Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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les princesses quittait le bord du vaisseau amiral au moment même où Buckingham mettait pied à terre. Une barque suivait, remplie d'officiers, de courtisans et d'amis empressés.

      Toute la population du Havre, embarquée à la hâte sur des bateaux de pêche et des barques plates ou sur de longues péniches normandes, accourut au devant du bateau royal.

      Le canon des forts retentissait; le vaisseau amiral et les deux autres échangeaient leurs salves, et des nuages de flammes s'envolaient des bouches béantes en flocons ouatés de fumée au- dessus des flots, puis s'évaporaient dans l'azur du ciel.

      La princesse descendit aux degrés du quai. Une musique joyeuse l'attendait à terre et accompagnait chacun de ses pas.

      Tandis que, s'avançant dans le centre de la ville, elle foulait de son pied délicat les riches tapisseries et les jonchées de fleurs, de Guiche et Raoul, se dérobant du milieu des Anglais, prenaient leur chemin par la ville et s'avançaient rapidement vers l'endroit désigné pour la résidence de Madame.

      – Hâtons-nous, disait Raoul à de Guiche, car, du caractère que je lui connais, ce Buckingham nous fera quelque malheur en voyant le résultat de notre délibération d'hier.

      – Oh! dit le comte, nous avons là de Wardes, qui est la fermeté en personne, et Manicamp, qui est la douceur même.

      De Guiche n'en fit pas moins diligence, et, cinq minutes après, ils étaient en vue de l'Hôtel de Ville.

      Ce qui les frappa d'abord, c'était une grande quantité de gens assemblés sur la place.

      – Bon! dit de Guiche, il paraît que nos logements sont construits.

      En effet, devant l'hôtel, sur la place même, s'élevaient huit tentes de la plus grande élégance, surmontées des pavillons de France et d'Angleterre unis.

      L'Hôtel de Ville était entouré par des tentes comme d'une ceinture bigarrée; dix pages et douze chevau-légers donnés pour escorte aux ambassadeurs montaient la garde devant ces tentes. Le spectacle était curieux, étrange; il avait quelque chose de féerique. Ces habitations improvisées avaient été construites dans la nuit. Revêtues au-dedans et au-dehors des plus riches étoffes que de Guiche avait pu se procurer au Havre, elles encerclaient entièrement l'Hôtel de Ville, c'est-à-dire la demeure de la jeune princesse; elles étaient réunies les unes aux autres par de simples câbles de soie, tendus et gardés par des sentinelles, de sorte que le plan de Buckingham se trouvait complètement renversé, si ce plan avait été réellement de garder pour lui et ses Anglais les abords de l'Hôtel de Ville.

      Le seul passage qui donnât accès aux degrés de l'édifice, et qui ne fût point fermé par cette barricade soyeuse, était gardé par deux tentes pareilles à deux pavillons, et dont les portes s'ouvraient aux deux côtés de cette entrée.

      Ces deux tentes étaient celles de de Guiche et de Raoul, et en leur absence devaient toujours être occupées: celle de de Guiche, par de Wardes; celle de Raoul par Manicamp.

      Tout autour de ces deux tentes et des six autres, une centaine d'officiers, de gentilshommes et de pages reluisaient de soie et d'or, bourdonnant comme des abeilles autour de leur ruche.

      Tout cela, l'épée à la hanche, était prêt à obéir à un signe de de Guiche ou de Bragelonne, les deux chefs de l'ambassade. Au moment même où les deux jeunes gens apparaissaient à l'extrémité d'une rue aboutissant sur la place, ils aperçurent, traversant cette même place au galop de son cheval, un jeune gentilhomme d'une merveilleuse élégance. Il fendait la foule des curieux, et, à la vue de ces bâtisses improvisées, il poussa un cri de colère et de désespoir. C'était Buckingham, Buckingham sorti de sa stupeur pour revêtir un éblouissant costume et pour venir attendre Madame et la reine à l'Hôtel de Ville.

      Mais à l'entrée des tentes on lui barra le passage, et force lui fut de s'arrêter.

      Buckingham, exaspéré, leva son fouet; deux officiers lui saisirent le bras.

      Des deux gardiens, un seul était là. De Wardes, monté dans l'intérieur de l'Hôtel de Ville, transmettait quelques ordres donnés par de Guiche.

      Au bruit que faisait Buckingham, Manicamp, couché paresseusement sur les coussins d'une des deux tentes d'entrée, se souleva avec sa nonchalance ordinaire, et s'apercevant que le bruit continuait, apparut sous les rideaux.

      – Qu'est-ce, dit-il avec douceur, et qui donc mène tout ce grand bruit?

      Le hasard fit qu'au moment où il commençait à parler, le silence venait de renaître, et bien que son accent fût doux et modéré, tout le monde entendit sa question. Buckingham se retourna, regarda ce grand corps maigre et ce visage indolent.

      Probablement la personne de notre gentilhomme, vêtu d'ailleurs assez simplement, comme nous l'avons dit, ne lui inspira pas grand respect, car il répondit dédaigneusement:

      – Qui êtes-vous, monsieur?

      Manicamp s'appuya au bras d'un énorme chevau-léger, droit comme un pilier de cathédrale, et répondit du même ton tranquille:

      – Et vous, monsieur?

      – Moi, je suis milord duc de Buckingham. J'ai loué toutes les maisons qui entourent l'Hôtel de Ville, où j'ai affaire; or, puisque ces maisons sont louées, elles sont à moi, et puisque je les ai louées pour avoir le passage libre à l'Hôtel de Ville, vous n'avez pas le droit de me fermer ce passage.

      – Mais, monsieur, qui vous empêche de passer? demanda Manicamp.

      – Mais vos sentinelles.

      – Parce que vous voulez passer à cheval, monsieur, et que la consigne est de ne laisser passer que les piétons.

      – Nul n'a le droit de donner de consigne ici, excepté moi, dit

      Buckingham.

      – Comment cela, monsieur? demanda Manicamp avec sa voix douce.

      Faites-moi la grâce de m'expliquer cette énigme.

      – Parce que, comme je vous l'ai dit, j'ai loué toutes les maisons de la place.

      – Nous le savons bien, puisqu'il ne nous est resté que la place elle-même.

      – Vous vous trompez, monsieur, la place est à moi comme les maisons.

      – Oh! pardon, monsieur, vous faites erreur. On dit chez nous le pavé du roi; donc, la place est au roi; donc, puisque nous sommes les ambassadeurs du roi, la place est à nous.

      – Monsieur, je vous ai déjà demandé qui vous étiez! s'écria

      Buckingham exaspéré du sang-froid de son interlocuteur.

      – On m'appelle Manicamp, répondit le jeune homme d'une voix éolienne, tant elle était harmonieuse et suave.

      Buckingham haussa les épaules.

      – Bref, dit-il, quand j'ai loué les maisons qui entourent l'Hôtel de Ville, la place était libre; ces baraques obstruent ma vue, ôtez ces baraques!

      Un sourd et menaçant murmure courut dans la foule des auditeurs. De Guiche arrivait en ce moment; il écarta cette foule qui le séparait de Buckingham, et, suivi de Raoul, il arriva d'un côté, tandis que de Wardes arrivait de l'autre.

      – Pardon, milord, dit-il; mais si vous avez quelque réclamation à faire, ayez l'obligeance de la faire à moi, attendu que c'est moi qui ai donné les plans de cette construction.

      – En outre, je vous ferai observer, monsieur, que le mot baraque se prend en mauvaise part, ajouta gracieusement Manicamp.

      – Vous disiez donc, monsieur? continua de Guiche.

      – Je disais, monsieur le comte, reprit Buckingham avec un accent de colère encore sensible, quoiqu'il fût tempéré par la présence d'un égal, je disais qu'il est impossible que ces tentes demeurent où elles sont.

      – Impossible, fit de Guiche, et pourquoi?

      – Parce qu'elles me gênent.

      De Guiche laissa échapper un mouvement


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