Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


Скачать книгу
salua à son tour.

      – Vous me faites grand honneur, monsieur, dit-il.

      – À qui ai-je le plaisir de parler?

      – Je me nomme Malicorne, monsieur.

      – Monsieur de Malicorne, comment trouvez-vous les fontes de ces pistolets?

      Malicorne était homme d'esprit; il comprit la situation.

      D'ailleurs, le de mis avant son nom venait de l'élever à la hauteur de celui qui lui parlait.

      Il regarda les fontes en connaisseur, et, sans hésiter:

      – Un peu lourdes, monsieur, dit-il.

      – Vous voyez, fit de Guiche au sellier, Monsieur, qui est homme de goût, trouve vos fontes lourdes: que vous avais-je dit tout à l'heure?

      Le sellier s'excusa.

      – Et ce cheval, qu'en dites-vous? demanda de Guiche. C'est encore une emplette que je viens de faire.

      – À la vue, il me paraît parfait, monsieur le comte; mais il faudrait que je le montasse pour vous en dire mon avis.

      – Eh bien! montez-le, monsieur de Malicorne, et faites-lui faire deux ou trois fois le tour du manège.

      La cour de l'hôtel était en effet disposée de manière à servir de manège en cas de besoin.

      Malicorne, sans embarras, assembla la bride et le bridon, prit la crinière de la main gauche, plaça son pied à l'étrier, s'enleva et se mit en selle. La première fois il fit faire au cheval le tour de la cour au pas.

      La seconde fois, au trot.

      Et la troisième fois, au galop.

      Puis il s'arrêta près du comte, mit pied à terre et jeta la bride aux mains d'un palefrenier.

      – Eh bien! dit le comte, qu'en pensez-vous, monsieur de

      Malicorne?

      – Monsieur le comte, fit Malicorne, ce cheval est de race mecklembourgeoise. En regardant si le mors reposait bien sur les branches, j'ai vu qu'il prenait sept ans. C'est l'âge auquel il faut préparer le cheval de guerre. L'avant-main est léger. Cheval à tête plate, dit-on, ne fatigue jamais la main du cavalier. Le garrot est un peu bas. L'avalement de la croupe me ferait douter de la pureté de la race allemande. Il doit avoir du sang anglais. L'animal est droit sur ses aplombs, mais il chasse au trot; il doit se couper. Attention à la ferrure. Il est, au reste, maniable. Dans les voltes et les changements de pied je lui ai trouvé les aides fines.

      – Bien jugé, monsieur de Malicorne, fit le comte. Vous êtes connaisseur.

      Puis, se retournant vers le nouvel arrivé:

      – Vous avez là un habit charmant, dit de Guiche à Malicorne. Il ne vient pas de province, je présume; on ne taille pas dans ce goût-là à Tours ou à Orléans.

      – Non, monsieur le comte, cet habit vient en effet de Paris.

      – Oui, cela se voit… Mais retournons à notre affaire…

      Manicamp veut donc faire une seconde fille d'honneur?

      – Vous voyez ce qu'il vous écrit, monsieur le comte.

      – Qui était la première déjà?

      Malicorne sentit le rouge lui monter au visage.

      – Une charmante fille d'honneur, se hâta-t-il de répondre,

      Mlle de Montalais.

      – Ah! ah! vous la connaissez, monsieur?

      – Oui, c'est ma fiancée, ou à peu près.

      – C'est autre chose, alors… Mille compliments! s'écria de Guiche, sur les lèvres duquel voltigeait déjà une plaisanterie de courtisan, et que ce titre de fiancée donné par Malicorne à Mlle de Montalais rappela au respect des femmes.

      – Et le second brevet, pour qui est-ce? demanda de Guiche. Est-ce pour la fiancée de Manicamp?.. En ce cas, je la plains. Pauvre fille! elle aura pour mari un méchant sujet.

      – Non, monsieur le comte… Le second brevet est pour Mlle La

      Baume Le Blanc de La Vallière.

      – Inconnue, fit de Guiche.

      – Inconnue? oui, monsieur, fit Malicorne en souriant à son tour.

      – Bon! je vais en parler à Monsieur. À propos, elle est demoiselle?

      – De très bonne maison, fille d'honneur de Madame douairière.

      – Très bien! Voulez-vous m'accompagner chez Monsieur?

      – Volontiers, si vous me faites cet honneur.

      – Avez-vous votre carrosse?

      – Non, je suis venu à cheval.

      – Avec cet habit?

      – Non, monsieur; j'arrive d'Orléans en poste, et j'ai changé mon habit de voyage contre celui-ci pour me présenter chez vous.

      – Ah! c'est vrai, vous m'avez dit que vous arriviez d'Orléans.

      Et il fourra, en la froissant, la lettre de Manicamp dans sa poche.

      – Monsieur, dit timidement Malicorne, je crois que vous n'avez pas tout lu.

      – Comment, je n'ai pas tout lu?

      – Non, il y avait deux billets dans la même enveloppe.

      – Ah! ah! vous êtes sûr?

      – Oh! très sûr.

      – Voyons donc.

      Et le comte rouvrit le cachet.

      – Ah! fit-il, c'est, ma foi, vrai.

      Et il déplia le papier qu'il n'avait pas encore lu.

      – Je m'en doutais, dit-il, un autre bon pour une charge chez Monsieur; oh! mais c'est un gouffre que ce Manicamp. Oh! le scélérat, il en fait donc commerce?

      – Non, monsieur le comte, il veut en faire don.

      – À qui?

      – À moi, monsieur.

      – Mais que ne disiez-vous cela tout de suite, mon cher monsieur de Mauvaise corne.

      – Malicorne!

      – Ah! pardon; c'est le latin qui me brouille, l'affreuse habitude des étymologies. Pourquoi diantre fait-on apprendre le latin aux jeunes gens de famille? Mala: mauvaise. Vous comprenez, c'est tout un. Vous me pardonnez, n'est-ce pas, monsieur de Malicorne?

      – Votre bonté me touche, monsieur; mais c'est une raison pour que je vous dise une chose tout de suite.

      – Quelle chose, monsieur?

      – Je ne suis pas gentilhomme: j'ai bon coeur, un peu d'esprit, mais je m'appelle Malicorne tout court.

      – Eh bien! s'écria de Guiche en regardant la malicieuse figure de son interlocuteur, vous me faites l'effet, monsieur, d'un aimable homme. J'aime votre figure, monsieur Malicorne; il faut que vous ayez de furieusement bonnes qualités pour avoir plu à cet égoïste de Manicamp. Soyez franc, vous êtes quelque saint descendu sur la terre.

      – Pourquoi cela?

      – Morbleu! pour qu'il vous donne quelque chose. N'avez-vous pas dit qu'il voulait vous faire don d'une charge chez le roi?

      – Pardon, monsieur le comte; si j'obtiens cette charge, ce n'est point lui qui me l'aura donnée, c'est vous.

      – Et puis il ne vous l'aura peut-être pas donnée pour rien tout à fait?

      – Monsieur le comte…

      – Attendez donc: il y a un Malicorne à Orléans. Parbleu! c'est cela! qui prête de l'argent à M. le prince.

      – Je crois que c'est mon père, monsieur.

      – Ah! voilà! M. le prince a le père, et cet


Скачать книгу