Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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la joie de faire un dernier signe d'adieu et de remerciement à un homme qui se tenait seul à la fenêtre d'une petite maison isolée.

      C'était son hôte de la rue des Marais.

      Comme la journée était déjà avancée, on ne fit que cinq lieues ce jour-là, et l'on s'arrêta à Somme-Vesle, c'est-à-dire à la première station après Châlons.

      Là le sergent Milcent reçut les félicitations bien sincères de tous ses hommes sur le toast qu'il avait porté au déjeuner. En général les volontaires n'étaient ni des fanatiques ni des énergumènes: c'étaient de vrais patriotes, qui prouvaient leur patriotisme autrement que par de vaines déclamations.

      Léon Milcent leur avait été présenté, nous l'avons dit, comme ayant déjà fait la campagne de 92. Aussi les soldats qui allaient pour la première fois rejoindre leur drapeau le prièrent de s'arrêter à l'endroit d'où l'on pourrait le mieux découvrir le champ de bataille de Valmy.

      Le faux sergent le leur promit, et la chose lui était facile.

      La campagne commença en réalité à Pont-Somme-Vesle, car, le village se composant de deux ou trois maisons seulement, il fallut organiser un bivac.

      Heureusement les gardes nationaux avaient bourré les sacs des volontaires de toutes sortes de provisions. Les uns tirèrent un poulet, les autres un pâté; celui-ci une bouteille de vin, celui-là un saucisson, de sorte que le dîner se ressentit de la prodigalité du déjeuner.

      Quant à la nuit (on était au 5 juin) le temps était doux; on la passa à la belle étoile, sous les arbres magnifiques qui sont à la gauche de la route en allant à Sainte-Menehould.

      Les volontaires qui étaient du pays racontèrent aux autres comment c'était là, c'est-à-dire à Pont-Somme-Vesle, que le roi, lors de sa fuite, avait eu sa première déception, c'est-à-dire n'avait point trouvé les hussards qui devaient l'attendre et qui avaient été dispersés par les paysans.

      Au reste, toute la légende de Louis XVI à Varennes est encore vivante dans le pays.

      Dans la soirée, un postillon de Sainte-Menehould passa ramenant des chevaux de la poste de Drouet.

      Jacques Mérey l'arrêta, lui donna un assignat de cinq francs à la condition qu'il dirait en passant au maître de l'auberge de la Lune, d'envoyer sur la route au devant des volontaires, un âne chargé de pain, de vin et de tout ce qu'il aurait de viande rôtie.

      L'aubergiste était invité en même temps à préparer, pour quatre heures, un dîner de vingt personnes.

      Le postillon partit en promettant de s'acquitter de la commission.

      Le lendemain, à six heures, le tambour réveilla les dormeurs. On se secoua, on but le reste de l'eau-de-vie que contenaient les bidons, et l'on se mit en route avec une certaine inquiétude.

      Il y avait six lieues de Pont-Somme-Vesle à Sainte-Menehould, et nul n'avait connaissance des mesures prises.

      La première heure de marche s'écoula assez gaiement, mais la fin de la seconde voyait la moitié de nos volontaires lutter contre un découragement croissant, lorsque le sergent Léon Milcent aperçut à la hauteur de la source de l'Aisne un âne conduit par un petit paysan.

      – Mes amis, dit-il, si j'étais Moïse, que vous fussiez des Hébreux au lieu d'être des Français, et que je vous conduisisse à la terre promise au lieu de vous conduire à l'ennemi, je croirais avoir besoin d'un miracle pour soutenir votre courage, et je vous dirais que Jéhovah nous envoie cet âne et ce paysan. Mais j'aime mieux vous dire tout simplement que c'est le maître de l'hôtel de la Lune qui nous l'envoie et qu'il porte notre déjeuner. En conséquence, comme la place me paraît propice, je me permettrai de vous crier halte! et de vous inviter à mettre les fusils en faisceaux.

      Jamais harangue, si éloquente qu'elle fût, ne fut reçue par de semblables acclamations, et jamais conducteur de tribu, fût-il prophète, n'eut une ovation comparable à celle du faux sergent.

      D'abord les volontaires n'y voulaient pas croire; mais le petit paysan, s'arrêtant et arrêtant son âne:

      – C'est t'y pas vous, dit-il, qui avez commandé qu'on vous apporte sur la route un déjeuner et qu'on vous prépare là-bas à l'auberge un dîner de vingt personnes.

      – Ah! le malheureux, s'écria Léon Milcent, il me fait manquer mon effet!

      Puis, se tournant vers les volontaires:

      – Mes amis, leur dit-il, vous avez bien voulu me reconnaître pour votre chef; or c'est au chef de se préoccuper de la nourriture de ses soldats.

      – Ah ça! c'est bien ici, n'est-ce pas? répéta le paysan.

      – Eh! oui, idiot.

      – Mais, mon sergent, dit un homme de la troupe après s'être consulté avec deux ou trois de ses camarades, il en est quelques-uns de nous qui n'ont point d'argent et qui comptaient sur l'argent du gouvernement pour nous défrayer en route; nous aimons mieux vous dire cela tout de suite, sergent, que de vous voir nous traiter en grands seigneurs, quand nous ne sommes que de pauvres diables.

      – Que cela ne vous inquiète pas, mes chers camarades, dit Jacques Mérey qui reprenait sa gaieté au fur à mesure qu'il se rapprochait du moment où il allait revoir Éva; – de même que je suis chargé de la nourriture de ma troupe, je suis chargé de sa paye. Quand vous serez arrivé à destination, vous recevrez votre arriéré et nous réglerons tout cela. En attendant, à table!

      La table fut un beau tapis vert où chacun se coucha pour manger à la manière romaine.

      Pris à l'improviste, il n'y avait point de profusion dans ce qu'envoyait l'aubergiste de la Lune, mais il y avait assez.

      Le déjeuner fut d'autant plus gai qu'il était plus inattendu; chacun y puisa des forces pour continuer son chemin. Un boiteux qui s'était donné une entorse le matin, prit l'âne et tout alla à merveille.

      Le gamin seul se prétendait lésé, attendu, disait-il, que c'était à lui que l'âne devait appartenir; mais un verre de vin et un assignat de dix sous lui rendirent sa belle humeur.

      On arriva à quatre heures à l'auberge de la Lune, et l'on trouva la table prête. Selon la recommandation de Jacques Mérey, on l'avait dressée à l'extrémité du petit jardin de l'auberge qui dominait toute la plaine de Valmy.

      Jacques Mérey et ses volontaires étaient juste postés à la place où, le jour de la bataille, étaient placés le roi de Prusse, Brunswick et l'état-major.

      La plaine était couverte de moissons.

      Des ondulations indiquaient les endroits où les Prussiens morts étaient couchés dans de grandes fosses.

      Partout où ces ondulations se manifestaient, une végétation plus vive attestait la présence de cet engrais animal qu'on appelle l'homme, et qui a seul l'honneur de pouvoir faire concurrence au guano.

      Grâce à ces jalons, la démonstration devenait facile pour Jacques Mérey.

      À un kilomètre à peu près, au fond d'une petite vallée ayant quelque ressemblance avec celle de Waterloo, les ondulations s'arrêtaient.

      Les Prussiens n'avaient pas même atteint le pied de la colline de Valmy.

      Sur cette colline étaient Kellermann, ses seize mille hommes et sa batterie de canons.

      Derrière lui, sur le mont Ivron, les six mille hommes qu'y avait fait filer Dumouriez pour empêcher son collègue d'être tourné.

      À sa gauche, le moulin à vent, derrière lequel un obus mit le feu à quelques caissons, ce qui jeta un instant de trouble dans les rangs français.

      – Et vous, demandèrent les volontaires, où étiez-vous?

      Le faux sergent poussa un soupir et montra de la main l'espace compris entre Sainte-Menehould et Braux-Sainte-Cubière.

      – Alors, dit un des volontaires, tu étais avec Dumouriez?

      – Oui, dit Jacques Mérey, je suis de ce pays-ci, et je lui avais servi de


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