Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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demeure le maître de la maison, et comme tu es le conseil de tout ce qui se fait ici, tu donneras le dernier coup d'oeil à mes préparatifs de départ.

      Raoul, en homme qui ne cherche ni ne craint une affaire, fit de la tête un signe d'assentiment, et s'assit sur un banc au soleil.

      – C'est bien, dit de Guiche, reste là, Raoul, et fais-toi montrer les deux chevaux que je viens d'acheter; tu me diras ton sentiment, car je ne les ai achetés qu'à la condition que tu ratifierais le marché. À propos, pardon! j'oubliais de te demander des nouvelles de M. le comte de La Fère. Et tout en prononçant ces derniers mots, il observait de Wardes et essayait de saisir l'effet que produirait sur lui le nom du père de Raoul.

      – Merci, répondit le jeune homme. M. le comte se porte bien.

      Un éclair de haine passa dans les yeux de de Wardes. De Guiche ne parut pas remarquer cette lueur funèbre, et allant donner une poignée de main à Raoul:

      – C'est convenu, n'est-ce pas, Bragelonne, dit-il, tu viens nous rejoindre dans la cour du Palais-Royal?

      Puis, faisant signe de le suivre à de Wardes, qui se balançait tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre.

      – Nous partons, dit-il; venez, monsieur Malicorne.

      Ce nom fit tressaillir Raoul.

      Il lui sembla qu'il avait déjà entendu prononcer ce nom une fois; mais il ne put se rappeler dans quelle occasion.

      Tandis qu'il cherchait, moitié rêveur, moitié irrité de sa conversation avec de Wardes, les trois jeunes gens s'acheminaient vers le Palais-Royal, où logeait Monsieur.

      Malicorne comprit deux choses.

      La première, c'est que les jeunes gens avaient quelque chose à se dire.

      La seconde, c'est qu'il ne devait pas marcher sur le même rang qu'eux. Il demeura en arrière.

      – Êtes-vous fou? dit de Guiche à son compagnon, lorsqu'ils eurent fait quelques pas hors de l'hôtel de Grammont; vous attaquez M. d'Artagnan, et cela devant Raoul!

      – Eh bien! après? fit de Wardes.

      – Comment, après?

      – Sans doute: est-il défendu d'attaquer M. d'Artagnan?

      – Mais vous savez bien que M. d'Artagnan fait le quart de ce tout si glorieux et si redoutable qu'on appelait les Mousquetaires.

      – Soit; mais je ne vois pas pourquoi cela peut m'empêcher de haïr

      M. d'Artagnan.

      – Que vous a-t-il fait?

      – Oh! à moi, rien.

      – Alors, pourquoi le haïr?

      – Demandez cela à l'ombre de mon père.

      – En vérité, mon cher de Wardes, vous m'étonnez: M. d'Artagnan n'est point de ces hommes qui laissent derrière eux une inimitié sans apurer leur compte. Votre père, m'a-t-on dit, était de son côté haut la main. Or, il n'est si rudes inimitiés qui ne se lavent dans le sang d'un bon et loyal coup d'épée.

      – Que voulez-vous, cher ami, cette haine existait entre mon père et M. d'Artagnan; il m'a, tout enfant, entretenu de cette haine, et c'est un legs particulier qu'il m'a laissé au milieu de son héritage.

      – Et cette haine avait pour objet M. d'Artagnan seul?

      – Oh! M. d'Artagnan était trop bien incorporé dans ses trois amis pour que le trop-plein n'en rejaillît pas sur eux; elle est de mesure, croyez-moi, à ce que les autres, le cas échéant, n'aient point à se plaindre de leur part.

      De Guiche avait les yeux fixés sur de Wardes; il frissonna en voyant le pâle sourire du jeune homme. Quelque chose comme un pressentiment fît tressaillir sa pensée; il se dit que le temps était passé des grands coups d'épée entre gentilshommes, mais que la haine, en s'extravasant au fond du coeur, au lieu de se répandre au-dehors, n'en était pas moins de la haine; que parfois le sourire était aussi sinistre que la menace et qu'en un mot, enfin, après les pères, qui s'étaient haïs avec le coeur et combattus avec le bras, viendraient les fils; qu'eux aussi se haïraient avec le coeur, mais qu'ils ne se combattraient plus qu'avec l'intrigue ou la trahison. Or, comme ce n'était point Raoul qu'il soupçonnait de trahison ou d'intrigue, ce fut pour Raoul que de Guiche frissonna. Mais tandis que ces sombres pensées obscurcissaient le front de de Guiche, de Wardes était redevenu complètement maître de lui-même.

      – Au reste, dit-il, ce n'est pas que j'en veuille personnellement à M. de Bragelonne, je ne le connais pas.

      – En tout cas, de Wardes, dit de Guiche avec une certaine sévérité, n'oubliez pas une chose, c'est que Raoul est le meilleur de mes amis.

      De Wardes s'inclina.

      La conversation en demeura là, quoique de Guiche fît tout ce qu'il put pour lui tirer son secret du coeur; mais de Wardes avait sans doute résolu de n'en pas dire davantage, et il demeura impénétrable. De Guiche se promit d'avoir plus de satisfaction avec Raoul. Sur ces entrefaites, on arriva au Palais-Royal, qui était entouré d'une foule de curieux.

      La maison de Monsieur attendait ses ordres pour monter à cheval et faire escorte aux ambassadeurs chargés de ramener la jeune princesse. Ce luxe de chevaux, d'armes et de livrées compensait en ce temps-là, grâce au bon vouloir des peuples et aux traditions de respectueux attachement pour les rois, les énormes dépenses couvertes par l'impôt.

      Mazarin avait dit: «Laissez-les chanter, pourvu qu'ils paient.» Louis XIV disait: «Laissez-les voir.» La vue avait remplacé la voix: on pouvait encore regarder, mais on ne pouvait plus chanter.

      M. de Guiche laissa de Wardes et Malicorne au pied du grand escalier; mais lui, qui partageait la faveur de Monsieur avec le chevalier de Lorraine, qui lui faisait les blanches dents, mais ne pouvait le souffrir, il monta droit chez Monsieur.

      Il trouva le jeune prince qui se mirait en se posant du rouge.

      Dans l'angle du cabinet, sur des coussins, M. le chevalier de Lorraine était étendu, venant de faire friser ses longs cheveux blonds, avec lesquels il jouait comme eût fait une femme.

      Le prince se retourna au bruit, et, apercevant le comte:

      – Ah! c'est toi, Guiche, dit-il; viens ça et dis-moi la vérité.

      – Oui, monseigneur, vous savez que c'est mon défaut.

      – Figure-toi, Guiche, que ce méchant chevalier me fait de la peine.

      Le chevalier haussa les épaules.

      – Et comment cela? demanda de Guiche. Ce n'est pas l'habitude de

      M. le chevalier.

      – Eh bien! il prétend, continua le prince, il prétend que Mlle

      Henriette est mieux comme femme que je ne suis comme homme.

      – Prenez garde, monseigneur, dit de Guiche en fronçant le sourcil, vous m'avez demandé la vérité.

      – Oui, dit Monsieur presque en tremblant.

      – Eh bien! je vais vous la dire.

      – Ne te hâte pas, Guiche, s'écria le prince, tu as le temps; regarde-moi avec attention et rappelle-toi bien Madame; d'ailleurs, voici son portrait; tiens.

      Et il lui tendit la miniature, du plus fin travail. De Guiche prit le portrait et le considéra longtemps.

      – Sur ma foi, dit-il, voilà, monseigneur, une adorable figure.

      – Mais regarde-moi à mon tour, regarde-moi donc, s'écria le prince essayant de ramener à lui l'attention du comte, absorbée tout entière par le portrait.

      – En vérité, c'est merveilleux! murmura de Guiche.

      – Eh! ne dirait-on pas, continua Monsieur, que tu n'as jamais vu cette petite fille.

      – Je l'ai vue, monseigneur, c'est vrai, mais il y a cinq ans de cela, et il s'opère de grands changements entre une enfant de douze ans et une jeune


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