Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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rien à faire dans ce monde brillant et léger. Après avoir suivi le roi pendant deux jours à Fontainebleau, et avoir regardé toutes les bergerades et tous les travestissements héroï- comiques de son souverain, le mousquetaire avait senti que cela ne suffisait point à remplir sa vie.

      Accosté à chaque instant par des gens qui lui disaient: «Comment trouvez-vous que m'aille cet habit, monsieur d'Artagnan?» il leur répondait de sa voix placide et railleuse: «Mais je trouve que vous êtes aussi bien habillé que le plus beau singe de la foire Saint-Laurent.».

      C'était un compliment comme les faisait d'Artagnan quand il n'en voulait pas faire d'autre: bon gré mal gré, il fallait donc s'en contenter.

      Et, quand on lui demandait: «Monsieur d'Artagnan, comment vous habillez-vous ce soir?» il répondait: «Je me déshabillerai.»

      Ce qui faisait rire même les dames.

      Mais, après deux jours passés ainsi, le mousquetaire voyant que rien de sérieux ne s'agitait là-dessous, et que le roi avait complètement, ou du moins paraissait avoir complètement oublié Paris, Saint-Mandé et Belle-Île; que M. Colbert rêvait lampions et feux d'artifice; que les dames en avaient pour un mois au moins d'oeillades à rendre et à donner; D'Artagnan demanda au roi un congé pour affaires de famille.

      Au moment où d'Artagnan lui faisait cette demande, le roi se couchait, rompu d'avoir dansé.

      – Vous voulez me quitter, monsieur d'Artagnan? demanda-t-il d'un air étonné.

      Louis XIV ne comprenait jamais que l'on se séparât de lui quand on pouvait avoir l'insigne honneur de demeurer près de lui.

      – Sire, dit d'Artagnan, je vous quitte parce que je ne vous sers à rien. Ah! si je pouvais vous tenir le balancier, tandis que vous dansez, ce serait autre chose.

      – Mais, mon cher monsieur d'Artagnan, répondit gravement le roi, on danse sans balancier.

      – Ah! tiens, dit le mousquetaire continuant son ironie insensible, tiens, je ne savais pas, moi!

      – Vous ne m'avez donc pas vu danser? demanda le roi.

      – Oui; mais j'ai cru que cela irait toujours de plus fort en plus

      fort. Je me suis trompé: raison de plus pour que je me retire.

      Sire, je le répète, vous n'avez pas besoin de moi; d'ailleurs, si

      Votre Majesté en avait besoin, elle saurait où me trouver.

      – C'est bien, dit le roi.

      Et il accorda le congé.

      Nous ne chercherons donc pas d'Artagnan à Fontainebleau, ce serait chose inutile; mais, avec la permission de nos lecteurs, nous le retrouverons rue des Lombards, au Pilon d'Or, chez notre vénérable ami Planchet.

      Il est huit heures du soir, il fait chaud, une seule fenêtre est ouverte, c'est celle d'une chambre de l'entresol.

      Un parfum d'épicerie, mêlé au parfum moins exotique, mais plus pénétrant, de la fange de la rue monte aux narines du mousquetaire.

      D'Artagnan, couché sur une immense chaise à dossier plat, les jambes, non pas allongées, mais posées sur un escabeau, forme l'angle le plus obtus qui se puisse voir.

      L'oeil, si fin et si mobile d'habitude, est fixe, presque voilé, et a pris pour but invariable le petit coin du ciel bleu que l'on aperçoit derrière la déchirure des cheminées; il y a du bleu tout juste ce qu'il en faudrait pour mettre une pièce à l'un des sacs de lentilles ou de haricots qui forment le principal ameublement de la boutique du rez-de-chaussée.

      Ainsi étendu, ainsi abruti dans son observation transfenestrale, d'Artagnan n'est plus un homme de guerre, d'Artagnan n'est plus un officier du palais, c'est un bourgeois croupissant entre le dîner et le souper, entre le souper et le coucher; un de ces braves cerveaux ossifiés qui n'ont plus de place pour une seule idée, tant la matière guette avec férocité aux portes de l'intelligence, et surveille la contrebande qui pourrait se faire en introduisant dans le crâne un symptôme de pensée.

      Nous avons dit qu'il faisait nuit; les boutiques s'allumaient tandis que les fenêtres des appartements supérieurs se fermaient; une patrouille de soldats du guet faisait entendre le bruit régulier de son pas.

      D'Artagnan continuait à ne rien entendre et à ne rien regarder que le coin bleu de son ciel.

      À deux pas de lui, tout à fait dans l'ombre, couché sur un sac de maïs, Planchet, le ventre sur ce sac, les deux bras sous son menton, regardait d'Artagnan penser, rêver ou dormir les yeux ouverts.

      L'observation durait déjà depuis fort longtemps.

      Planchet commença par faire:

      – Hum! hum!

      D'Artagnan ne bougea point.

      Planchet vit alors qu'il fallait recourir à quelque moyen plus efficace: après mûres réflexions, ce qu'il trouva de plus ingénieux dans les circonstances présentes, fut de se laisser rouler de son sac sur le parquet en murmurant contre lui-même le mot:

      – Imbécile!

      Mais, quel que fût le bruit produit par la chute de Planchet, d'Artagnan, qui, dans le cours de son existence, avait entendu bien d'autres bruits, ne parut pas faire le moindre cas de ce bruit-là.

      D'ailleurs, une énorme charrette, chargée de pierres, débouchant de la rue Saint-Médéric, absorba dans le bruit de ses roues le bruit de la chute de Planchet.

      Cependant Planchet crut, en signe d'approbation tacite, le voir imperceptiblement sourire au mot imbécile.

      Ce qui, l'enhardissant lui fit dire:

      – Est-ce que vous dormez, monsieur d'Artagnan?

      – Non, Planchet, je ne dors même pas, répondit le mousquetaire.

      – J'ai le désespoir, fit Planchet, d'avoir entendu le mot même.

      – Eh bien! quoi? est-ce que ce mot n'est pas français, monsieur

      Planchet?

      – Si fait, monsieur d'Artagnan.

      – Eh bien?

      – Eh bien! ce mot m'afflige.

      – Développe-moi ton affliction, Planchet, dit d'Artagnan.

      – Si vous dites que vous ne dormez même pas, c'est comme si vous disiez que vous n'avez même pas la consolation de dormir. Ou mieux, c'est comme si vous disiez en d'autres termes: Planchet, je m'ennuie à crever.

      – Planchet, tu sais que je ne m'ennuie jamais.

      – Excepté aujourd'hui et avant-hier.

      – Bah!

      – Monsieur d'Artagnan, voilà huit jours que vous êtes revenu de Fontainebleau; voilà huit jours que vous n'avez plus ni vos ordres à donner, ni votre compagnie à faire manoeuvrer. Le bruit des mousquets, des tambours et de toute la royauté vous manque; d'ailleurs, moi qui ai porté le mousquet, je conçois cela.

      – Planchet, répondit d'Artagnan, je t'assure que je ne m'ennuie pas le moins du monde.

      – Que faites-vous, en ce cas, couché là comme un mort?

      – Mon ami Planchet, il y avait au siège de La Rochelle quand j'y étais, quand tu y étais, quand nous y étions enfin, il y avait au siège de La Rochelle un Arabe qu'on renommait pour sa façon de pointer les couleuvrines. C'était un garçon d'esprit, quoiqu'il fût d'une singulière couleur, couleur de tes olives. Eh bien! cet Arabe, quand il avait mangé ou travaillé, se couchait comme je suis couché en ce moment, et fumait je ne sais quelles feuilles magiques dans un grand tube à bout d'ambre; et, si quelque chef, venant à passer, lui reprochait de toujours dormir, il répondait tranquillement: «Mieux vaut être assis que debout, couché qu'assis, mort que couché.»

      – C'était un Arabe lugubre et par sa couleur et par ses sentences, dit Planchet. Je me le rappelle parfaitement. Il coupait les têtes des protestants avec beaucoup de satisfaction.

      – Précisément,


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