Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


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il était vert encore, et si sec en même temps, disaient les courtisans, qu'il en était cassant. Sa renommée et sa fortune étaient assez grandes pour que M. le prince, ce roi des petits-maîtres, lui donnât le bras en causant costumes avec lui, et que les moins ardents à payer parmi les gens de cour n'osassent jamais laisser chez lui des comptes trop arriérés; car maître Percerin faisait une fois des habits à crédit, mais jamais une seconde s'il n'était pas payé de la première.

      On conçoit qu'un pareil tailleur, au lieu de courir après les pratiques, fût difficile à en recevoir de nouvelles. Aussi Percerin refusait d'habiller les bourgeois ou les anoblis trop récents. Le bruit courait même que M. de Mazarin, contre la fourniture désintéressée d'un grand habit complet de cardinal en cérémonie, lui avait glissé, un beau jour, des lettres de noblesse dans sa poche.

      Percerin avait de l'esprit et de la malice. On le disait fort égrillard. À quatre-vingts ans, il prenait encore d'une main ferme la mesure des corsages de femme.

      C'est dans la maison de cet artiste grand seigneur que d'Artagnan conduisit le désolé Porthos.

      Celui-ci, tout en marchant, disait à son ami:

      – Prenez garde, mon cher d'Artagnan, prenez garde de commettre la dignité d'un homme comme moi avec l'arrogance de ce Percerin, qui doit être fort incivil; car je vous préviens, cher ami, que s'il me manquait, je le châtierais.

      – Présenté par moi, répondit d'Artagnan, vous n'avez rien à craindre, cher ami, fussiez-vous… ce que vous n'êtes pas.

      – Ah! c'est que…

      – Quoi donc? Auriez-vous quelque chose contre Percerin? Voyons,

      Porthos.

      – Je crois que, dans le temps…

      – Eh bien! quoi, dans le temps?

      – J'aurais envoyé Mousqueton chez un drôle de ce nom-là.

      – Eh bien! après?

      – Et que ce drôle aurait refusé de m'habiller.

      – Oh! un malentendu, sans doute, qu'il est urgent de redresser;

      Mouston aura confondu.

      – Peut-être.

      – Il aura pris un nom pour un autre.

      – C'est possible. Ce coquin de Mouston n'a jamais eu la mémoire des noms.

      – Je me charge de tout cela.

      – Fort bien.

      – Faites arrêter le carrosse, Porthos; c'est ici.

      – C'est ici?

      – Oui.

      – Comment, ici? Nous sommes aux Halles, et vous m'avez dit que la maison était au coin de la rue de l'Arbre-Sec.

      – C'est vrai; mais regardez.

      – Eh bien! je regarde, et je vois…

      – Quoi?

      – Que nous sommes aux Halles, pardieu!

      – Vous ne voulez pas, sans doute, que nos chevaux montent sur le carrosse qui nous précède?

      – Non.

      – Ni que le carrosse qui nous précède monte sur celui qui est devant.

      – Encore moins.

      – Ni que le deuxième carrosse passe sur le ventre aux trente ou quarante autres qui sont arrivés avant nous?

      – Ah! par ma foi! vous avez raison.

      – Ah!

      – Que de gens, mon cher, que de gens!

      – Hein?

      – Et que font-ils là, tous ces gens?

      – C'est bien simple: ils attendent leur tour.

      – Bah! les comédiens de l'hôtel de Bourgogne seraient-ils déménagés?

      – Non, leur tour pour entrer chez M. Percerin.

      – Mais nous allons donc attendre aussi, nous.

      – Nous, nous serons plus ingénieux et moins fiers qu'eux.

      – Qu'allons-nous faire, donc?

      – Nous allons descendre, passer parmi les pages et les laquais, et nous entrerons chez le tailleur, c'est moi qui vous en réponds, surtout si vous marchez le premier.

      – Allons, fit Porthos.

      Et tous deux, étant descendus, s'acheminèrent à pied vers la maison.

      Ce qui causait cet encombrement, c'est que la porte de M. Percerin était fermée, et qu'un laquais, debout à cette porte, expliquait aux illustres pratiques de l'illustre tailleur que, pour le moment, M. Percerin ne recevait personne. On se répétait au- dehors, toujours d'après ce qu'avait dit confidentiellement le grand laquais à un grand seigneur pour lequel il avait des bontés, on se répétait que M. Percerin s'occupait de cinq habits pour le roi, et que, vu l'urgence de la situation il méditait dans son cabinet les ornements, la couleur et la coupe de ces cinq habits.

      Plusieurs, satisfaits de cette raison, s'en retournaient heureux de la dire aux autres, mais plusieurs aussi, plus tenaces, insistaient pour que la porte leur fût ouverte, et, parmi ces derniers, trois cordons bleus désignés pour un ballet qui manquerait infailliblement si les trois cordons bleus n'avaient pas des habits taillés de la main même du grand Percerin.

      D'Artagnan, poussant devant lui Porthos, qui effondra les groupes, parvint jusqu'aux comptoirs, derrière lesquels les garçons tailleurs s'escrimaient à répondre de leur mieux.

      Nous oublions de dire qu'à la porte on avait voulu consigner Porthos comme les autres, mais d'Artagnan s'était montré, avait prononcé ces seules paroles:

      – Ordre du roi!

      Et il avait été introduit avec son ami.

      Ces pauvres diables avaient fort à faire et faisaient de leur mieux pour répondre aux exigences des clients en l'absence du patron, s'interrompant de piquer un point pour tourner une phrase, et quand l'orgueil blessé ou l'attente déçue les gourmandait trop vivement, celui qui était attaqué faisait un plongeon et disparaissait sous le comptoir.

      La procession des seigneurs mécontents faisait un tableau plein de détails curieux.

      Notre capitaine des mousquetaires, homme au regard rapide et sûr, l'embrassa d'un seul coup d'oeil. Mais, après avoir parcouru les groupes, ce regard s'arrêta sur un homme placé en face de lui. Cet homme, assis sur un escabeau, dépassait de la tête à peine le comptoir qui l'abritait. C'était un homme de quarante ans à peu près, à la physionomie mélancolique, au visage pâle, aux yeux doux et lumineux. Il regardait d'Artagnan et les autres, une main sous son menton, en amateur curieux et calme. Seulement, en apercevant et en reconnaissant, sans doute, notre capitaine, il rabattit son chapeau sur ses yeux.

      Ce fut peut-être ce geste qui attira le regard de d'Artagnan. S'il en était ainsi, il en était résulté que l'homme au chapeau rabattu avait atteint un but tout différent de celui qu'il s'était proposé.

      Au reste, le costume de cet homme était assez simple, et ses cheveux étaient assez uniment coiffés pour que des clients peu observateurs le prissent pour un simple garçon tailleur accroupi derrière le chêne, et piquant, avec exactitude, le drap et le velours.

      Toutefois, cet homme avait trop souvent la tête en l'air pour travailler fructueusement avec ses doigts.

      D'Artagnan n'en fut pas dupe, lui, et il vit bien que, si cet homme travaillait, ce n'était pas, assurément, sur les étoffes.

      – Hé! dit-il en s'adressant à cet homme, vous voilà donc devenu garçon tailleur, monsieur Molière?

      – Chut! monsieur d'Artagnan, répondit doucement l'homme, chut! au nom du Ciel! vous m'allez faire reconnaître.

      – Eh bien! où est le mal?

      – Le


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