Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


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faites, monsieur Molière. Je comprends l'intérêt que la chose a pour vous, et… je ne vous troublerai point dans vos études.

      – Merci!

      – Mais à une condition: c'est que vous me direz où est réellement

      M. Percerin.

      – Oh! cela, volontiers: dans son cabinet. Seulement…

      – Seulement, on ne peut pas y entrer?

      – Inabordable!

      – Pour tout le monde?

      – Pour tout le monde. Il m'a fait entrer ici, afin que je fusse à l'aise pour y faire mes observations et puis il s'en est allé.

      – Eh bien! mon cher monsieur Molière, vous l'allez prévenir que je suis là, n'est-ce pas?

      – Moi? s'écria Molière du ton d'un brave chien à qui l'on retire l'os qu'il a légitimement gagné; moi, me déranger? Ah! monsieur d'Artagnan, comme vous me traitez mal!

      – Si vous n'allez pas prévenir tout de suite M. Percerin que je suis là, mon cher monsieur Molière dit d'Artagnan à voix basse, je vous préviens d'une chose, c'est que je ne vous ferai pas voir l'ami que j'amène avec moi.

      Molière désigna Porthos d'un geste imperceptible.

      – Celui-ci n'est-ce pas? dit-il.

      – Oui.

      Molière attacha sur Porthos un de ces regards qui fouillent les cerveaux et les coeurs. L'examen lui parut sans doute gros de promesses, car il se leva aussitôt et passa dans la chambre voisine.

      Chapitre CCX – Les échantillons

      Pendant ce temps, la foule s'écoulait lentement, laissant à chaque angle de comptoir un murmure ou une menace, comme aux bancs de sable de l'océan, les flots laissent un peu d'écume ou d'algues broyées, lorsqu'ils se retirent en descendant les marées.

      Au bout de dix minutes, Molière reparut, faisant sous la tapisserie un signe à d'Artagnan. Celui-ci se précipita, entraînant Porthos, et, à travers des corridors assez compliqués, il le conduisit dans le cabinet de Percerin. Le vieillard, les manches retroussées, fouillait une pièce de brocart à grandes fleurs d'or, pour y faire naître de beaux reflets. En apercevant d'Artagnan, il laissa son étoffe et vint à lui, non pas radieux, non pas courtois, mais, en somme, assez civil.

      – Monsieur le capitaine des gardes, dit-il, vous m'excuserez, n'est-ce pas, mais j'ai affaire.

      – Eh! oui, pour les habits du roi? Je sais cela, mon cher monsieur Percerin. Vous en faites trois, m'a-t-on dit?

      – Cinq, mon cher monsieur, cinq!

      – Trois ou cinq, cela ne m'inquiète pas, maître Percerin, et je sais que vous les ferez les plus beaux du monde.

      – On le sait, oui. Une fois faits, ils seront les plus beaux du monde, je ne dis pas non, mais pour qu'ils soient les plus beaux du monde, il faut d'abord qu'ils soient, et pour cela, monsieur le capitaine, j'ai besoin de temps.

      – Ah bah! deux jours encore, c'est bien plus qu'il ne vous en faut, monsieur Percerin, dit d'Artagnan avec le plus grand flegme.

      Percerin leva la tête en homme peu habitué à être contrarié, même dans ses caprices, mais d'Artagnan ne fit point attention à l'air que l'illustre tailleur de brocart commençait à prendre.

      – Mon cher monsieur Percerin, continua-t-il, je vous amène une pratique.

      – Ah! ah! fit Percerin d'un air rechigné.

      – M. le baron du Vallon de Bracieux de Pierrefonds, continua d'Artagnan.

      Percerin essaya un salut qui ne trouva rien de bien sympathique chez le terrible Porthos, lequel, depuis son entrée dans le cabinet, regardait le tailleur de travers.

      – Un de mes bons amis, acheva d'Artagnan.

      – Je servirai Monsieur, dit Percerin, mais, plus tard.

      – Plus tard? Et quand cela?

      – Mais, quand j'aurai le temps.

      – Vous avez déjà dit cela à mon valet, interrompit Porthos mécontent.

      – C'est possible, dit Percerin, je suis presque toujours pressé.

      – Mon ami, dit sentencieusement Porthos, on a toujours le temps qu'on veut.

      Percerin devint cramoisi, ce qui, chez les vieillards blanchis par l'âge, est un fâcheux diagnostic.

      – Monsieur, dit-il, est, ma foi! bien libre de se servir ailleurs.

      – Allons, allons, Percerin, glissa d'Artagnan, vous n'êtes pas aimable aujourd'hui. Eh bien! je vais vous dire un mot qui va vous faire tomber à nos genoux. Monsieur est non seulement un ami à moi, mais encore un ami à M. Fouquet.

      – Ah! ah! fit le tailleur, c'est autre chose.

      Puis, se retournant vers Porthos:

      – Monsieur le baron est à M. le surintendant? demanda-t-il.

      – Je suis à moi, éclata Porthos, juste au moment où la tapisserie se soulevait pour donner passage à un nouvel interlocuteur.

      Molière observait. D'Artagnan riait. Porthos maugréait.

      – Mon cher Percerin, dit d'Artagnan, vous ferez un habit à M. le baron, c'est moi qui vous le demande.

      – Pour vous, je ne dis pas, monsieur le capitaine.

      – Mais ce n'est pas le tout: vous lui ferez cet habit tout de suite.

      – Impossible avant huit jours.

      – Alors, c'est comme si vous refusiez de le lui faire, parce que l'habit est destiné à paraître aux fêtes de Vaux.

      – Je répète que c'est impossible, reprit l'obstiné vieillard.

      – Non pas, cher monsieur Percerin, surtout si c'est moi qui vous en prie, dit une douce voix à la porte, voix métallique qui fit dresser l'oreille à d'Artagnan.

      C'était la voix d'Aramis.

      – Monsieur d'Herblay! s'écria le tailleur.

      – Aramis! murmura d'Artagnan.

      – Ah! notre évêque! fit Porthos.

      – Bonjour, d'Artagnan! bonjour, Porthos! bonjour, chers amis! dit

      Aramis. Allons, allons, cher monsieur Percerin, faites l'habit de

      Monsieur, et je vous réponds qu'en le faisant vous ferez une chose agréable à M. Fouquet.

      Et il accompagna ces paroles d'un signe qui voulait dire: «Consentez et congédiez.» Il paraît qu'Aramis avait sur maître Percerin une influence supérieure à celle de d'Artagnan lui-même, car le tailleur s'inclina en signe d'assentiment, et, se retournant vers Porthos:

      – Allez vous faire prendre mesure de l'autre côté, dit-il rudement.

      Porthos rougit d'une façon formidable.

      D'Artagnan vit venir l'orage, et, interpellant Molière:

      – Mon cher monsieur, lui dit-il à demi-voix, l'homme que vous voyez se croit déshonoré quand on toise la chair et les os que Dieu lui a départis; étudiez-moi ce type, maître Aristophane, et profitez.

      Molière n'avait pas besoin d'être encouragé; il couvait des yeux le baron Porthos.

      – Monsieur, lui dit-il, s'il vous plaît de venir avec moi, je vous ferai prendre mesure d'un habit, sans que le mesureur vous touche.

      – Oh! fit Porthos, comment dites-vous cela, mon ami?

      – Je dis qu'on n'appliquera ni l'aune ni le pied sur vos coutures. C'est un procédé nouveau, que nous avons imaginé, pour prendre la mesure des gens de qualité dont la susceptibilité répugne à se laisser toucher par des manants. Nous avons des gens susceptibles qui ne


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