Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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sans doute. Vous envoyez ici un messager qui loue, en votre nom, toute la ville du Havre, sans s'inquiéter des Français qui doivent venir au-devant de Madame. C'est peu fraternel, monsieur le duc, pour le représentant d'une nation amie.

      – La terre est au premier occupant, dit Buckingham.

      – Pas en France, monsieur.

      – Et pourquoi pas en France?

      – Parce que c'est le pays de la politesse.

      – Qu'est-ce à dire? s'écria Buckingham d'une façon si emportée, que les assistants se reculèrent, s'attendant à une collision immédiate.

      – C'est-à-dire, monsieur, répondit de Guiche en pâlissant, que j'ai fait construire ce logement pour moi et mes amis, comme l'asile des ambassadeurs de France, comme le seul abri que votre exigence nous ait laissé dans la ville, et que dans ce logement j'habiterai, moi et les miens, à moins qu'une volonté plus puissante et surtout plus souveraine que la vôtre ne me renvoie.

      – C'est-à-dire ne nous déboute, comme on dit au palais, dit doucement Manicamp.

      – J'en connais un, monsieur, qui sera tel, je l'espère, que vous le désirez, dit Buckingham en mettant la main à la garde de son épée.

      En ce moment, et comme la déesse Discorde allait, enflammant les esprits, tourner toutes les épées contre des poitrines humaines, Raoul posa doucement sa main sur l'épaule de Buckingham.

      – Un mot, milord, dit-il.

      – Mon droit! mon droit d'abord! s'écria le fougueux jeune homme.

      – C'est justement sur ce point que je vais avoir l'honneur de vous entretenir, dit Raoul.

      – Soit, mais pas de longs discours, monsieur.

      – Une seule question; vous voyez qu'on ne peut pas être plus bref.

      – Parlez, j'écoute.

      – Est-ce vous ou M. le duc d'Orléans qui allez épouser la petite- fille du roi Henri IV?

      – Plaît-il? demanda Buckingham en se reculant tout effaré.

      – Répondez-moi, je vous prie, monsieur, insista tranquillement

      Raoul.

      – Votre intention est-elle de me railler, monsieur? demanda

      Buckingham.

      – C'est toujours répondre, monsieur, et cela me suffit. Donc, vous l'avouez, ce n'est pas vous qui allez épouser la princesse d'Angleterre.

      – Vous le savez bien, monsieur, ce me semble.

      – Pardon, mais c'est que, d'après votre conduite, la chose n'était plus claire.

      – Voyons, au fait, que prétendez-vous dire, monsieur?

      Raoul se rapprocha du duc.

      – Vous avez, dit-il en baissant la voix, des fureurs qui ressemblent à des jalousies; savez-vous cela, milord? or, ces jalousies, à propos d'une femme, ne vont point à quiconque n'est ni son amant, ni son époux; à bien plus forte raison, je suis sûr que vous comprendrez cela, milord, quand cette femme est une princesse.

      – Monsieur, s'écria Buckingham, insultez-vous Madame Henriette?

      – C'est vous, répondit froidement Bragelonne, c'est vous qui l'insultez, milord, prenez-y garde. Tout à l'heure, sur le vaisseau amiral, vous avez poussé à bout la reine et lassé la patience de l'amiral. Je vous observais, milord, et vous ai cru fou d'abord; mais depuis j'ai deviné le caractère réel de cette folie.

      – Monsieur!

      – Attendez, car j'ajouterai un mot. J'espère être le seul parmi les Français qui l'ait deviné.

      – Mais, savez-vous, monsieur, dit Buckingham frissonnant de colère et d'inquiétude à la fois, savez-vous que vous tenez là un langage qui mérite répression?

      – Pesez vos paroles, milord, dit Raoul avec hauteur; je ne suis pas d'un sang dont les vivacités se laissent réprimer; tandis qu'au contraire, vous, vous êtes d'une race dont les passions sont suspectes aux bons Français; je vous le répète donc pour la seconde fois, prenez garde, milord.

      – À quoi, s'il vous plaît? Me menaceriez-vous?

      – Je suis le fils du comte de La Fère, monsieur de Buckingham, et je ne menace jamais, parce que je frappe d'abord. Ainsi, entendons-nous bien, la menace que je vous fais, la voici…

      Buckingham serra les poings; mais Raoul continua comme s'il ne s'apercevait de rien.

      – Au premier mot hors des bienséances que vous vous permettrez envers Son Altesse Royale. Oh! soyez patient, monsieur de Buckingham; je le suis bien moi.

      – Vous?

      – Sans doute. Tant que Madame a été sur le sol anglais, je me suis tu; mais, à présent qu'elle a touché au sol de la France, maintenant que nous l'avons reçue au nom du prince, à la première insulte que, dans votre étrange attachement, vous commettrez envers la maison royale de France, j'ai deux partis à prendre: ou je déclare devant tous la folie dont vous êtes affecté en ce moment, et je vous fais renvoyer honteusement en Angleterre; ou, si vous le préférez, je vous donne du poignard dans la gorge en pleine assemblée. Au reste, ce second moyen me paraît le plus convenable, et je crois que je m'y tiendrai.

      Buckingham était devenu plus pâle que le flot de dentelle d'Angleterre qui entourait son cou.

      – Monsieur de Bragelonne, dit-il, est-ce bien un gentilhomme qui parle?

      – Oui; seulement, ce gentilhomme parle à un fou. Guérissez, milord, et il vous tiendra un autre langage.

      – Oh! mais, monsieur de Bragelonne, murmura le duc d'une voix étranglée et en portant la main à son cou, vous voyez bien que je me meurs!

      – Si la chose arrivait en ce moment, monsieur, dit Raoul avec son inaltérable sang-froid, je regarderais en vérité cela comme un grand bonheur, car cet événement préviendrait toutes sortes de mauvais propos sur votre compte et sur celui des personnes illustres que votre dévouement compromet si follement.

      – Oh! vous avez raison, vous avez raison, dit le jeune homme éperdu; oui, oui, mourir! oui, mieux vaut mourir que souffrir ce que je souffre en ce moment.

      Et il porta la main sur un charmant poignard au manche tout garni de pierreries qu'il tira à moitié de sa poitrine.

      Raoul lui repoussa la main.

      – Prenez garde, monsieur, dit-il; si vous ne vous tuez pas, vous faites un acte ridicule, si vous vous tuez, vous tachez de sang la robe nuptiale de la princesse d'Angleterre.

      Buckingham demeura une minute haletant. Pendant cette minute, on vit ses lèvres trembler, ses joues frémir, ses yeux vaciller, comme dans le délire.

      Puis, tout à coup:

      – Monsieur de Bragelonne, dit-il, je ne connais pas un plus noble esprit que vous; vous êtes le digne fils du plus parfait gentilhomme que l'on connaisse. Habitez vos tentes!

      Et il jeta ses deux bras autour du cou de Raoul. Toute l'assistance émerveillée de ce mouvement auquel on ne pouvait guère attendre, vu les trépignements de l'un des adversaires et la rude insistance de l'autre, l'assemblée se mit à battre des mains, et mille vivats, mille applaudissements joyeux s'élancèrent vers le ciel. De Guiche embrassa à son tour Buckingham, un peu à contrecoeur, mais enfin il l'embrassa.

      Ce fut le signal: Anglais et Français, qui, jusque-là, s'étaient regardés avec inquiétude, fraternisèrent à l'instant même. Sur ces entrefaites arriva le cortège des princesses, qui, sans Bragelonne, eussent trouvé deux armées aux prises et du sang sur les fleurs.

      Tout se remit à l'aspect des bannières.

      Chapitre LXXXVI – La nuit

      La concorde était revenue s'asseoir au milieu des tentes.

      Anglais


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