Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre


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monsieur, dit Planchet, je ne suis pas comme vous, moi, je ne passe pas ma vie à songer.

      – Tu as tort.

      – Je veux dire à m'ennuyer, monsieur; nous n'avons qu'un faible temps à vivre, pourquoi ne pas en profiter?

      – Tu es philosophe épicurien, à ce qu'il paraît, Planchet?

      – Pourquoi pas? La main est bonne, on écrit et l'on pèse du sucre et des épices; le pied est sûr, on danse ou l'on se promène; l'estomac a des dents, on dévore et l'on digère; le coeur n'est pas trop racorni; eh bien! monsieur…

      – Eh bien! quoi, Planchet?

      – Ah! voilà!.. fit l'épicier en se frottant les mains.

      D'Artagnan croisa une jambe sur l'autre.

      – Planchet, mon ami, dit-il, vous m'abrutissez de surprise.

      – Pourquoi?

      – Parce que vous vous révélez à moi sous un jour absolument nouveau.

      Planchet, flatté au dernier point, continua de se frotter les mains à s'enlever l'épiderme.

      – Ah! ah! dit-il, parce que je ne suis qu'une bête, vous croyez que je serai un imbécile?

      – Bien! Planchet, voilà un raisonnement.

      – Suivez bien mon idée, monsieur. Je me suis dit, continua

      Planchet, sans plaisir, il n'est pas de bonheur sur la terre.

      – Oh! que c'est bien vrai, ce que tu dis là, Planchet! interrompit d'Artagnan.

      – Or, prenons, sinon du plaisir, le plaisir n'est pas chose si commune, du moins, des consolations.

      – Et tu te consoles?

      – Justement.

      – Explique-moi ta manière de te consoler.

      – Je mets un bouclier pour aller combattre l'ennui. Je règle mon temps de patience, et, à la veille juste du jour où je sens que je vais m'ennuyer, je m'amuse.

      – Ce n'est pas plus difficile que cela?

      – Non.

      – Et tu as trouvé cela tout seul?

      – Tout seul.

      – C'est miraculeux.

      – Qu'en dites-vous?

      – Je dis que ta philosophie n'a pas sa pareille au monde.

      – Eh bien! alors, suivez mon exemple.

      – C'est tentant.

      – Faites comme moi.

      – Je ne demanderais pas mieux; mais toutes les âmes n'ont pas la même trempe, et peut-être que, s'il fallait que je m'amusasse comme toi, je m'ennuierais horriblement…

      – Bah! essayez d'abord.

      – Que fais-tu? Voyons.

      – Avez-vous remarqué que je m'absente?

      – Oui.

      – D'une certaine façon?

      – Périodiquement.

      – C'est cela, ma foi! Vous l'avez remarqué?

      – Mon cher Planchet, tu comprends que, lorsqu'on se voit à peu près tous les jours, quand l'un s'absente, celui-là manque à l'autre? Est-ce que je ne te manque pas, à toi, quand je suis en campagne?

      – Immensément! c'est-à-dire que je suis comme un corps sans âme.

      – Ceci convenu, continuons.

      – À quelle époque est-ce que je m'absente?

      – Le 15 et le 30 de chaque mois.

      – Et je reste dehors?

      – Tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre jours.

      – Qu'avez-vous cru que j'allais faire?

      – Les recettes.

      – Et, en revenant, vous m'avez trouvé le visage?..

      – Fort satisfait.

      – Vous voyez, vous le dites vous-même, toujours satisfait. Et vous avez attribué cette satisfaction?..

      – À ce que ton commerce allait bien; à ce que les achats de riz, de pruneaux, de cassonade, de poires tapées et de mélasse allaient à merveille. Tu as toujours été fort pittoresque de caractère, Planchet; aussi n'ai-je pas été surpris un instant de te voir opter pour l'épicerie, qui est un des commerces les plus variés et les plus doux au caractère, en ce qu'on y manie presque toutes choses naturelles et parfumées.

      – C'est bien dit, monsieur; mais quelle erreur est la vôtre!

      – Comment, j'erre?

      – Quand vous croyez que je vais comme cela tous les quinze jours en recettes ou en achats. Oh! oh! monsieur, comment diable avez- vous pu croire une pareille chose? Oh! oh! oh!

      Et Planchet se mit à rire de façon à inspirer à d'Artagnan les doutes les plus injurieux sur sa propre intelligence.

      – J'avoue, dit le mousquetaire, que je ne suis pas à ta hauteur.

      – Monsieur, c'est vrai.

      – Comment, c'est vrai?

      – Il faut bien que ce soit vrai puisque vous le dites; mais remarquez bien que cela ne vous fait rien perdre dans mon esprit.

      – Ah! c'est bien heureux!

      – Non, vous êtes un homme de génie, vous; et, quand il s'agit de guerre, de surprises, de tactique et de coups de main, dame! les rois sont bien peu de chose à côté de vous; mais, pour le repos de l'âme, les soins du corps, les confitures de la vie, si cela peut se dire, ah! monsieur, ne me parlez pas des hommes de génie, ils sont leurs propres bourreaux.

      – Bon! Planchet, dit d'Artagnan pétillant de curiosité, voilà que tu m'intéresses au plus haut point.

      – Vous vous ennuyez déjà moins que tout à l'heure, n'est-ce pas?

      – Je ne m'ennuyais pas; cependant, depuis que tu me parles, je m'amuse davantage.

      – Allons donc! bon commencement! Je vous guérirai.

      – Je ne demande pas mieux.

      – Voulez-vous que j'essaie?

      – À l'instant.

      – Soit! Avez-vous ici des chevaux?

      – Oui: dix, vingt, trente.

      – Il n'en est pas besoin de tant que cela; deux, voilà tout.

      – Ils sont à ta disposition, Planchet.

      – Bon! je vous emmène.

      – Quand cela?

      – Demain.

      – Où?

      – Ah! vous en demandez trop.

      – Cependant tu m'avoueras qu'il est important que je sache où je vais.

      – Aimez-vous la campagne?

      – Médiocrement, Planchet.

      – Alors vous aimez la ville?

      – C'est selon.

      – Eh bien! je vous mène dans un endroit moitié ville moitié campagne.

      – Bon!

      – Dans un endroit où vous vous amuserez, j'en suis sûr.

      – À merveille!

      – Et, miracle, dans un endroit d'où vous revenez pour vous y être ennuyé.

      – Moi?

      – Mortellement!

      – C'est donc à Fontainebleau que tu vas?

      – À


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