Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre


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belle et bonne conspiration contre le régent, conspiration dont est le roi d'Espagne, dont est le cardinal Alberoni, dont est monsieur le duc du Maine, dont je suis, dont est le marquis de Pompadour, dont est monsieur de Malezieux dont est l'abbé Brigaud, dont est Valef, dont vous êtes, dont est monsieur le cardinal lui-même, dont est le premier président, dont sera la moitié du parlement, et dont seront les trois quarts de la France! Voilà ce dont il s'agit, chevalier. Êtes-vous content, cardinal? Est-ce clair, messieurs?

      – Madame! murmura Malezieux en joignant les mains devant elle avec plus de dévotion qu'il n'eût certes fait devant la Vierge.

      – Non, tenez, Malezieux, c'est qu'il me damne, continua la duchesse, avec ses tempéraments hors de saison! Mon Dieu! Mais est-ce donc la peine d'être homme pour tâtonner éternellement ainsi! Moi, je ne vous demande pas une épée, je ne vous demande pas un poignard; qu'on me donne un clou seulement, et moi femme et presque naine, j'irai, comme une nouvelle Jahel, le planter dans la tempe de cet autre Sisara. Alors tout sera fini, et si j'échoue, il n'y aura que moi de compromise.

      Monsieur de Polignac poussa un profond soupir, Pompadour éclata de rire, Malezieux essaya de calmer la duchesse, l'abbé Brigaud baissa la tête et se remit à écrire comme s'il n'eût rien entendu.

      Quant à d'Harmental, il eût voulu baiser le bas de la robe de madame du Maine, tant cette femme lui paraissait supérieure aux quatre hommes qui l'entouraient.

      En ce moment, on entendit de nouveau le bruit d'une voiture qui entrait dans la cour et qui s'arrêtait devant le perron. Sans doute la personne attendue était une personne d'importance, car il se fit un grand silence, et la duchesse du Maine, dans son impatience, alla elle-même ouvrir la porte.

      – Eh bien? demanda-t-elle.

      – Le voilà, dit dans le corridor une voix que d'Harmental crut reconnaître pour celle de la chauve-souris.

      – Entrez, entrez, prince, dit la duchesse, entrez, nous vous attendons

      Chapitre 6

      Sur cette invitation, un homme grand, mince, grave et digne, au teint hâlé par le soleil, entra enveloppé dans son manteau, et d'un seul coup d'œil embrassa tout ce qu'il y avait dans cette chambre, hommes et choses. Le chevalier reconnut l'ambassadeur de Leurs Majestés Catholiques, le prince de Cellamare.

      – Eh bien! prince, demanda la duchesse, que dites-vous de nouveau?

      – Je dis, madame, répondit le prince en lui baisant respectueusement la main et en jetant son manteau sur un fauteuil, je dis que Votre Altesse Sérénissime devrait bien changer de cocher. Je lui prédis malheur si elle garde à son service le drôle qui m'a conduit ici. Il m'a tout l'air d'être payé par le régent pour rompre le cou à Votre Altesse et à ses amis.

      Chacun éclata de rire et particulièrement le cocher lui-même, qui, sans façon, était entré derrière le prince et qui, jetant sa houppelande et son chapeau sur une chaise voisine du fauteuil où le prince de Cellamare avait déposé son manteau, montra un homme de haute mine, âgé de trente-cinq à quarante ans à peu près, ayant tout le bas de la figure caché par une mentonnière de taffetas noir.

      – Entendez-vous, mon cher Laval, ce que le prince dit de vous? demanda la duchesse.

      – Oui, oui, dit Laval, on lui en donnera des Montmorency pour qu'il les traite de cette façon-là! Ah! Monsieur le prince, les premiers barons chrétiens ne sont pas dignes de vous servir de cochers? Peste! vous êtes bien difficile. En avez-vous beaucoup, à Naples, de cochers qui datent de Robert le Fort?

      – Comment! c'était vous, mon cher comte? dit le prince en lui tendant la main.

      – Moi-même, prince. Madame la duchesse a envoyé son cocher faire la mi-carême dans sa famille, et m'a pris à son service pour cette nuit; elle a pensé que c'était plus sûr.

      – Et madame la duchesse a bien fait, dit le cardinal de Polignac; on ne peut prendre trop de précautions.

      – Oui-da! Votre Éminence, dit Laval. Je voudrais bien savoir si vous seriez du même avis après avoir passé la moitié de la nuit sur le siège d'une voiture, d'abord pour aller chercher monsieur d'Harmental au bal de l'opéra et ensuite pour aller prendre le prince à l'hôtel Colbert?

      – Comment! dit d'Harmental, c'est vous, monsieur le comte, qui avez eu la bonté?

      – Oui, c'est moi, jeune homme, répondit Laval, et j'aurais été au bout du monde pour vous ramener ici, car je vous connais, vous êtes un brave. C'est vous qui êtes entré un des premiers à Denain et qui avez pris d'Albemarle. Vous avez eu le bonheur de ne pas y laisser la moitié de votre mâchoire, comme j'ai laissé la moitié de la mienne en Italie, et vous avez eu raison, car c'eût été un motif de plus de vous ôter votre régiment, comme ils l'ont fait, du reste.

      – Nous vous rendrons tout cela, chevalier, soyez tranquille, et au centuple, dit la duchesse; mais, pour le moment, parlons de l'Espagne. Prince, vous avez reçu des nouvelles d'Alberoni, m'a dit Pompadour?

      – Oui, Votre Altesse.

      – Quelles sont-elles?

      – Bonnes et mauvaises à la fois. Sa Majesté Philippe V est dans un de ses moments de mélancolie, et on ne peut le déterminer à rien. Il ne peut croire au traité de la quadruple alliance.

      – Il n'y peut croire! s'écria la duchesse, et ce traité doit être signé à cette heure! et dans huit jours Dubois l'aura apporté ici!

      – Je le sais, Votre Altesse, reprit froidement Cellamare; mais Sa Majesté Catholique ne le sait pas.

      – Ainsi, il nous abandonne à nous-mêmes?

      – Mais… à peu près.

      – Mais alors, que fait donc la reine, et à quoi aboutissent toutes ses belles promesses et ce prétendu empire qu'elle a sur son mari?

      – Cet empire, Madame, elle promet de vous en donner des preuves lorsque quelque chose sera fait.

      – Oui, dit le cardinal de Polignac; et puis elle nous manquera de parole!

      – Non, Votre Éminence: je me fais son garant.

      – Ce que je vois de plus clair dans tout cela, dit Laval, c'est qu'il faut compromettre le roi; une fois compromis, il marchera.

      – Allons donc! dit Cellamare, voilà que nous approchons.

      – Mais comment le compromettre, demanda la duchesse du Maine, sans lettre de lui, sans message, même verbal, à cinq cents lieues de distance?

      – N'a-t-il pas son représentant à Paris, et ce représentant n'est-il pas chez vous à cette heure, madame?

      – Tenez, prince, dit la duchesse, vous avez des pouvoirs plus étendus que vous ne voulez l'avouer.

      – Non; mes pouvoirs se bornent à vous dire que la citadelle de Tolède et la forteresse de Saragosse sont à votre service. Trouvez le moyen d'y faire entrer le régent, et Leurs Majestés Catholiques fermeront si bien la porte sur lui qu'il n'en sortira plus, je vous en réponds.

      – C'est impossible, dit monsieur de Polignac.

      – Impossible! et pourquoi? s'écria d'Harmental. Rien de plus simple, au contraire, surtout avec la vie que mène monsieur le régent. Que faut-il pour cela? Huit ou dix hommes de cœur, une voiture bien fermée, et des relais jusqu'à Bayonne.

      – J'ai déjà offert de m'en charger, dit Laval.

      – Et moi aussi, dit Pompadour.

      – Vous ne pouvez, vous, dit la duchesse, si la chose échouait, le régent, qui vous connaît, saurait à qui il a eu affaire, et vous seriez perdus.

      – C'est fâcheux, dit froidement Cellamare, car, arrivé à Tolède ou à Saragosse il y a la grandesse pour celui qui aura réussi.

      – Et le cordon bleu, ajouta madame du Maine, à son retour à Paris.

      – Oh! silence, je vous en supplie, madame, dit d'Harmental, car si


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