Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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Vallière.

      – Mon Dieu! fit le roi avec inquiétude, vous en apercevriez-vous donc à ses façons envers vous? Madame a-t-elle pour vous quelque mauvais procédé que vous puissiez attribuer à cette jalousie?

      – Nullement, Sire; je suis si peu de chose, moi!

      – Oh! c'est que, s'il en était ainsi… s'écria Louis avec une force singulière.

      – Sire, interrompit la jeune fille, il ne pleut plus; on vient, on vient, je crois.

      Et, oubliant toute étiquette, elle avait saisi le bras du roi.

      – Eh bien! mademoiselle, répliqua le roi, laissons venir. Qui donc oserait trouver mauvais que j'eusse tenu compagnie à Mlle de La Vallière?

      – Par pitié! Sire; oh! l'on trouvera étrange que vous soyez mouillé ainsi, que vous vous soyez sacrifié pour moi.

      – Je n'ai fait que mon devoir de gentilhomme, dit Louis, et malheur à celui qui ne ferait pas le sien en critiquant la conduite de son roi!

      En effet, en ce moment on voyait apparaître dans l'allée quelques têtes empressées et curieuses qui semblaient chercher, et qui, ayant aperçu le roi et La Vallière, parurent avoir trouvé ce qu'elles cherchaient.

      C'étaient les envoyés de la reine et de Madame, qui mirent le chapeau à la main en signe qu'ils avaient vu Sa Majesté.

      Mais Louis ne quitta point, quelle que fût la confusion de La

      Vallière, son attitude respectueuse et tendre.

      Puis, quand tous les courtisans furent réunis dans l'allée, quand tout le monde eut pu voir la marque de déférence qu'il avait donnée à la jeune fille en restant debout et tête nue devant elle pendant l'orage, il lui offrit le bras, la ramena vers le groupe qui attendait, répondit de la tête au salut que chacun lui faisait, et, son chapeau toujours à la main, il la reconduisit jusqu'à son carrosse.

      Et, comme la pluie continuait de tomber encore, dernier adieu de l'orage qui s'enfuyait, les autres dames, que le respect avait empêchées de monter en voiture avant le roi, recevaient sans cape et sans mantelet cette pluie dont le roi, avec son chapeau, garantissait, autant qu'il était en son pouvoir, la plus humble d'entre elles.

      La reine et Madame durent, comme les autres, voir cette courtoisie exagérée du roi; Madame en perdit contenance au point de pousser la reine du coude, en lui disant:

      – Regardez, mais regardez donc!

      La reine ferma les yeux comme si elle eût éprouvé un vertige. Elle porta la main à son visage et remonta en carrosse.

      Madame monta après elle.

      Le roi se remit à cheval, sans s'attacher de préférence à aucune portière; il revint à Fontainebleau, les rênes sur le cou de son cheval, rêveur et tout absorbé.

      Quand la foule se fut éloignée, quand ils eurent entendu le bruit des chevaux et des carrosses qui allait s'éteignant, quand ils furent sûrs enfin que personne ne les pouvait voir, Aramis et Fouquet sortirent de leur grotte. Puis, en silence, tous deux gagnèrent l'allée.

      Aramis plongea son regard, non seulement dans toute l'étendue qui se déroulait devant lui et derrière lui, mais encore dans l'épaisseur des bois.

      – Monsieur Fouquet, dit-il quand il se fut assuré que tout était solitaire, il faut à tout prix ravoir votre lettre à La Vallière.

      – Ce sera chose facile dit Fouquet, si le grison ne l'a pas rendue.

      – Il faut, en tout cas, que ce soit chose possible, comprenez- vous?

      – Oui, le roi aime cette fille, n'est-ce pas?

      – Beaucoup, et, ce qu'il y a de pis, c'est que, de son côté, cette fille aime le roi passionnément.

      – Ce qui veut dire que nous changeons de tactique, n'est-ce pas?

      – Sans aucun doute; vous n'avez pas de temps à perdre. Il faut que vous voyiez La Vallière, et que, sans plus songer à devenir son amant, ce qui est impossible, vous vous déclariez son plus cher ami et son plus humble serviteur.

      – Ainsi ferai-je, répondit Fouquet, et ce sera sans répugnance; cette enfant me semble pleine de coeur.

      – Ou d'adresse, dit Aramis; mais alors raison de plus.

      Puis il ajouta après un instant de silence:

      – Ou je me trompe, ou cette petite fille sera la grande passion du roi. Remontons en voiture, et ventre à terre jusqu'au château.

      Chapitre CXXXVII – Tobie

      Deux heures après que la voiture du surintendant était partie sur l'ordre d'Aramis, les emportant tous deux vers Fontainebleau avec la rapidité des nuages qui couraient au ciel sous le dernier souffle de la tempête, La Vallière était chez elle, en simple peignoir de mousseline, et achevant sa collation sur une petite table de marbre.

      Tout à coup sa porte s'ouvrit, et un valet de chambre la prévint que M. Fouquet demandait la permission de lui rendre ses devoirs.

      Elle fit répéter deux fois; la pauvre enfant ne connaissait M. Fouquet que de nom, et ne savait pas deviner ce qu'elle pouvait avoir de commun avec un surintendant des finances.

      Cependant, comme il pouvait venir de la part du roi, et, d'après la conversation que nous avons rapportée, la chose était bien possible, elle jeta un coup d'oeil sur son miroir, allongea encore les longues boucles de ses cheveux, et donna l'ordre qu'il fût introduit.

      La Vallière cependant ne pouvait s'empêcher d'éprouver un certain trouble. La visite du surintendant n'était pas un événement vulgaire dans la vie d'une femme de la Cour. Fouquet, si célèbre par sa générosité, sa galanterie et sa délicatesse avec les femmes, avait reçu plus d'invitations qu'il n'avait demandé d'audiences.

      Dans beaucoup de maisons, la présence du surintendant avait signifié fortune. Dans bon nombre de coeurs, elle avait signifié amour.

      Fouquet entra respectueusement chez La Vallière, se présentant avec cette grâce qui était le caractère distinctif des hommes éminents de ce siècle, et qui aujourd'hui ne se comprend plus, même dans les portraits de l'époque, où le peintre a essayé de les faire vivre.

      La Vallière répondit au salut cérémonieux de Fouquet par une révérence de pensionnaire, et lui indiqua un siège.

      Mais Fouquet, s'inclinant:

      – Je ne m'assoirai pas, mademoiselle, dit-il, que vous ne m'ayez pardonné.

      – Moi? demanda La Vallière.

      – Oui, vous.

      – Et pardonné quoi, mon Dieu?

      Fouquet fixa son plus perçant regard sur la jeune fille, et ne crut voir sur son visage que le plus naïf étonnement.

      – Je vois, mademoiselle, dit-il, que vous avez autant de générosité que d'esprit, et je lis dans vos yeux le pardon que le sollicitais. Mais il ne me suffit pas du pardon des lèvres, je vous en préviens, il me faut encore le pardon du coeur et de l'esprit.

      – Sur ma parole, monsieur, dit La Vallière, je vous jure que je ne vous comprends pas.

      – C'est encore une délicatesse qui me charme, répondit Fouquet, et je vois que ne voulez point que j'aie à rougir devant vous.

      – Rougir! rougir devant moi! Mais, voyons, dites, de quoi rougiriez vous?

      – Me tromperais-je, dit Fouquet, et aurais-je le bonheur que mon procédé envers vous ne vous eût pas désobligée?

      La Vallière haussa les épaules.

      – Décidément, monsieur, dit-elle, vous parlez par énigmes, et je suis trop ignorante, à ce qu'il paraît, pour vous comprendre.

      – Soit, dit Fouquet, je n'insisterai pas. Seulement, dites-moi, je vous en supplie, que je puis compter sur votre pardon plein et entier.

      – Monsieur,


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