuge; c'était mon intermédiaire naturel auprès du Seigneur.

      Je passais des heures à genoux devant son portrait, et, à force de la regarder, je croyais voir s'illuminer son auréole.

      Puis quand je me levais de devant elle, c'était pour aller coller mon visage aux carreaux d'une fenêtre du même salon donnant sur la route d'Argenton. J'espérais toujours, quoique je comprisse la folie de cette espérance, j'espérais toujours le voir arriver pour me délivrer.

      On avait d'abord ordonné de ne pas me laisser sortir; mais lorsque M. de Chazelay vit dans quel état de torpeur je m'enfonçais de plus en plus, il ordonna lui-même que l'on m'ouvrit toutes les portes. Il y avait tant de serviteurs au château, que l'un d'eux pouvait toujours avoir les yeux sur moi.

      Un jour, voyant les portes ouvertes, je sortis machinalement; puis, à cent pas du château, je m'assis sur une pierre et me mis à pleurer.

      Au bout d'un instant, je vis une ombre se projeter sur moi; je levai la tête: un homme était debout et me regardait avec une expression de pitié.

      Moi je le regardai avec une expression d'effroi, car c'était le même homme qui accompagnait le marquis et le commissaire de police quand le marquis était venu me réclamer; le même qui t'avait fait une visite quelques jours auparavant, mon bien-aimé Jacques, et qui m'avait trouvée si fort embellie: c'était enfin mon père nourricier, Joseph le bûcheron.

      Cet homme me fit horreur; je me levai et voulus m'éloigner.

      Mais lui:

      – Il ne faut pas me haïr pour ce que j'ai fait, ma chère demoiselle, car je ne pouvais pas faire autrement. M. le marquis avait une reconnaissance de ma main constatant que je vous avais reçue de lui et que je m'obligeais à vous rendre à lui à la première réquisition. Il est venu et il a exigé mon témoignage. Je l'ai donné.

      Il y avait dans la voix de cet homme un tel accent de vérité que je me contentai de lui dire en me rasseyant:

      – Je vous pardonne, Joseph, quoique vous ayez contribué à me rendre bien malheureuse.

      – Il n'y a pas de ma faute, ma chère demoiselle, et, si je puis racheter cela par des complaisances, ordonnez et je vous obéirai de grand cœur.

      – Vous iriez à Argenton si je vous en priais?

      – Sans doute.

      – Et vous lui remettriez une lettre?

      – Certainement.

      – Attendez.


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