Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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oui, dit le prince triomphant, il l'est certainement; mais enfin suppose qu'il ne soit point flatté, et dis-moi ton avis.

      – Monseigneur, Votre Altesse est bien heureuse d'avoir une si charmante fiancée.

      – Soit, c'est ton avis sur elle; mais sur moi?

      – Mon avis, monseigneur, est que vous êtes beaucoup trop beau pour un homme.

      Le chevalier de Lorraine se mit à rire aux éclats.

      Monseigneur comprit tout ce qu'il y avait de sévère pour lui dans l'opinion du comte de Guiche.

      Il fronça le sourcil.

      – J'ai des amis peu bienveillants, dit-il.

      De Guiche regarda encore le portrait; mais après quelques secondes de contemplation, le rendant avec effort à Monsieur:

      – Décidément, dit-il, monseigneur, j'aimerais mieux contempler dix fois Votre Altesse qu'une fois de plus Madame.

      Sans doute le chevalier vit quelque chose de mystérieux dans ces paroles qui restèrent incomprises du prince, car il s'écria:

      – Eh bien! mariez-vous donc!

      Monsieur continua à se mettre du rouge; puis, quand il eut fini, il regarda encore le portrait, puis se mira dans la glace et sourit. Sans doute il était satisfait de la comparaison.

      – Au reste, tu es bien gentil d'être venu, dit-il à de Guiche; je craignais que tu ne partisses sans venir me dire adieu.

      – Monseigneur me connaît trop pour croire que j'eusse commis une pareille inconvenance.

      – Et puis tu as bien quelque chose à me demander avant de quitter

      Paris?

      – Eh bien! Votre Altesse a deviné juste; j'ai, en effet, une requête à lui présenter.

      – Bon! parle.

      Le chevalier de Lorraine devint tout yeux et tout oreilles; il lui semblait que chaque grâce obtenue par un autre était un vol qui lui était fait.

      Et comme de Guiche hésitait:

      – Est-ce de l'argent? demanda le prince. Cela tomberait à merveille, je suis richissime; M. le surintendant des finances m'a fait remettre cinquante mille pistoles.

      – Merci à Votre Altesse; mais il ne s'agit pas d'argent.

      – Et de quoi s'agit-il? Voyons.

      – D'un brevet de fille d'honneur.

      – Tudieu! Guiche, quel protecteur tu fais, dit le prince avec dédain; ne me parleras-tu donc jamais que de péronnelles?

      Le chevalier de Lorraine sourit; il savait que c'était déplaire à

      Monseigneur que de protéger les dames.

      – Monseigneur, dit le comte, ce n'est pas moi qui protège directement la personne dont je viens de vous parler; c'est un de mes amis.

      – Ah! c'est différent; et comment se nomme la protégée de ton ami?

      – Mlle de La Baume Le Blanc de La Vallière, déjà fille d'honneur de Madame douairière.

      – Fi! une boiteuse, dit le chevalier de Lorraine en s'allongeant sur son coussin.

      – Une boiteuse! répéta le prince. Madame aurait cela sous les yeux? Ma foi, non, ce serait trop dangereux pour ses grossesses.

      Le chevalier de Lorraine éclata de rire.

      – Monsieur le chevalier, dit de Guiche, ce que vous faites là n'est point généreux; je sollicite et vous me nuisez.

      – Ah! pardon, monsieur le comte, dit le chevalier de Lorraine inquiet du ton avec lequel le comte avait accentué ses paroles, telle n'était pas mon intention, et, au fait, je crois que je confonds cette demoiselle avec une autre.

      – Assurément, et je vous affirme, moi, que vous confondez.

      – Voyons, y tiens-tu beaucoup, Guiche? demanda le prince.

      – Beaucoup, monseigneur.

      – Eh bien! accordé; mais ne demande plus de brevet, il n'y a plus de place.

      – Ah! s'écria le chevalier, midi déjà; c'est l'heure fixée pour le départ.

      – Vous me chassez, monsieur? demanda de Guiche.

      – Oh! comte, comme vous me maltraitez aujourd'hui! répondit affectueusement le chevalier.

      – Pour Dieu! comte; pour Dieu! chevalier, dit Monsieur, ne vous disputez donc pas ainsi: ne voyez-vous pas que cela me fait de la peine?

      – Ma signature? demanda de Guiche.

      – Prends un brevet dans ce tiroir, et donne-le-moi.

      De Guiche prit le brevet indiqué d'une main, et de l'autre présenta à Monsieur une plume toute trempée dans l'encre.

      Le prince signa.

      – Tiens, dit-il en lui rendant le brevet; mais c'est à une condition.

      – Laquelle?

      – C'est que tu feras ta paix avec le chevalier.

      – Volontiers, dit de Guiche.

      Et il tendit la main au chevalier avec une indifférence qui ressemblait à du mépris.

      – Allez, comte, dit le chevalier sans paraître aucunement remarquer le dédain du comte; allez, et ramenez-nous une princesse qui ne jase pas trop avec son portrait.

      – Oui, pars et fais diligence… À propos, qui emmènes-tu?

      – Bragelonne et de Wardes.

      – Deux braves compagnons.

      – Trop braves, dit le chevalier; tâchez de les ramener tous deux, comte.

      – Vilain coeur! murmura de Guiche; il flaire le mal partout et avant tout.

      Puis, saluant Monsieur, il sortit.

      En arrivant sous le vestibule, il éleva en l'air le brevet tout signé.

      Malicorne se précipita et le reçut tout tremblant de joie. Mais, après l'avoir reçu, de Guiche s'aperçut qu'il attendait quelque chose encore.

      – Patience, monsieur, patience, dit-il à son client; mais M. le chevalier était là et j'ai craint d'échouer si je demandais trop à la fois. Attendez donc à mon retour. Adieu!

      – Adieu, monsieur le comte; mille grâces, dit Malicorne.

      – Et envoyez-moi Manicamp. À propos, est-ce vrai, monsieur, que

      Mlle de La Vallière est boiteuse?

      Au moment où il prononçait ces mots, un cheval s'arrêtait derrière lui.

      Il se retourna et vit pâlir Bragelonne, qui entrait au moment même dans la cour.

      Le pauvre amant avait entendu. Il n'en était pas de même de

      Malicorne, qui était déjà hors de la portée de la voix.

      «Pourquoi parle-t-on ici de Louise? se demanda Raoul; oh! qu'il n'arrive jamais à ce de Wardes, qui sourit là-bas, de dire un mot d'elle devant moi!»

      – Allons, allons, messieurs! cria le comte de Guiche, en route.

      En ce moment, le prince, dont la toilette était terminée parut à la fenêtre.

      Toute l'escorte le salua de ses acclamations, et dix minutes après, bannières, écharpes et plumes flottaient à l'ondulation du galop des coursiers.

      Chapitre LXXXIII – Au Havre

      Toute cette cour, si brillante, si gaie, si animée de sentiments divers, arriva au Havre quatre jours après son départ de Paris. C'était vers les cinq heures du soir; on n'avait encore aucune nouvelle de Madame. On chercha des logements; mais dès lors commença une grande confusion parmi les maîtres, de grandes querelles parmi les laquais. Au milieu de tout ce


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