Rome. Emile Zola

Rome - Emile Zola


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comprendre. Une imperceptible rougeur rosa son teint davantage, tandis que, très à l'aise, il continuait sans laisser voir sa contrariété d'en avoir trop dit:

      – Oui, j'ai songé à vous aider de toute ma faible influence, pour vous tirer des ennuis où cette affaire va sûrement vous mettre.

      Un souffle de rébellion souleva Pierre, dans la sensation obscure qu'on se jouait de lui peut-être. Pourquoi donc n'aurait-il pas affirmé sa foi, qui était si pure, si dégagée de tout intérêt personnel, si brûlante de charité chrétienne?

      – Jamais, déclara-t-il, je ne retirerai, je ne supprimerai moi-même mon livre, comme on me le conseille. Ce serait une lâcheté et un mensonge, car je ne regrette rien, je ne désavoue rien. Si je crois que mon œuvre apporte un peu de vérité, je ne puis la détruire, sans être criminel envers moi-même et envers les autres… Jamais! entendez-vous, jamais!

      Il y eut un silence. Et il reprit presque aussitôt:

      – C'est aux genoux du Saint-Père que je veux faire cette déclaration. Il me comprendra, il m'approuvera.

      Nani ne souriait plus, la figure immobile et comme fermée désormais. Il sembla étudier curieusement la subite violence du prêtre, qu'il s'efforça ensuite de calmer par sa bienveillance tranquille.

      – Sans doute, sans doute… L'obéissance et l'humilité ont de grandes douceurs. Mais, enfui, je comprends que vous vouliez causer avant tout avec Sa Sainteté… Ensuite, n'est-ce pas? vous verrez, vous verrez.

      Et, de nouveau, il s'intéressa beaucoup à la demande d'audience. Vivement, il regrettait que Pierre n'eût pas lancé cette demande de Paris même, avant son arrivée à Rome: c'était la plus sûre façon de la faire agréer. Au Vatican, on n'aimait guère le bruit, et pour peu que la nouvelle de la présence du jeune prêtre se répandît, pour peu qu'on causât des motifs qui l'amenaient, tout allait être perdu.

      Mais, lorsque Nani sut que Narcisse s'était offert pour présenter Pierre à l'ambassadeur de France près du Saint-Siège, il parut pris d'inquiétude, il se récria.

      – Non, non! ne faites pas cela, ce serait de la dernière imprudence!.. D'abord, vous courez le risque de gêner monsieur l'ambassadeur, dont la situation est toujours délicate en ces sortes d'affaires… Puis, s'il échouait, et ma crainte est qu'il n'échoue, oui! s'il échouait, ce serait fini, vous n'auriez plus la moindre chance d'obtenir, d'autre part, l'audience demandée; car on ne voudrait pas infliger à monsieur l'ambassadeur la petite blessure d'amour-propre d'avoir cédé à une autre influence que la sienne.

      Anxieusement, Pierre regarda Narcisse, qui hochait la tête, l'air gêné, hésitant.

      – En effet, finit par murmurer ce dernier, nous avons demandé dernièrement, pour un personnage politique français, une audience, qui a été refusée; et cela nous a été fort désagréable… Monseigneur a raison. Il faut réserver notre ambassadeur, ne l'employer que lorsque nous aurons épuisé les autres moyens d'approche.

      Et, voyant le désappointement de Pierre, il reprit avec son obligeance:

      – Notre première visite sera donc pour mon cousin, au Vatican.

      Étonné, l'attention éveillée de nouveau, Nani regarda le jeune homme.

      – Au Vatican? vous y avez un cousin?

      – Mais oui; monsignor Gamba del Zoppo.

      – Gamba!.. Gamba!.. Oui, oui! excusez-moi, je me souviens… Ah! vous avez songé à Gamba pour agir près de Sa Sainteté. Sans doute, c'est une idée, il faut voir, il faut voir…

      Plusieurs fois, il répéta la phrase pour se donner le temps de voir lui-même, de discuter intérieurement l'idée. Monsignor Gamba del Zoppo était un brave homme, sans rôle aucun, dont la nullité avait fini par être légendaire au Vatican. Il amusait de ses commérages le pape, qu'il flattait beaucoup, et qui aimait se promener à son bras, dans les jardins. C'était pendant ces promenades qu'il obtenait à l'aise toutes sortes de petites faveurs. Mais il était d'une poltronnerie extraordinaire, il craignait à un tel point de compromettre son influence, qu'il ne risquait pas une sollicitation, sans s'être longuement assuré qu'il ne pouvait en résulter pour lui aucun tort.

      – Eh mais! l'idée n'est pas mauvaise, déclara enfin Nani. Oui, oui! Gamba pourra vous obtenir l'audience, s'il le veut bien… Je le verrai moi-même, je lui expliquerai l'affaire.

      Pour conclure, d'ailleurs, il se répandit en conseils d'extrême prudence. Il osa dire qu'il lui semblait sage de se méfier beaucoup de l'entourage du pape. Hélas! oui, Sa Sainteté était si bonne, croyait si aveuglément au bien, qu'elle n'avait pas toujours choisi ses familiers avec le soin critique qu'elle aurait dû y mettre. Jamais on ne savait à qui l'on s'adressait, ni dans quel piège on pouvait poser le pied. Même il donna à entendre qu'il ne fallait, à aucun prix, s'adresser directement à Son Éminence le Secrétaire d'État, parce qu'elle-même n'était pas libre, se trouvait au centre d'un foyer d'intrigues dont la complication la paralysait, dans ses meilleures volontés. Et, à mesure qu'il parlait ainsi, très doucement, avec une onction parfaite, le Vatican apparaissait comme un pays gardé par des dragons jaloux et traîtres, un pays où l'on ne devait point franchir une porte, risquer un pas, hasarder un membre, sans s'être soigneusement assuré d'avance qu'on n'y laisserait pas le corps entier.

      Pierre continuait à l'écouter, glacé de plus en plus, retombé à l'incertitude.

      – Mon Dieu! cria-t-il, je ne vais pas savoir me conduire… Ah! vous me découragez, monseigneur!

      Nani retrouva son sourire cordial.

      – Moi! mon cher fils. J'en serais désolé… Je veux seulement vous répéter d'attendre, de réfléchir. Surtout pas de fièvre. Rien ne presse, je vous le jure, car on a choisi seulement hier un consulteur, pour faire le rapport sur votre livre, et vous avez devant vous un bon mois… Évitez tout le monde, vivez sans qu'on sache que vous existez, visitez Rome en paix, c'est la meilleure façon d'avancer vos affaires.

      Et, prenant une main du prêtre, dans ses deux mains aristocratiques, grasses et douces:

      – Vous pensez bien que j'ai mes raisons pour vous parler ainsi… Moi-même, je me serais offert, j'aurais tenu à honneur de vous conduire tout droit à Sa Sainteté. Seulement, je ne veux pas m'en mêler encore, je sens trop qu'à cette heure ce serait de la mauvaise besogne… Plus tard, vous entendez! plus tard, dans le cas où personne n'aurait réussi, ce sera moi qui vous obtiendrai une audience. Je m'y engage formellement… Mais, en attendant, je vous en prie, évitez de prononcer les mots de religion nouvelle, qui sont malheureusement dans votre livre, et que je vous ai entendu dire encore hier soir. Il ne peut y avoir de religion nouvelle, mon cher fils: il n'y a qu'une religion éternelle, sans compromis ni abandon possible, la religion catholique, apostolique et romaine. De même, laissez vos amis de Paris où ils sont, ne comptez pas trop sur le cardinal Bergerot, dont la haute piété n'est pas appréciée suffisamment à Rome… Je vous assure que je vous parle en ami.

      Puis, le voyant désemparé, à moitié brisé déjà, ne sachant plus par quel côté il devait commencer la campagne, il le réconforta de nouveau.

      – Allons, allons! tout s'arrangera, tout finira le mieux du monde, pour le bien de l'Église et pour votre propre bien… Et je vous demande pardon, mais je vous quitte, je ne verrai pas Son Éminence aujourd'hui, car il m'est impossible d'attendre davantage.

      L'abbé Paparelli, que Pierre avait cru voir rôder derrière eux, l'oreille aux aguets, se précipita, jura à monsignor Nani qu'il n'y avait plus, avant lui, que deux personnes. Mais le prélat donna l'assurance, très gracieusement, qu'il reviendrait, l'affaire dont il avait à entretenir Son Éminence ne pressant en aucune façon. Et il se retira, avec des saluts courtois pour tous.

      Presque aussitôt, le tour de Narcisse vint. Avant d'entrer dans la salle du trône, il serra la main de Pierre, il répéta:

      – Alors, c'est entendu. J'irai demain au Vatican voir mon cousin; et, dès que j'aurai une réponse quelconque, je vous la ferai connaître… A bientôt.

      Il


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