Le roman d'un jeune homme pauvre (Novel). Feuillet Octave

Le roman d'un jeune homme pauvre (Novel) - Feuillet Octave


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de ses apports immobiliers. Vaine précaution, monsieur le marquis, et je pourrais dire précaution cruelle d'une amitié mal inspirée, car cette clause fatale ne fit que préparer à celle dont elle devait sauvegarder le repos ses plus insupportables tourments; – j'entends ces luttes, ces querelles, ces violences dont l'écho dut frapper vos oreilles plus d'une fois, et dans lesquelles on arrachait lambeaux par lambeaux à votre malheureuse mère le dernier héritage, le pain de ses enfants!

      – Monsieur, je vous en prie!

      – Je m'incline, monsieur le marquis… Je ne parlerai que du présent. A peine honoré de votre confiance, mon premier devoir, monsieur, était de vous engager à n'accepter que sous bénéfice d'inventaire la succession embarrassée qui vous était échue.

      – Cette mesure, monsieur, m'a paru outrageante pour la mémoire de mon père et j'ai dû m'y refuser.

      M. Laubépin, après m'avoir lancé un de ces regards inquisiteurs qui lui sont familiers, a repris:

      – Vous n'ignorez pas apparemment, monsieur, que, faute d'avoir usé de cette faculté légale, vous demeurez passible des charges de la succession, lors même que ces charges en excéderaient la valeur. Or j'ai actuellement le devoir pénible de vous apprendre, monsieur le marquis, que ce cas est précisément celui qui se présente dans l'espèce. Comme vous le verrez dans ce dossier, il est parfaitement constant qu'après la vente de votre hôtel à des conditions inespérées, vous et mademoiselle votre soeur resterez encore redevables envers les créanciers de monsieur votre père d'une somme de quarante-cinq mille francs.

      Je suis demeuré véritablement atterré à cette nouvelle, qui dépassait mes plus fâcheuses appréhensions. Pendant une minute, j'ai prêté une attention hébétée au bruit monotone de la pendule, sur laquelle je fixais un oeil sans regard.

      – Maintenant, a repris M. Laubépin après un silence, le moment est venu de vous dire, monsieur le marquis, que madame votre mère, en prévision des éventualités qui se réalisent malheureusement aujourd'hui, m'a remis en dépôt quelques bijoux dont la valeur est estimée à cinquante mille francs environ. Pour empêcher que cette faible somme, votre unique ressources désormais, ne passe aux mains des créanciers de la succession, nous pouvons user, je crois, du subterfuge légal que vais avoir l'honneur de vous soumettre.

      – Mais cela est tout à fait inutile, monsieur. Je suis trop heureux de pouvoir, à l'aide de cet appoint inattendu, solder intégralement les dettes de mon père, et je vous prierai de le consacrer à cet emploi.

      M. Laubépin s'est légèrement incliné.

      – Soit, a-t-il dit; mais il m'est impossible de ne pas vous faire observer, monsieur le marquis, qu'une fois ce prélèvement opéré sur le dépôt qui est entre mes mains, il ne vous restera pour toute fortune, à mademoiselle Hélène et à vous, qu'une somme de quatre à cinq mille livres, laquelle, au taux actuel de l'argent, vous donnera un revenu de deux cent vingt-cinq francs. Ceci posé, monsieur le marquis, qu'il me soit permis de vous demander, à titre confidentiel, amical et respectueux, si vous avez avisé à quelques moyens d'assurer votre existence et celle de votre soeur et pupille et quels sont vos projets?

      – Je n'en ai plus aucun, monsieur, je vous l'avoue. Tous ceux que j'avais pu former sont inconciliables avec le dénuement absolu où je me trouve réduit. Si j'étais seul au monde, je me ferais soldat; mais j'ai ma soeur, et je ne puis souffrir le pensée de voir la pauvre enfant réduite au travail et aux privations. Elle est heureuse dans son couvent; elle est assez jeune pour y demeurer quelques années encore. J'accepterais du meilleur de mon coeur toute occupation qui me permettrait, en me réduisant moi-même à l'existence la plus étroite, de gagner chaque année le prix de la pension de ma soeur, et de lui amasser une dot pour l'avenir.

      M. Laubépin m'a regardé fixement.

      – Pour atteindre cet honorable objectif, a-t-il repris, vous ne devez pas penser, monsieur le marquis, à entrer, à votre âge, dans la lente filière des administrations publiques et des fonctions officielles. Il vous faudrait un emploi qui vous assurât dès le début cinq ou six mille francs de revenu annuel. Je dois vous dire que, dans l'état de notre organisation sociale, il ne suffit nullement d'avancer la main pour trouver ce desideratum. Heureusement, j'ai à vous communiquer quelques propositions vous concernant, qui sont de nature à modifier dès à présent, et sans grand effort, votre situation.

      Les yeux de M. Laubépin se sont attachés sur moi avec une attention plus pénétrante que jamais, et il a continué:

      – En premier lieu, monsieur le marquis, je serai près de vous l'organe d'un spéculateur habile, riche et influent; ce personnage a conçu l'idée d'une entreprise considérable dont la nature vous sera expliquée ci-après, et qui ne peut réussir que par le concours particulier de la classe aristocratique de ce pays. Il pense qu'un nom ancien et illustre comme le vôtre, monsieur le marquis, figurant parmi ceux des membres fondateurs de l'entreprise, aurait pour effet de lui gagner des sympathies dans les rangs du public spécial auquel le prospectus doit être adressé. En vue de cet avantage, il vous offre d'abord ce qu'on nomme communément une prime, c'est-à-dire une dizaine d'actions à titre gratuit, dont la valeur, estimée dès ce moment à dix mille francs, serait vraisemblablement triplée par le succès de l'opération. En outre…

      – Tenez-vous-en là, monsieur; de telles ignominies ne valent pas la peine que vous preniez des les formuler.

      J'ai vu briller soudain l'oeil du vieillard sous ses épais sourcils, comme si une étincelle s'en fût détachée. Un faible sourire a détendu les plis rigides de son visage.

      – Si la proposition ne vous plaît pas, monsieur le marquis, a-t-il dit en grasseyant, elle ne me plaît pas plus qu'à vous. Toutefois j'ai cru devoir vous la soumettre. En voici une autre qui vous sourira peut-être davantage, et qui de fait est plus avenante. Je compte, monsieur, au nombre de mes plus anciens clients un commerçant honorable qui s'est retiré des affaires depuis peu de temps, et qui jouit désormais paisiblement, auprès d'une fille unique et conséquemment adorée, d'une aurea mediocritas que j'évalue à vingt-cinq mille livres de revenu. Le hasard voulut, il y a trois jours, que la fille de mon client fût informée de votre situation: j'ai cru devoir, j'ai même pu m'assurer, pour tout dire, que l'enfant, laquelle d'ailleurs est agréable à voir et pourvue de qualités estimables, n'hésiterait pas un instant à accepter de votre main le titre de marquise de Champcey. Le père consent et je n'attends qu'un mot de vous, monsieur le marquis, pour vous dire le nom et la demeure de cette famille… intéressante.

      – Monsieur, ceci me détermine tout à fait: je quitterai dès demain un titre qui dans ma situation est dérisoire, et qui en outre semble devoir m'exposer aux plus misérables entreprises de l'intrigue. Le nom originaire de ma famille est Odiot: c'est le seul que je compte porter désormais. Maintenant, monsieur, en reconnaissant toute la vivacité de l'intérêt qui a pu vous engager à vous faire l'interprète de ces singulières propositions, je vous prierai de m'épargner toutes celles qui pourraient avoir un caractère analogue.

      – En ce cas, monsieur le marquis, a répondu M. Laubépin, je n'ai absolument plus rien à vous dire. En même temps, pris d'un accès subit de jovialité, il a frotté ses mains l'une contre l'autre avec un bruit de parchemins froissés. Puis il a ajouté en riant: Vous serez un homme difficile à caser, monsieur Maxime. Ah! ah! très difficile à caser. Il est extraordinaire, monsieur, que je n'aie pas remarqué plus tôt la saisissante similitude que la nature s'est plus à établir entre votre physionomie et celle de madame votre mère. Les yeux et le sourire en particulier… mais ne nous égarons pas, et puisqu'il vous convient de ne devoir qu'à un honorable travail vos moyens d'existence, souffrez que je vous demande quels peuvent être vos talents et vos aptitudes?

      – Mon éducation, monsieur, a été naturellement celle d'un homme destiné à la richesse et à l'oisiveté. Cependant j'ai étudié le droit. J'ai même le titre d'avocat.

      – D'avocat? ah diable! vous êtes avocat? Mais le titre ne suffit pas: dans la carrière du barreau, plus que dans aucune autre, il faut payer de sa personne… et là… voyons… vous sentez-vous éloquent, monsieur le marquis?

      – Si


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