Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


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cela tombe à merveille, monsieur le baron, et vous aurez l'étrenne de notre invention.

      – Mais comment diable s'y prend-on? dit Porthos ravi.

      – Monsieur, dit Molière en s'inclinant, si vous voulez bien me suivre, vous le verrez.

      Aramis regardait cette scène de tous ses yeux. Peut-être croyait- il reconnaître, à l'animation de d'Artagnan, que celui-ci partirait avec Porthos, pour ne pas perdre la fin d'une scène si bien commencée. Mais, si perspicace que fût Aramis, il se trompait. Porthos et Molière partirent seuls. D'Artagnan demeura avec Percerin. Pourquoi? Par curiosité, voilà tout; probablement, dans l'intention de jouir quelques instants de plus de la présence de son bon ami Aramis. Molière et Porthos disparus, d'Artagnan se rapprocha de l'évêque de Vannes; ce qui parut contrarier celui-ci tout particulièrement.

      – Un habit aussi pour vous, n'est-ce pas, cher ami?

      Aramis sourit.

      – Non, dit-il.

      – Vous allez à Vaux, cependant?

      – J'y vais, mais sans habit neuf. Vous oubliez, cher d'Artagnan, qu'un pauvre évêque de Vannes n'est pas assez riche pour se faire faire des habits à toutes les fêtes.

      – Bah! dit le mousquetaire en riant, et les poèmes, n'en faisons- nous plus?

      – Oh! d'Artagnan, fit Aramis, il y a longtemps que je ne pense plus à toutes ces futilités.

      – Bien! répéta d'Artagnan mal convaincu.

      Quant à Percerin, il s'était replongé dans sa contemplation de brocarts.

      – Ne remarquez-vous pas, dit Aramis en souriant, que nous gênons beaucoup ce brave homme mon cher d'Artagnan?

      – Ah! ah! murmura à demi-voix le mousquetaire, c'est-à-dire que je te gêne, cher ami.

      Puis tout haut:

      – Eh bien, partons; moi, je n'ai plus affaire ici, et, si vous êtes aussi libre que moi, cher Aramis…

      – Non; moi, je voulais…

      – Ah! vous aviez quelque chose à dire en particulier à Percerin?

      Que ne me préveniez-vous de cela tout de suite!

      – De particulier, répéta Aramis, oui, certes, mais pas pour vous, d'Artagnan. Jamais, je vous prie de le croire, je n'aurai rien d'assez particulier pour qu'un ami tel que vous ne puisse l'entendre.

      – Oh! non, non, je me retire, insista d'Artagnan, mais en donnant à sa voix un accent sensible de curiosité; car la gêne d'Aramis, si bien dissimulée qu'elle fût, ne lui avait point échappé, et il savait que, dans cette âme impénétrable, tout, même les choses les plus futiles en apparence, marchaient d'ordinaire vers un but, but inconnu mais que, d'après la connaissance qu'il avait du caractère de son ami, le mousquetaire comprenait devoir être important.

      Aramis, de son côté, vit que d'Artagnan n'était pas sans soupçon, et il insista:

      – Restez, de grâce, dit-il, voici ce que c'est.

      Puis, se retournant vers le tailleur:

      – Mon cher Percerin… dit-il. Je suis même très heureux que vous soyez là, d'Artagnan.

      – Ah! vraiment? fit pour la troisième fois le Gascon encore moins dupe cette fois que les autres.

      Percerin ne bougeait pas. Aramis le réveilla violemment en lui tirant des mains l'étoffe, objet de sa méditation.

      – Mon cher Percerin, lui dit-il, j'ai ici près M. Le Brun, un des peintres de M. Fouquet.

      – Ah! très bien, pensa d'Artagnan; mais pourquoi Le Brun?

      Aramis regardait d'Artagnan, qui avait l'air de regarder des gravures de Marc-Antoine.

      – Et vous voulez lui faire faire un habit pareil à ceux des épicuriens? répondit Percerin.

      Et, tout en disant cela d'une façon distraite, le digne tailleur cherchait à rattraper sa pièce de brocart.

      – Un habit d'épicurien? demanda d'Artagnan d'un ton questionneur.

      – Enfin, dit Aramis avec son plus charmant sourire, il est écrit que ce cher d'Artagnan saura tous nos secrets ce soir; oui, mon ami, oui. Vous avez bien entendu parler des épicuriens de M. Fouquet, n'est-ce pas?

      – Sans doute. N'est-ce pas une espèce de société de poètes dont sont La Fontaine, Loret Pélisson, Molière, que sais-je? et qui tient son académie à Saint-Mandé?

      – C'est cela justement. Eh bien, nous donnons un uniforme à nos poètes, et nous les enrégimentons au service du roi.

      – Oh! très bien, je devine: une surprise que M. Fouquet fait au roi. Oh! soyez tranquille, si c'est là le secret de M. Le Brun, je ne le dirai pas.

      – Toujours charmant, mon ami. Non, M. Le Brun n'a rien à faire de ce côté; le secret qui le concerne est bien plus important que l'autre encore!

      – Alors, s'il est si important que cela, j'aime mieux ne pas le savoir, dit d'Artagnan en dessinant une fausse sortie.

      – Entrez, monsieur Le Brun, entrez, dit Aramis en ouvrant de la main droite une porte latérale, et en retenant de la gauche d'Artagnan.

      – Ma foi! je ne comprends plus, dit Percerin.

      Aramis prit un temps, comme on dit en matière de théâtre.

      – Mon cher monsieur Percerin, dit-il, vous faites cinq habits pour le roi, n'est-ce pas? Un en brocart, un en drap de chasse, un en velours, un en satin, et un en étoffe de Florence?

      – Oui. Mais comment savez-vous tout cela, Monseigneur? demanda

      Percerin stupéfait.

      – C'est tout simple, mon cher monsieur; il y aura chasse, festin, concert, promenade et réception; ces cinq étoffes sont d'étiquette.

      – Vous savez tout, Monseigneur!

      – Et bien d'autres choses encore, allez, murmura d'Artagnan.

      – Mais, s'écria le tailleur avec triomphe, ce que vous ne savez pas, Monseigneur, tout prince de l'Église que vous êtes, ce que personne ne saura, ce que le roi seul, mademoiselle de La Vallière et moi savons, c'est la couleur des étoffes et le genre des ornements, c'est la coupe, c'est l'ensemble, c'est la tournure de tout cela!

      – Eh bien, dit Aramis, voilà justement ce que je viens vous demander de me faire connaître, mon cher monsieur Percerin.

      – Ah bas! s'écria le tailleur épouvanté, quoique Aramis eût prononcé les paroles que nous rapportons de sa voix la plus douce et la plus mielleuse.

      La prétention parut, en y réfléchissant, si exagérée, si ridicule, si énorme à M. Percerin, qu'il rit d'abord tout bas, puis tout haut, et qu'il finit par éclater. D'Artagnan l'imita, non qu'il trouvât la chose aussi profondément risible, mais pour ne pas laisser refroidir Aramis. Celui-ci les laissa faire tous deux; puis, lorsqu'ils furent calmés:

      – Au premier abord, dit-il, j'ai l'air de hasarder une absurdité, n'est-ce pas? Mais d'Artagnan, qui est la sagesse incarnée, va vous dire que je ne saurais faire autrement que de vous demander cela.

      – Voyons, fit le mousquetaire attentif, et sentant avec son flair merveilleux qu'on n'avait fait qu'escarmoucher jusque-là et que le moment de la bataille approchait.

      – Voyons, dit Percerin avec incrédulité.

      – Pourquoi, continua Aramis, M. Fouquet donne-t-il une fête au roi? N'est-ce pas pour lui plaire?

      – Assurément, fit Percerin.

      D'Artagnan approuva d'un signe de tête.

      – Par quelque galanterie? Par quelque bonne imagination? Par une suite de surprises pareilles à celle dont nous parlions tout à l'heure à propos de l'enrégimentation de nos épicuriens?

      – À merveille!

      – Eh


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