Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


Скачать книгу
ai ajouté mes offres de service, et j'ai signé Fouquet.

      – Et nulle n'a résisté?

      – Une seule, dit Fouquet. Mais il y a quatre jours qu'elle a cédé comme les autres.

      – Voulez-vous prendre la peine d'écrire? dit Aramis à Fouquet en lui présentant une plume.

      Fouquet la prit.

      – Dictez, dit-il. J'ai tellement la tête occupée ailleurs, que je ne saurais trouver deux lignes.

      – Soit, fit Aramis. Écrivez.

      Et il dicta:

      «Mademoiselle, je vous ai vue, et vous ne serez point étonnée que je vous aie trouvée belle.

      Mais vous ne pouvez, faute d'une position digne de vous, que végéter à la Cour.

      L'amour d'un honnête homme, au cas où vous auriez quelque ambition, pourrait servir d'auxiliaire à votre esprit et à vos charmes.

      Je mets mon amour à vos pieds; mais, comme un amour, si humble et si discret qu'il soit, peut compromettre l'objet de son culte, il ne sied pas qu'une personne de votre mérite risque d'être compromise sans résultat sur son avenir.

      Si vous daignez répondre à mon amour, mon amour vous prouvera sa reconnaissance en vous faisant à tout jamais libre et indépendante.»

      Après avoir écrit, Fouquet regarda Aramis.

      – Signez, dit celui-ci.

      – Est-ce bien nécessaire?

      – Votre signature au bas de cette lettre vaut un million; vous oubliez cela, mon cher surintendant.

      Fouquet signa.

      – Maintenant, par qui enverrez-vous la lettre? demanda Aramis.

      – Mais par un valet excellent.

      – Dont vous êtes sûr?

      – C'est mon grison ordinaire.

      – Très bien.

      – Au reste, nous jouons, de ce côté-là, un jeu qui n'est pas lourd.

      – Comment cela?

      – Si ce que vous dites est vrai des complaisances de la petite pour le roi et pour Madame, le roi lui donnera tout l'argent qu'elle peut désirer.

      – Le roi a donc de l'argent? demanda Aramis.

      – Dame! il faut croire, il n'en demande plus.

      – Oh! il en redemandera, soyez tranquille.

      – Il y a même plus, j'eusse cru qu'il me parlerait de cette fête de Vaux.

      – Eh bien?

      – Il n'en a point parlé.

      – Il en parlera.

      – Oh! vous croyez le roi bien cruel, mon cher d'Herblay.

      – Pas lui.

      – Il est jeune; donc, il est bon.

      – Il est jeune; donc, il est faible ou passionné; et M. Colbert tient dans sa vilaine main sa faiblesse ou ses passions.

      – Vous voyez bien que vous le craignez.

      – Je ne le nie pas.

      – Alors, je suis perdu.

      – Comment cela?

      – Je n'étais fort auprès du roi que par l'argent.

      – Après?

      – Et je suis ruiné.

      – Non.

      – Comment, non? Savez-vous mes affaires mieux que moi?

      – Peut-être.

      – Et cependant s'il demande cette fête?

      – Vous la donnerez.

      – Mais l'argent?

      – En avez-vous jamais manqué?

      – Oh! si vous saviez à quel prix je me suis procuré le dernier.

      – Le prochain ne vous coûtera rien.

      – Qui donc me le donnera?

      – Moi.

      – Vous me donnerez six millions?

      – Oui.

      – Vous, six millions?

      – Dix, s'il le faut.

      – En vérité, mon cher d'Herblay, dit Fouquet, votre confiance m'épouvante plus que la colère du roi.

      – Bah!

      – Qui donc êtes-vous?

      – Vous me connaissez, ce me semble.

      – Je me trompe; alors, que voulez-vous?

      – Je veux sur le trône de France un roi qui soit dévoué à

      M. Fouquet, et je veux que M. Fouquet me soit dévoué.

      – Oh! s'écria Fouquet en lui serrant la main, quant à vous appartenir, je vous appartiens bien; mais, croyez-le bien, mon cher d'Herblay, vous vous faites illusion.

      – En quoi?

      – Jamais le roi ne me sera dévoué.

      – Je ne vous ai pas dit que le roi vous serait dévoué, ce me semble.

      – Mais si, au contraire, vous venez de le dire.

      – Je n'ai pas dit le roi. J'ai dit un roi.

      – N'est-ce pas tout un?

      – Au contraire, c'est fort différent.

      – Je ne comprends pas.

      – Vous allez comprendre. Supposez que ce roi soit un autre homme que Louis XIV.

      – Un autre homme?

      – Oui, qui tienne tout de vous.

      – Impossible!

      – Même son trône.

      – Oh! vous êtes fou! Il n'y a pas d'autre homme que le roi Louis XIV qui puisse s'asseoir sur le trône de France, je n'en vois pas, pas un seul.

      – J'en vois un, moi.

      – À moins que ce ne soit Monsieur, dit Fouquet en regardant

      Aramis avec inquiétude… Mais Monsieur…

      – Ce n'est pas Monsieur.

      – Mais comment voulez-vous qu'un prince qui ne soit pas de la race, comment voulez-vous qu'un prince qui n'aura aucun droit…

      – Mon roi à moi, ou plutôt votre roi à vous, sera tout ce qu'il faut qu'il soit, soyez tranquille.

      – Prenez garde, prenez garde, monsieur d'Herblay, vous me donnez le frisson, vous me donnez le vertige.

      Aramis sourit.

      – Vous avez le frisson et le vertige à peu de frais, répliqua-t- il.

      – Oh! encore une fois, vous m'épouvantez.

      Aramis sourit.

      – Vous riez? demanda Fouquet.

      – Et, le jour venu, vous rirez comme moi; seulement, je dois maintenant être seul à rire.

      – Mais expliquez-vous.

      – Au jour venu, je m'expliquerai, ne craignez rien. Vous n'êtes pas plus saint Pierre que je ne suis Jésus, et je vous dirai pourtant: «Homme de peu de foi, pourquoi doutez-vous?»

      – Eh! mon Dieu! je doute… je doute, parce que je ne vois pas.

      – C'est qu'alors vous êtes aveugle: je ne vous traiterai donc plus en saint Pierre, mais en saint Paul, et je vous dirai: «Un jour viendra où tes yeux s'ouvriront.»

      – Oh! dit Fouquet que je voudrais croire!

      – Vous


Скачать книгу