Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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voilà quel était l'aspect des localités.

      Au fond de ces allées passaient et repassaient, avec des signes manifestes d'inquiétude, les chevreuils effarés, qui, après s'être arrêtés un instant au milieu du chemin et avoir relevé la tête, fuyaient comme des flèches, rentrant d'un seul bond dans l'épaisseur des bois, où ils disparaissaient, tandis que, de temps en temps, un lapin philosophe, debout sur son derrière, se grattait le museau avec les pattes de devant et interrogeait l'air pour reconnaître si tous ces gens qui s'approchaient et qui venaient troubler ainsi ses méditations, ses repas et ses amours, n'étaient pas suivis par quelque chien à jambes torses ou ne portaient point quelque fusil sous le bras.

      Toute la compagnie, au reste, était descendue de carrosse en voyant descendre la reine.

      Marie-Thérèse prit le bras d'une de ses dames d'honneur, et, après un oblique coup d'oeil donné au roi, qui ne parut point s'apercevoir qu'il fût le moins du monde l'objet de l'attention de la reine, elle s'enfonça dans la forêt par le premier sentier qui s'ouvrit devant elle.

      Deux piqueurs marchaient devant Sa Majesté avec des cannes dont ils se servaient pour relever les branches ou écarter les ronces qui pouvaient embarrasser le chemin.

      En mettant pied à terre, Madame trouva à ses côtés M. de Guiche, qui s'inclina devant elle et se mit à sa disposition.

      Monsieur, enchanté de son bain de la surveille, avait déclaré qu'il optait pour la rivière, et, tout en donnant congé à de Guiche, il était resté au château avec le chevalier de Lorraine et Manicamp.

      Il n'éprouvait plus ombre de jalousie.

      On l'avait donc cherché inutilement dans le cortège; mais comme Monsieur était un prince fort personnel, qui concourait d'habitude fort médiocrement au plaisir général, son absence avait été plutôt un sujet de satisfaction que de regret.

      Chacun avait suivi l'exemple donné par la reine et par Madame, s'accommodant à sa guise selon le hasard ou selon son goût.

      Le roi, nous l'avons dit, était demeuré près de La Vallière, et, descendant de cheval au moment où l'on ouvrait la portière du carrosse, il lui avait offert la main.

      Aussitôt Montalais et Tonnay-Charente s'étaient éloignées, la première par calcul, la seconde par discrétion.

      Seulement, il y avait cette différence entre elles deux que l'une s'éloignait dans le désir d'être agréable au roi et l'autre dans celui de lui être désagréable.

      Pendant la dernière demi-heure, le temps, lui aussi, avait pris ses dispositions: tout ce voile, comme poussé par un vent de chaleur, s'était massé à l'occident; puis repoussé par un courant contraire, s'avançait lentement, lourdement.

      On sentait s'approcher l'orage; mais, comme le roi ne le voyait pas, personne ne se croyait le droit de le voir.

      La promenade fut donc continuée; quelques esprits inquiets levaient de temps en temps les yeux au ciel.

      D'autres, plus timides encore, se promenaient sans s'écarter des voitures, où ils comptaient aller chercher un abri en cas d'orage.

      Mais la plus grande partie du cortège, en voyant le roi entrer bravement dans le bois avec La Vallière, la plus grande partie du cortège, disons-nous, suivit le roi.

      Ce que voyant, le roi prit la main de La Vallière et l'entraîna dans une allée latérale, où cette fois personne n'osa le suivre.

      Chapitre CXXXVI – La pluie

      En ce moment, dans la direction même que venaient de prendre le roi et La Vallière seulement, marchant sous bois au lieu de suivre l'allée, deux hommes avançaient fort insoucieux de l'état du ciel.

      Ils tenaient leurs têtes inclinées comme des gens qui pensent à de graves intérêts.

      Ils n'avaient vu ni de Guiche, ni Madame, ni le roi, ni La

      Vallière.

      Tout à coup quelque chose passa dans l'air comme une bouffée de flammes suivies d'un grondement sourd et lointain.

      – Ah! dit l'un des deux en relevant la tête, voici l'orage.

      Regagnons-nous les carrosses, mon cher d'Herblay?

      Aramis leva les yeux en l'air et interrogea le temps.

      – Oh! dit-il, rien ne presse encore.

      Puis, reprenant la conversation où il l'avait sans doute laissée:

      – Vous dites donc que la lettre que nous avons écrite hier au soir doit être à cette heure parvenue à destination?

      – Je dis qu'elle l'est certainement.

      – Par qui l'avez-vous fait remettre?

      – Par mon grison, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire.

      – A-t-il rapporté la réponse?

      – Je ne l'ai pas revu; sans doute la petite était à son service près de Madame ou s'habillait chez elle, elle l'aura fait attendre. L'heure de partir est venue et nous sommes partis. Je ne puis, en conséquence, savoir ce qui s'est passé là-bas.

      – Vous avez vu le roi avant le départ?

      – Oui.

      – Comment l'avez-vous trouvé?

      – Parfait ou infâme, selon qu'il aurait été vrai ou hypocrite.

      – Et la fête?

      – Aura lieu dans un mois.

      – Il s'y est invité?

      – Avec une insistance où j'ai reconnu Colbert.

      – C'est bien.

      – La nuit ne vous a point enlevé vos illusions?

      – Sur quoi?

      – Sur le concours que vous pouvez m'apporter en cette circonstance.

      – Non, j'ai passé la nuit à écrire, et tous les ordres sont donnés.

      – La fête coûtera plusieurs millions, ne vous le dissimulez pas.

      – J'en ferai six… Faites-en de votre côté deux ou trois à tout hasard.

      – Vous êtes un homme miraculeux, mon cher d'Herblay.

      Aramis sourit.

      – Mais, demanda Fouquet avec un reste d'inquiétude, puisque vous remuez ainsi les millions, pourquoi, il y a quelques jours, n'avez-vous pas donné de votre poche les cinquante mille francs à Baisemeaux?

      – Parce que, il y a quelques jours, j'étais pauvre comme Job.

      – Et aujourd'hui?

      – Aujourd'hui, je suis plus riche que le roi.

      – Très bien, fit Fouquet, je me connais en hommes. Je sais que vous êtes incapable de me manquer de parole; je ne veux point vous arracher votre secret: n'en parlons plus.

      En ce moment, un grondement sourd se fit entendre qui éclata tout à coup en un violent coup de tonnerre.

      – Oh! oh! fit Fouquet, je vous le disais bien.

      – Allons, dit Aramis, rejoignons les carrosses.

      – Nous n'aurons pas le temps, dit Fouquet, voici la pluie.

      En effet, comme si le ciel se fût ouvert, une ondée aux larges gouttes fit tout à coup résonner le dôme de la forêt.

      – Oh! dit Aramis, nous avons le temps de regagner les voitures avant que le feuillage soit inondé.

      – Mieux vaudrait, dit Fouquet, nous retirer dans quelque grotte.

      – Oui, mais où y a-t-il une grotte? demanda Aramis.

      – Moi, dit Fouquet avec un sourire, j'en connais une à dix pas d'ici.

      Puis s'orientant:

      – Oui, dit-il, c'est bien cela.

      – Que


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