Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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car on pense bien que les combinaisons d'un esprit aussi actif que le sien ne se bornaient point au présent et s'étendaient à l'avenir, le plan moral de Malicorne, disons-nous, était celui-ci:

      Faire entrer chez Madame Henriette une femme dévouée à lui, spirituelle, jeune, jolie et intrigante; savoir, par cette femme, tous les secrets féminins du jeune ménage, tandis que lui, Malicorne, et son ami Manicamp sauraient, à eux deux, tous les mystères masculins de la jeune communauté.

      C'était par ces moyens qu'on arriverait à une fortune rapide et splendide à la fois.

      Malicorne était un vilain nom; celui qui le portait avait trop d'esprit pour se dissimuler cette vérité; mais on achetait une terre, et Malicorne de quelque chose, ou même de Malicorne tout court, sonnait fort noblement à l'oreille.

      Il n'était pas invraisemblable que l'on pût trouver à ce nom de

      Malicorne une origine des plus aristocratiques.

      En effet, ne pouvait-il pas venir d'une terre où un taureau aux cornes mortelles aurait causé quelque grand malheur et baptisé le sol avec le sang qu'il aurait répandu?

      Certes, ce plan se présentait hérissé de difficultés; mais la plus grande de toutes, c'était Mlle de Montalais elle-même. Capricieuse, variable, sournoise, étourdie, libertine, prude, vierge armée de griffes, Érigone barbouillée de raisins, elle renversait parfois, d'un seul coup de ses doigts blancs ou d'un seul souffle de ses lèvres riantes, l'édifice que la patience de Malicorne avait mis un mois à établir. Amour à part, Malicorne était heureux; mais cet amour, qu'il ne pouvait s'empêcher de ressentir, il avait la force de le cacher avec soin, persuadé qu'au moindre relâchement de ces liens, dont il avait garrotté son Protée femelle, le démon le terrasserait et se moquerait de lui. Il humiliait sa maîtresse en la dédaignant. Brûlant de désirs quand elle s'avançait pour le tenter, il avait l'art de paraître de glace, persuadé que, s'il ouvrait ses bras, elle s'enfuirait en le raillant. De son côté, Montalais croyait ne pas aimer Malicorne, et, tout au contraire, elle l'aimait. Malicorne lui répétait si souvent ses protestations d'indifférence, qu'elle finissait de temps en temps par y croire, et alors elle croyait détester Malicorne. Voulait-elle le ramener par la coquetterie, Malicorne se faisait plus coquet qu'elle. Mais ce qui faisait que Montalais tenait à Malicorne d'une indissoluble façon, c'est que Malicorne était toujours bourré de nouvelles fraîches apportées de la cour et de la ville; c'est que Malicorne apportait toujours à Blois une mode, un secret, un parfum; c'est que Malicorne ne demandait jamais un rendez-vous, et, tout au contraire, se faisait supplier pour recevoir des faveurs qu'il brûlait d'obtenir. De son côté, Montalais n'était pas avare d'histoires. Par elle, Malicorne savait tout ce qui se passait chez Madame douairière, et il en faisait à Manicamp des contes à mourir de rire, que celui-ci, par paresse, portait tout faits à M. de Guiche, qui les portait à Monsieur. Voilà en deux mots quelle était la trame de petits intérêts et de petites conspirations qui unissait Blois à Orléans et Orléans à Paris, et qui allait amener dans cette dernière ville, où elle devait produire une si grande révolution, la pauvre petite La Vallière, qui était bien loin de se douter, en s'en retournant toute joyeuse au bras de sa mère, à quel étrange avenir elle était réservée.

      Quant au bonhomme Malicorne, nous voulons parler du syndic d'Orléans, il ne voyait pas plus clair dans le présent que les autres dans l'avenir, et ne se doutait guère, en promenant tous les jours, de trois à cinq heures, après son dîner, sur la place Sainte-Catherine, son habit gris taillé sous Louis XIII et ses souliers de drap à grosses bouffettes, que c'était lui qui payait tous ces éclats de rire, tous ces baisers furtifs, tous ces chuchotements, toute cette rubanerie et tous ces projets soufflés qui faisaient une chaîne de quarante cinq lieues du palais de Blois au Palais-Royal.

      Chapitre LXXX – Manicamp et Malicorne

      Donc, Malicorne partit, comme nous l'avons dit, et alla trouver son ami Manicamp, en retraite momentanée dans la ville d'Orléans. C'était juste au moment où ce jeune seigneur s'occupait de vendre le dernier habit un peu propre qui lui restât.

      Il avait, quinze jours auparavant, tiré du comte de Guiche cent pistoles, les seules qui pussent l'aider à se mettre en campagne, pour aller au-devant de Madame, qui arrivait au Havre.

      Il avait tiré de Malicorne, trois jours auparavant, cinquante pistoles, prix du brevet obtenu pour Montalais.

      Il ne s'attendait donc plus à rien, ayant épuisé toutes les ressources, sinon à vendre un bel habit de drap et de satin, tout brodé et passementé d'or, qui avait fait l'admiration de la cour.

      Mais, pour être en mesure de vendre cet habit, le dernier qui lui restât, comme nous avons été forcé de l'avouer au lecteur, Manicamp avait été obligé de prendre le lit.

      Plus de feu, plus d'argent de poche, plus d'argent de promenade, plus rien que le sommeil pour remplacer les repas, les compagnies et les bals.

      On a dit: «Qui dort dîne»; mais on n'a pas dit: «Qui dort joue», ou «Qui dort danse». Manicamp, réduit à cette extrémité de ne plus jouer ou de ne plus danser de huit jours au moins, était donc fort triste. Il attendait un usurier et vit entrer Malicorne.

      Un cri de détresse lui échappa.

      – Eh bien! dit-il d'un ton que rien ne pourrait rendre, c'est encore vous, cher ami?

      – Bon! vous êtes poli! dit Malicorne.

      – Ah! voyez-vous, c'est que j'attendais de l'argent, et, au lieu d'argent, vous arrivez.

      – Et si je vous en apportais, de l'argent?

      – Oh! alors, c'est autre chose. Soyez le bienvenu, cher ami.

      Et il tendit la main, non pas à la main de Malicorne, mais à sa bourse.

      Malicorne fit semblant de s'y tromper et lui donna la main.

      – Et l'argent? fit Manicamp.

      – Mon cher ami, si vous voulez l'avoir, gagnez-le.

      – Que faut-il faire pour cela?

      – Le gagner, parbleu!

      – Et de quelle façon?

      – Oh! c'est rude, je vous en avertis!

      – Diable!

      – II faut quitter le lit et aller trouver sur-le-champ M. le comte de Guiche.

      – Moi, me lever? fit Manicamp en se détirant voluptueusement dans son lit. Oh! non pas.

      – Vous avez donc vendu tous vos habits?

      – Non, il m'en reste un, le plus beau même, mais j'attends acheteur.

      – Et des chausses?

      – Il me semble que vous les voyez sur cette chaise.

      – Eh bien! puisqu'il vous reste des chausses et un pourpoint, chaussez les unes et endossez l'autre, faites seller un cheval et mettez-vous en chemin.

      – Point du tout.

      – Pourquoi cela?

      – Morbleu! vous ne savez donc pas que M. de Guiche est à Étampes?

      – Non, je le croyais à Paris, moi; vous n'aurez que quinze lieues à faire au lieu de trente.

      – Vous êtes charmant! Si je fais quinze lieues avec mon habit, il ne sera plus mettable, et, au lieu de le vendre trente pistoles, je serai obligé de le donner pour quinze.

      – Donnez-le pour ce que vous voudrez, mais il me faut une seconde commission de fille d'honneur.

      – Bon! pour qui? La Montalais est donc double?

      – Méchant homme! c'est vous qui l'êtes. Vous engloutissez deux fortunes: la mienne et celle de M. le comte de Guiche.

      – Vous pourriez bien dire celle de M. de Guiche et la vôtre.

      – C'est juste, à tout seigneur tout honneur; mais j'en reviens à mon brevet.

      – Et vous avez tort.

      – Prouvez-moi


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