Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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rien à craindre, prit à Thionville une petite voiture, dont le propriétaire, moyennant un assignat de six livres, s'engagea à le conduire à la ferme des Trois-Chênes, une des plus belles qui soient situées sur la rive droite de la Moselle, à une lieue et demie de la frontière.

      À dix heures du matin, toujours sous son costume de sergent de volontaires, Jacques Mérey descendit à la porte de la ferme, et, sous l'ombrage des trois chênes qui lui avaient fait donner son nom et en homme qui est sûr d'être bien reçu, il paya et renvoya sa voiture.

      Puis il regarda avec curiosité les bâtiments en homme qui cherche à rappeler ses souvenirs.

      Un chien accourut en aboyant contre lui, mais il étendit la main et le calma.

      Aux aboiements du chien un enfant accourut, un beau petit garçon blond comme un rayon de soleil.

      – Prenez garde, monsieur, dit-il, Thor est méchant.

      Thor était le nom du chien.

      – Pas avec moi, dit le volontaire. Tu vois?

      Il fit un signe à Thor et Thor vint le caresser.

      – Qui es-tu? demanda le petit garçon au volontaire.

      – Je n'ai pas besoin de te demander qui tu es, toi: tu es le petit-fils de Hans Rivers.

      – Oui.

      – Où est ton grand-père?

      – Dans la ferme.

      – Conduis-moi à lui.

      – Venez.

      Il prit la main de l'enfant et s'avança avec lui vers un perron au haut duquel parut un vieillard d'une soixantaine d'années.

      – Grand-papa, dit l'enfant qui courut à lui, voici un monsieur qui nous connaît.

      Le vieillard leva son bonnet de laine, saluant de la main, interrogeant des yeux.

      – Monsieur, lui dit Jacques, j'avais l'âge de cet enfant quand je vins, et c'est la seule et unique fois que j'y vins. J'étais avec mon père, Daniel Mérey; vous signâtes avec lui le bail de cette ferme, que je vous ai renouvelé, il y a, je crois, trois ans.

      – Dieu me bénisse! s'écria Hans, seriez-vous notre maître Jacques Mérey?

      Jacques se mit à rire.

      – Je ne suis le maître de personne, dit-il, car, à mon avis, l'homme n'a d'autre maître que lui-même. Je suis tout simplement votre propriétaire.

      – Jeanne, Marie, Thibaud, accourez tous, s'écria le vieillard, un jour heureux nous arrive! Venez, venez, venez!

      Et au fur et à mesure qu'il appelait, les appelés accouraient et se rangeaient autour de lui.

      – Regardez bien monsieur, dit-il, vous tous, tant que vous êtes, et vous aussi, dit-il, étendant l'invitation à deux garçons de charrue, à un berger et à une gardeuse de dindons, c'est à lui que nous devons tout, monsieur, c'est notre bienfaiteur, Jacques Mérey.

      Un cri s'échappa de toutes les bouches, les têtes se découvrirent.

      – Entrez chez vous! dit le vieillard. Du moment où vous avez mis le pied dans la maison, nous ne sommes plus que vos serviteurs.

      Tous se rangèrent.

      Jacques Mérey entra.

      – Allez chercher à la charrue Bernard et aux vaches Rosine… Bah! c'est aujourd'hui fête, on ne travaille pas.

      Bernard et Rosine étaient le fils aîné et la belle-fille du vieillard, le père et la mère de l'enfant blond.

      Une heure après, tout le monde était réuni autour de la table du dîner. Il était midi.

      Hans était le grand-père, Jeanne était la grand-mère, Bernard était le fils aîné, Rosine était sa femme, Thibaud était un second fils de vingt-deux ans, Marie était une fille de dix-huit, Richard était l'enfant blond de dix ans, le fils de Bernard et de Rosine. C'était toute la famille.

      L'aïeul avait cédé son fauteuil à Jacques qui présidait la table.

      On en était arrivé au dessert.

      – Hans Rivers, dit Jacques, combien y a-t-il de temps que vous êtes fermier dans notre famille?

      – Il y a, monsieur Jacques, attendez donc! c'était entre la naissance de Thibaud et celle de Marie… il y a vingt et un ans, monsieur Jacques.

      – Pendant combien d'années avez-vous payé vos redevances?

      – Tant que votre digne père, M. Daniel, a vécu, c'est-à-dire quinze ans.

      – Il y a donc sept ans que vous ne m'avez rien payé?

      – C'est vrai, monsieur Jacques; mais d'après votre ordre.

      – Je vous ai dit: Vous êtes d'honnêtes gens, gardez vos redevances, achetez du bien avec; plus vous serez riches, plus je le serai.

      – Vous nous avez dit cela, monsieur Jacques, mot pour mot, et, en nous disant cela, vous avez commencé notre fortune.

      – Et quand on a mis en vente les biens des émigrés, c'est-à-dire de ceux qui se battent contre la France, je vous ai dit: Vous devez avoir de l'argent de côté, à moi ou à vous, peu importe; achetez du bien d'émigré, c'est du bon bien qui ne se vendra pas plus de deux ou trois cents francs l'arpent, et qui vaudra celui qui se vend six et huit.

      – Nous avons fait comme vous avez dit, monsieur Jacques, de sorte qu'aujourd'hui nous avons trois cents arpents de terre à nous. Ça nous fait, Dieu nous pardonne! presque aussi riches que notre maître. Il est vrai que là-dessus nous vous devons, avec les intérêts composés, près de quarante mille francs. Mais nous sommes prêts à vous les rendre, non pas en mauvais papier, mais en bon argent, comme nous vous le devons.

      – Il n'est pas question de cela, mes amis. Je n'ai pas besoin de cet argent maintenant; mais peut-être en aurai-je besoin plus tard.

      – Vous savez, à ce moment-là vous le direz, monsieur Jacques, et huit jours après, foi de Hans Rivers! vous serez payé.

      Jacques se mit à rire.

      – Vous auriez un moyen de me payer plus rapide et plus simple, dit-il; ce serait d'aller me dénoncer. Je suis proscrit. On me couperait le cou, et vous ne me devriez plus rien.

      Le père et les enfants, à ces mots, jetèrent un cri et se levèrent debout.

      Puis le père leva les bras au ciel.

      – Ils vous ont proscrit, vous, dit-il, vous le droit, vous la justice, vous la représentation de Dieu sur la terre; mais que veulent-ils donc?

      – Ils veulent le bien; ils croient le vouloir du moins. Alors, comme je suis obligé de quitter la France à mon tour et que je pourrais être arrêté à la frontière, j'ai pensé à vous, Hans Rivers.

      – Ah! voilà qui est bien! monsieur Jacques.

      – J'ai dit, Hans Rivers tient une ferme de mon père sur la Moselle, à deux kilomètres de la frontière, il doit être chasseur.

      – Je ne le suis plus, mais mes deux fils Bernard et Thibaud le sont.

      – Cela revient au même; ils doivent avoir un bateau sur la rivière?

      – Ah! oui, dit Thibaud, et un joli bateau; c'est moi qui le soigne. Vous verrez, monsieur Jacques.

      – Eh bien, je mettrai les habits du père Hans ou d'un de ses enfants; nous monterons dans le bateau, comme des chasseurs de gibier d'eau. La chasse est toujours ouverte sur la rivière. Nous nous laisserons aller à la dérive jusqu'à Trèves, et, une fois là, une fois hors de France, je serai sauvé.

      – Ce sera à votre loisir, monsieur Jacques, dit le père Hans. Tout de suite si vous voulez.

      – Ma foi, non! mon brave ami, répliqua Jacques Mérey; il sera temps demain matin. Vous croiriez que j'ai eu peur de passer une nuit sous votre toit.

      Le lendemain,


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