Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


Скачать книгу
sur le miroir.

      – Poquelin. Pardon.

      – Comment ai-je donc dit?

      – Vous avez dit Coquelin.

      – Ah! c'est juste. Ce Poquelin esquissa donc mon bras sur le miroir; mais il y mit le temps; il me regardait beaucoup; le fait est que j'étais très beau. «Cela vous fatigue? demanda-t-il. – Un peu, répondis-je en pliant sur les jarrets; cependant le peux tenir encore une heure. – Non, non, je ne le souffrirai pas! Nous avons ici des garçons complaisants qui se feront un devoir de vous soutenir les bras, comme autrefois on soutenait ceux des prophètes quand ils invoquaient le Seigneur. – Très bien! répondis-je. – Cela ne vous humiliera pas? – Mon ami, lui dis-je, il y a, je le crois, une grande différence entre être soutenu et être mesuré.»

      – La distinction est pleine de sens, interrompit d'Artagnan.

      – Alors, continua Porthos, il fit un signe; deux garçons s'approchèrent; l'un me soutint le bras gauche, tandis que l'autre, avec infiniment d'adresse, me soutenait le bras droit.

      « – Un troisième garçon! dit-il.

      «Un troisième garçon s'approcha.

      « – Soutenez les reins de monsieur, dit-il.

      «Le garçon me soutint les reins.»

      – De sorte que vous posiez? demanda d'Artagnan.

      – Absolument, et Poquenard me dessinait sur la glace.

      – Poquelin, mon ami.

      – Poquelin, vous avez raison. Tenez, décidément, j'aime encore mieux l'appeler Volière.

      – Oui, et que ce soit fini, n'est-ce pas?

      – Pendant ce temps-là, Volière me dessinait sur la glace.

      – C'était galant.

      – J'aime fort cette méthode: elle est respectueuse et met chacun à sa place.

      – Et cela se termina?..

      – Sans que personne m'eût touché, mon ami.

      – Excepté les trois garçons qui vous soutenaient?

      – Sans doute; mais je vous ai déjà exposé, je crois, la différence qu'il y a entre soutenir et mesurer.

      – C'est vrai, répondit d'Artagnan, qui se dit ensuite à lui-même: Ma foi! ou je me trompe fort, ou j'ai valu là une bonne aubaine à ce coquin de Molière, et nous en verrons bien certainement la scène tirée au naturel dans quelque comédie.

      Porthos souriait.

      – Quelle chose vous fait rire? lui demanda d'Artagnan.

      – Faut-il vous l'avouer? Eh bien, je ris de ce que j'ai tant de bonheur.

      – Oh! cela, c'est vrai; je ne connais pas d'homme plus heureux que vous. Mais quel est le nouveau bonheur qui vous arrive?

      – Eh bien, mon cher, félicitez-moi.

      – Je ne demande pas mieux.

      – Il paraît que je suis le premier à qui l'on ait pris mesure de cette façon-là.

      – Vous en êtes sûr?

      – À peu près. Certains signes d'intelligence échangés entre

      Volière et les autres garçons me l'ont bien indiqué.

      – Eh bien, mon cher ami, cela ne me surprend pas de la part de

      Molière.

      – Volière, mon ami!

      – Oh! non, non, par exemple! je veux bien vous laisser dire Volière à vous; mais je continuerai, moi, à dire Molière. Eh bien, cela, disais-je donc, ne m'étonne point de la part de Molière qui est un garçon ingénieux, et à qui vous avez inspiré cette belle idée.

      – Elle lui servira plus tard, j'en suis sûr.

      – Comment donc, si elle lui servira! Je le crois bien, qu'elle lui servira, et même beaucoup! Car, voyez-vous, mon ami, Molière est, de tous nos tailleurs connus, celui qui habille le mieux nos barons, nos comtes et nos marquis… à leur mesure.

      Sur ce mot, dont nous ne discuterons ni l'à-propos ni la profondeur, d'Artagnan et Porthos sortirent de chez maître Percerin et rejoignirent leur carrosse. Nous les y laisserons, s'il plaît au lecteur, pour revenir auprès de Molière et d'Aramis à Saint-Mandé.

      Chapitre CCXII – La ruche, les abeilles et le miel

      L'évêque de Vannes, fort marri d'avoir rencontré d'Artagnan chez maître Percerin, revint d'assez mauvaise humeur à Saint-Mandé.

      Molière, au contraire, tout enchanté d'avoir trouvé un si bon croquis à faire, et de savoir où retrouver l'original, quand du croquis il voudrait faire un tableau, Molière y rentra de la plus joyeuse humeur.

      Tout le premier étage, du côté gauche, était occupé par les épicuriens les plus célèbres dans Paris et les plus familiers dans la maison, employés chacun dans son compartiment, comme des abeilles dans leurs alvéoles, à produire un miel destiné au gâteau royal que M. Fouquet comptait servir à Sa Majesté Louis XIV pendant la fête de Vaux.

      Pélisson, la tête dans sa main, creusait les fondations du prologue des Fâcheux, comédie en trois actes, que devait faire représenter Poquelin de Molière, comme disait d'Artagnan, et Coquelin de Volière, comme disait Porthos.

      Loret, dans toute la naïveté de son état de gazetier, les gazetiers de tout temps ont été naïfs, Loret composait le récit des fêtes de Vaux avant que ces fêtes eussent eu lieu.

      La Fontaine vaguait au milieu des uns et des autres, ombre égarée, distraite, gênante, insupportable, qui bourdonnait et susurrait à l'épaule de chacun mille inepties poétiques. Il gêna tant de fois Pélisson, que celui-ci, relevant la tête avec humeur.

      – Au moins, La Fontaine, dit-il, cueillez-moi une rime, puisque vous dites que vous vous promenez dans les jardins du Parnasse.

      – Quelle rime voulez-vous? demanda le fablier, comme l'appelait madame de Sévigné.

      – Je veux une rime à lumière.

      – Ornière, répondit La Fontaine.

      – Eh! mon cher ami, impossible de parler d'ornières quand on vante les délices de Vaux dit Loret.

      – D'ailleurs, cela ne rime pas, répondit Pélisson.

      – Comment! cela ne rime pas? s'écria La Fontaine surpris.

      – Oui, vous avez une détestable habitude mon cher; habitude qui vous empêchera toujours d'être un poète de premier ordre. Vous rimez lâchement!

      – Oh! oh! vous trouvez, Pélisson?

      – Eh! oui, mon cher, je trouve. Rappelez-vous qu'une rime n'est jamais bonne tant qu'il s'en peut trouver une meilleure.

      – Alors, je n'écrirai plus jamais qu'en prose, dit La Fontaine, qui avait pris au sérieux le reproche de Pélisson. Ah! je m'en étais souvent douté, que je n'étais qu'un maraud de poète! oui, c'est la vérité pure.

      – Ne dites pas cela, mon cher; vous devenez trop exclusif, et vous avez du bon dans vos fables.

      – Et pour commencer, continua La Fontaine poursuivant son idée, je vais brûler une centaine de vers que je venais de faire.

      – Où sont-ils, vos vers?

      – Dans ma tête.

      – Eh bien, s'ils sont dans votre tête, vous ne pouvez pas les brûler?

      – C'est vrai, dit La Fontaine. Si je ne les brûle pas, cependant…

      – Eh bien, qu'arrivera-t-il si vous ne les brûlez pas?

      – Il arrivera qu'ils me resteront dans l'esprit, et que je ne les oublierai jamais.

      – Diable!


Скачать книгу