Georges. Dumas Alexandre

Georges - Dumas Alexandre


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pour se jeter dans les bras de son père, et Bijou pour féliciter son maître.

      En ce moment, on vint dire à Pierre Munier qu'un nègre qui avait combattu sous lui et qui avait reçu une blessure mortelle, ayant été transporté dans une maison du port, et se sentant sur le point d'expirer, demandait à le voir. Pierre Munier regarda autour de lui, cherchant Jacques, afin de lui confier son drapeau; mais Jacques avait retrouvé son ami le chien malgache, qui, à son tour, était venu lui faire ses compliments comme les autres; il avait posé son fusil à terre, et l'enfant, reprenant le dessus sur le jeune homme, il se roulait à cinquante pas de là avec lui. Georges vit l'embarras de son père, et, tendant la main:

      – Donnez-le-moi, mon père, dit-il; moi, je vous le garderai.

      Pierre Munier sourit, et, comme il ne croyait pas que personne osât toucher au glorieux trophée sur lequel lui seul avait des droits, il embrassa Georges au front, lui remit le drapeau, que l'enfant maintint debout à grand-peine, en le fixant de ses deux mains sur sa poitrine, et s'élança vers la maison, où l'agonie d'un de ses braves volontaires réclamait sa présence.

      Georges demeura seul; mais l'enfant sentait instinctivement que, pour être seul, il n'était point isolé: la gloire paternelle veillait sur lui, et, l'œil rayonnant d'orgueil, il promena son regard sur la foule qui l'entourait; ce regard heureux et brillant rencontra alors celui de l'enfant au col brodé, et devint dédaigneux. Celui-ci, de son côté, contemplait envieusement Georges, et se demandait sans doute à son tour pourquoi son père, lui aussi, n'avait pas enlevé un drapeau. Cette interrogation l'amena sans doute tout naturellement à se dire que, faute d'un drapeau à soi, il fallait accaparer celui d'autrui. Car, s'étant approché cavalièrement de Georges, qui, bien qu'il vît son intention hostile, ne fit pas un pas en arrière:

      – Donne-moi ça, lui dit-il.

      – Qu'est-ce que c'est que ça? demanda Georges.

      – Ce drapeau, reprit Henri.

      – Ce drapeau n'est pas à toi. Ce drapeau est à mon père.

      – Qu'est-ce que ça me fait, à moi? Je le veux!

      – Tu ne l'auras pas.

      L'enfant au col brodé avança alors la main pour saisir la lance de l'étendard, démonstration à laquelle Georges ne répondit qu'en se pinçant les lèvres, en devenant plus pâle que d'habitude et en faisant un pas en arrière. Mais ce pas de retraite ne fit qu'encourager Henri, qui, comme tous les enfants gâtés, croyait qu'il n'y avait qu'à désirer pour avoir. Il fit deux pas en avant, et, cette fois, prit si bien ses mesures, qu'il empoigna le bâton, en criant de toute la force de sa petite voix colère:

      – Je te dis que je veux ça.

      – Et moi, je te dis que tu ne l'auras pas, répéta Georges en le repoussant d'une main, tandis que, de l'autre, il continuait de serrer le drapeau conquis sur sa poitrine.

      – Ah! mauvais mulâtre, tu oses me toucher? s'écria Henri. Eh bien, tu vas voir.

      Et, tirant alors son petit sabre du fourreau avant que Georges eût eu le temps de se mettre en défense, il lui en donna de toute sa force un coup sur le haut du front. Le sang jaillit aussitôt de la blessure et coula le long du visage de l'enfant.

      – Lâche! dit froidement Georges.

      Exaspéré par cette insulte, Henri allait redoubler, lorsque Jacques, d'un seul bond se retrouvant près de son frère, envoya, d'un vigoureux coup de poing appliqué au milieu du visage, l'agresseur rouler à dix pas de là, et, sautant sur le sabre que celui-ci avait laissé tomber dans la culbute qu'il venait de faire, il le brisa en trois ou quatre morceaux, cracha dessus, et lui en jeta les débris.

      Ce fut au tour de l'enfant au col brodé à sentir le sang inonder son visage; mais son sang à lui avait jailli sous un coup de poing, et non sous un coup de sabre.

      Toute cette scène s'était passée si rapidement, que ni M. de Malmédie, qui, comme nous l'avons dit, était à vingt pas de là occupé à recevoir les félicitations de sa famille, ni Pierre Munier, qui sortait de la maison où le nègre venait d'expirer, n'eurent le temps de la prévenir; ils assistèrent seulement à la catastrophe, et accoururent tous les deux en même temps: Pierre Munier, haletant, oppressé, tremblant; M. de Malmédie, rouge de colère, étouffant d'orgueil.

      Tous deux se rencontrèrent en avant de Georges.

      – Monsieur, s'écria M. de Malmédie d'une voix étouffée, Monsieur, avez vous vu ce qui vient de se passer?

      – Hélas! oui, monsieur de Malmédie, répondit Pierre Munier, et croyez bien que, si j'avais été là, cet événement n'aurait pas eu lieu.

      – En attendant, Monsieur, en attendant, s'écria M. de Malmédie, votre fils a porté la main sur le mien. Le fils d'un mulâtre a eu l'audace de porter la main sur le fils d'un blanc.

      – Je suis désespéré de ce qui vient d'arriver, monsieur de Malmédie, balbutia le pauvre père, et je vous en fais bien humblement mes excuses.

      – Vos excuses, Monsieur, vos excuses, reprit l'orgueilleux colon se redressant au fur et à mesure que son interlocuteur s'abaissait. Croyez-vous que cela suffise, vos excuses?

      – Que puis-je de plus, Monsieur?

      – Ce que vous pouvez? ce que vous pouvez? répéta M. de Malmédie, embarrassé lui-même pour fixer la satisfaction qu'il désirait obtenir; vous pouvez faire fouetter le misérable qui a frappé mon Henri.

      – Me faire fouetter, moi? dit Jacques en ramassant son fusil à deux coups et en redevenant d'enfant homme. Eh bien, venez donc vous y frotter un peu, vous, monsieur de Malmédie?

      – Taisez-vous, Jacques; tais-toi mon enfant, s'écria Pierre Munier.

      – Pardon, mon père, dit Jacques, mais j'ai raison, et je ne me tairai pas. M. Henri est venu donner un coup de sabre à mon frère, qui ne lui faisait rien; et moi, j'ai donné un coup de poing à M. Henri; M. Henri a donc tort et c'est donc moi qui ai raison.

      – Un coup de sabre à mon fils? un coup de sabre à mon Georges? Georges, mon enfant chéri? s'écria Pierre Munier en s'élançant vers son fils. Est-ce vrai que tu es blessé?

      – Ce n'est rien, mon père, dit Georges.

      – Comment! ce n'est rien, s'écria Pierre Munier; mais tu as le front ouvert. Monsieur, reprit-il en se tournant vers M. de Malmédie, mais, voyez, Jacques disait vrai; votre fils a failli tuer le mien.

      M de Malmédie se retourna vers Henri, et, comme il n'y avait pas moyen de résister à l'évidence:

      – Voyons, Henri, dit le chef de bataillon, comment la chose est-elle arrivée?

      – Papa, dit Henri, ce n'est pas ma faute j'ai voulu avoir le drapeau pour te l'apporter, et ce vilain n'a pas voulu me le donner.

      – Et pourquoi n'as-tu pas voulu donner ce drapeau à mon fils, petit drôle? demanda M. de Malmédie.

      – Parce que ce drapeau n'est ni à votre fils, ni à vous ni à personne; parce que ce drapeau est à mon père.

      – Après? demanda M. de Malmédie continuant d'interroger Henri.

      – Après, voyant qu'il ne voulait pas me le donner, j'ai essayé de le prendre. C'est alors que ce grand brutal est venu, qui m'a donné un coup de poing dans la figure.

      – Ainsi, voilà comme la chose s'est passée?

      – Oui, mon père.

      – C'est un menteur, dit Jacques, et je ne lui ai donné un coup de poing que quand j'ai vu couler le sang de mon frère; sans cela, je n'eusse point frappé.

      – Silence, vaurien! s'écria M. de Malmédie.

      Puis, s'avançant vers Georges:

      – Donne-moi ce drapeau, dit-il.

      Mais Georges, au lieu d'obéir à cet ordre, fit de nouveau un pas en arrière, en serrant de toute sa force le drapeau contre sa poitrine.

      – Donne-moi


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