Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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qui du rang de premier ministre passerez à celui de maire du palais. Mais, non, dit-il avec son éternel sourire… Non, non, vous ne pouvez voir, et, par conséquent vous ne pouvez croire cela.

      Et Aramis se leva pour se retirer.

      – Un dernier mot, dit Fouquet, vous ne m'avez jamais parlé ainsi, vous ne vous êtes jamais montré si confiant, ou plutôt si téméraire.

      – Parce que, pour parler haut, il faut avoir la voix libre.

      – Vous l'avez donc?

      – Oui.

      – Depuis peu de temps alors?

      – Depuis hier.

      – Oh! monsieur d'Herblay, prenez garde, vous poussez la sécurité jusqu'à l'audace.

      – Parce que l'on peut être audacieux quand on est puissant.

      – Vous êtes puissant?

      – Je vous ai offert dix millions, je vous les offre encore.

      Fouquet se leva troublé à son tour.

      – Voyons, dit-il, voyons: vous avez parlé de renverser des rois, de les remplacer par d'autres rois. Dieu me pardonne! mais voilà, si je ne suis fou, ce que vous avez dit tout à l'heure.

      – Vous n'êtes pas fou, et j'ai véritablement dit cela tout à l'heure.

      – Et pourquoi l'avez-vous dit?

      – Parce que l'on peut parler ainsi de trônes renversés et de rois créés, quand on est soi-même au-dessus des rois et des trônes… de ce monde.

      – Alors vous êtes tout-puissant? s'écria Fouquet.

      – Je vous l'ai dit et je vous le répète, répondit Aramis l'oeil brillant et la lèvre frémissante.

      Fouquet se rejeta sur son fauteuil et laissa tomber sa tête dans ses mains.

      Aramis le regarda un instant comme eût fait l'ange des destinées humaines à l'égard d'un simple mortel.

      – Adieu, lui dit-il, dormez tranquille, et envoyez votre lettre à

      La Vallière. Demain, nous nous reverrons, n'est-ce pas?

      – Oui, demain, dit Fouquet en secouant la tête comme un homme qui revient à lui; mais où cela nous reverrons-nous?

      – À la promenade du roi, si vous voulez.

      – Fort bien.

      Et ils se séparèrent.

      Chapitre CXXXV – L'orage

      Le lendemain, le jour s'était levé sombre et blafard, et, comme chacun savait la promenade arrêtée dans le programme royal, le regard de chacun, en ouvrant les yeux, se porta sur le ciel.

      Au haut des arbres stationnait une vapeur épaisse et ardente qui avait à peine eu la force de s'élever à trente pieds de terre sous les rayons d'un soleil qu'on n'apercevait qu'à travers le voile d'un lourd et épais nuage.

      Ce matin-là, pas de rosée. Les gazons étaient restés secs, les fleurs altérées. Les oiseaux chantaient avec plus de réserve qu'à l'ordinaire dans le feuillage immobile comme s'il était mort. Les murmures étranges, confus, pleins de vie, qui semblent naître et exister par le soleil, cette respiration de la nature qui parle incessante au milieu de tous les autres bruits, ne se faisait pas entendre: le silence n'avait jamais été si grand.

      Cette tristesse du ciel frappa les yeux du roi lorsqu'il se mit à la fenêtre à son lever.

      Mais, comme tous les ordres étaient donnés pour la promenade, comme tous les préparatifs étaient faits, comme, chose bien plus péremptoire, Louis comptait sur cette promenade pour répondre aux promesses de son imagination, et, nous pouvons même déjà le dire, aux besoins de son coeur, le roi décida sans hésitation que l'état du ciel n'avait rien à faire dans tout cela, que la promenade était décidée et que, quelque temps qu'il fît, la promenade aurait lieu.

      Au reste, il y a dans certains règnes terrestres privilégiés du ciel des heures où l'on croirait que la volonté du roi terrestre a son influence sur la volonté divine. Auguste avait Virgile pour lui dire: Nocte placet tota redeunt spectacula mane. Louis XIV avait Boileau, qui devait lui dire bien autre chose, et Dieu, qui se devait montrer presque aussi complaisant pour lui que Jupiter l'avait été pour Auguste.

      Louis entendit la messe comme à son ordinaire, mais il faut l'avouer, quelque peu distrait de la présence du Créateur par le souvenir de la créature. Il s'occupa durant l'office à calculer plus d'une fois le nombre des minutes, puis des secondes qui le séparaient du bienheureux moment où la promenade allait commencer, c'est-à-dire du moment où Madame se mettrait en chemin avec ses filles d'honneur.

      Au reste, il va sans dire que tout le monde au château ignorait l'entrevue qui avait eu lieu la veille entre La Vallière et le roi. Montalais peut-être, avec son bavardage habituel, l'eût répandue; mais Montalais, dans cette circonstance, était corrigée par Malicorne, lequel lui avait mis aux lèvres le cadenas de l'intérêt commun.

      Quant à Louis XIV, il était si heureux, qu'il avait pardonné, ou à peu près, à Madame, sa petite méchanceté de la veille. En effet, il avait plutôt à s'en louer qu'à s'en plaindre. Sans cette méchanceté, il ne recevait pas la lettre de La Vallière; sans cette lettre, il n'y avait pas d'audience, et sans cette audience il demeurait dans l'indécision. Il entrait donc trop de félicité dans son coeur pour que la rancune pût y tenir, en ce moment du moins.

      Donc, au lieu de froncer le sourcil en apercevant sa belle-soeur, Louis se promit de lui montrer encore plus d'amitié et de gracieux accueil que l'ordinaire.

      C'était à une condition cependant, à la condition qu'elle serait prête de bonne heure.

      Voilà les choses auxquelles Louis pensait durant la messe, et qui, il faut le dire, lui faisaient pendant le saint exercice oublier celles auxquelles il eût dû songer en sa qualité de roi très chrétien et de fils aîné de l'Église.

      Cependant Dieu est si bon pour les jeunes coeurs, tout ce qui est amour, même amour coupable, trouve si facilement grâce à ses regards paternels, qu'au sortir de la messe, Louis, en levant ses yeux au ciel, put voir à travers les déchirures d'un nuage un coin de ce tapis d'azur que foule le pied du Seigneur.

      Il rentra au château, et, comme la promenade était indiquée pour midi seulement et qu'il n'était que dix heures, il se mit à travailler d'acharnement avec Colbert et Lyonne.

      Mais, comme, tout en travaillant, Louis allait de la table à la fenêtre, attendu que cette fenêtre donnait sur le pavillon de Madame, il put voir dans la cour M. Fouquet, dont les courtisans, depuis sa faveur de la veille, faisaient plus de cas que jamais, qui venait, de son côté, d'un air affable et tout à fait heureux, faire sa cour au roi.

      Instinctivement, en voyant Fouquet, le roi se retourna vers

      Colbert.

      Colbert souriait et paraissait lui-même plein d'aménité et de jubilation. Ce bonheur lui était venu depuis qu'un de ses secrétaires était entré et lui avait remis un portefeuille que, sans l'ouvrir, Colbert avait introduit dans la vaste poche de son haut-de-chausses.

      Mais, comme il y avait toujours quelque chose de sinistre au fond de la joie de Colbert, Louis opta, entre les deux sourires, pour celui de Fouquet.

      Il fit signe au surintendant de monter; puis, se retournant vers

      Lyonne et Colbert:

      – Achevez, dit-il, ce travail, posez-le sur mon bureau, je le lirai à tête reposée.

      Et il sortit.

      Au signe du roi, Fouquet s'était hâté de monter. Quant à Aramis, qui accompagnait le surintendant, il s'était gravement replié au milieu du groupe de courtisans vulgaires, et s'y était perdu sans même avoir été remarqué par le roi.

      Le roi et Fouquet se rencontrèrent en haut de l'escalier.

      – Sire, dit Fouquet en voyant le gracieux


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