Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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bien cela.

      – Oh! moi aussi, j'ai de la mémoire.

      – Je n'en doute pas; mais que dis-tu de son raisonnement?

      – Monsieur, je le trouve parfait d'une part, mais stupide de l'autre.

      – Devise, Planchet, devise.

      – Eh bien! monsieur, en effet, mieux vaut être assis que debout, c'est constant surtout lorsqu'on est fatigué. Dans certaines circonstances – et Planchet sourit d'un air coquin – mieux vaut être couché qu'assis. Mais, quant à la dernière proposition: mieux vaut être mort que couché, je déclare que je la trouve absurde; que ma préférence incontestable est pour le lit, et que, si vous n'êtes point de mon avis, c'est que, comme j'ai l'honneur de vous le dire, vous vous ennuyez à crever.

      – Planchet, tu connais M. La Fontaine?

      – Le pharmacien du coin de la rue Saint-Médéric?

      – Non, le fabuliste.

      – Ah! maître corbeau?

      – Justement; eh bien! je suis comme son lièvre.

      – Il a donc un lièvre aussi?

      – Il a toutes sortes d'animaux.

      – Eh bien! que fait-il, son lièvre?

      – Il songe.

      – Ah! ah!

      – Planchet, je suis comme le lièvre de M. La Fontaine, je songe.

      – Vous songez? fit Planchet inquiet.

      – Oui; ton logis, Planchet, est assez triste pour pousser à la méditation; tu conviendras de cela, je l'espère.

      – Cependant, monsieur, vous avez vue sur la rue.

      – Pardieu! voilà qui est récréatif, hein?

      – Il n'en est pas moins vrai, monsieur, que, si vous logiez sur le derrière, vous vous ennuieriez… Non, je veux dire que vous songeriez encore plus.

      – Ma foi! je ne sais pas, Planchet.

      – Encore, fit l'épicier, si vos songeries étaient du genre de celle qui vous a conduit à la restauration du roi Charles II.

      Et Planchet fit entendre un petit rire qui n'était pas sans signification.

      – Ah! Planchet, mon ami, dit d'Artagnan, vous devenez ambitieux.

      – Est-ce qu'il n'y aurait pas quelque autre roi à restaurer, monsieur d'Artagnan, quelque autre Monck à mettre en boîte?

      – Non, mon cher Planchet, tous les rois sont sur leurs trônes… moins bien peut-être que je ne suis sur cette chaise; mais enfin ils y sont.

      Et d'Artagnan poussa un soupir.

      – Monsieur d'Artagnan, fit Planchet, vous me faites de la peine.

      – Tu es bien bon, Planchet.

      – J'ai un soupçon, Dieu me pardonne.

      – Lequel?

      – Monsieur d'Artagnan, vous maigrissez.

      – Oh! fit d'Artagnan frappant sur son thorax, qui résonna comme une cuirasse vide, c'est impossible, Planchet.

      – Ah! voyez-vous, dit Planchet avec effusion, c'est que si vous maigrissiez chez moi…

      – Eh bien!

      – Eh bien! je ferais un malheur.

      – Allons, bon!

      – Oui.

      – Que ferais-tu? Voyons.

      – Je trouverais celui qui cause votre chagrin.

      – Voilà que j'ai un chagrin, maintenant.

      – Oui, vous en avez un.

      – Non, Planchet, non.

      – Je vous dis que si, moi; vous avez un chagrin, et vous maigrissez.

      – Je maigris, tu es sûr?

      – À vue d'oeil… Malaga! si vous maigrissez encore, je prends ma rapière, et je m'en vais tout droit couper la gorge à M. d'Herblay.

      – Hein! fit d'Artagnan en bondissant sur sa chaise, que dites- vous là, Planchet? et que fait le nom de M. d'Herblay dans votre épicerie?

      – Bon! bon! fâchez-vous si vous voulez, injuriez-moi si vous voulez; mais, morbleu! je sais ce que je sais.

      D'Artagnan s'était, pendant cette seconde sortie de Planchet, placé de manière à ne pas perdre un seul de ses regards, c'est-à- dire qu'il s'était assis, les deux mains appuyées sur ses deux genoux, le cou tendu vers le digne épicier.

      – Voyons, explique-toi, dit-il, et dis-moi comment tu as pu proférer un blasphème de cette force. M. d'Herblay, ton ancien chef, mon ami, un homme d'Église, un mousquetaire devenu évêque, tu lèverais l'épée sur lui, Planchet?

      – Je lèverais l'épée sur mon père quand je vous vois dans ces états-là.

      – M. d'Herblay, un gentilhomme!

      – Cela m'est bien égal, à moi, qu'il soit gentilhomme. Il vous fait rêver noir, voilà ce que je sais. Et, de rêver noir, on maigrit. Malaga! Je ne veux pas que M. d'Artagnan sorte de chez moi plus maigre qu'il n'y est entré.

      – Comment me fait-il rêver noir? Voyons, explique, explique.

      – Voilà trois nuits que vous avez le cauchemar.

      – Moi?

      – Oui, vous, et que, dans votre cauchemar, vous répétez: «Aramis! sournois d'Aramis!»

      – Ah! j'ai dit cela? fit d'Artagnan inquiet.

      – Vous l'avez dit, foi de Planchet!

      – Et bien, après? Tu sais le proverbe, mon ami. «Tout songe est mensonge.»

      – Non pas; car, chaque fois que, depuis trois jours, vous êtes

      sorti, vous n'avez pas manqué de me demander au retour: «As-tu vu

      M. d'Herblay?» ou bien encore: «As-tu reçu pour moi des lettres de

      M. d'Herblay?»

      – Mais il me semble qu'il est bien naturel que je m'intéresse à ce cher ami? dit d'Artagnan.

      – D'accord, mais pas au point d'en diminuer.

      – Planchet, j'engraisserai, je t'en donne ma parole d'honneur.

      – Bien! monsieur, je l'accepte; car je sais que, lorsque vous donnez votre parole d'honneur, c'est sacré…

      – Je ne rêverai plus d'Aramis.

      – Très bien!

      – Je ne te demanderai plus s'il y a des lettres de M. d'Herblay.

      – Parfaitement.

      – Mais tu m'expliqueras une chose.

      – Parlez, monsieur.

      – Je suis observateur…

      – Je le sais bien…

      – Et tout à l'heure tu as dit un juron singulier…

      – Oui.

      – Dont tu n'as pas l'habitude.

      – «Malaga!» vous voulez dire?

      – Justement.

      – C'est mon juron depuis que je suis épicier.

      – C'est juste, c'est un nom de raisin sec.

      – C'est mon juron de férocité; quand une fois j'ai dit «Malaga!» je ne suis plus un homme.

      – Mais enfin je ne te connaissais pas ce juron-là.

      – C'est juste, monsieur, on me l'a donné.

      Et Planchet, en prononçant ces paroles, cligna de


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