Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour - Louis Constant Wairy


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placé. Je fus par cette raison extraordinairement fêté, et mes vingt-quatre heures passèrent trop vite. À mon retour Sa Majesté daigna me faire mille questions sur la ville d'Alost, et sur les habitans, sur ce qu'on y pensait de son gouvernement et de sa personne. Je pus lui répondre, sans flatterie, qu'il y était adoré. Il parut content, et me parla avec bonté de ma famille et de mes petits intérêts. Nous partîmes le lendemain de Lacken, et nous passâmes par Alost. Si la veille j'avais pu prévoir cela, je serais peut-être resté quelques heures de plus. Cependant l'empereur avait eu tant de peine à m'accorder un seul jour, que je n'aurais probablement pas osé en perdre davantage, quand même j'aurais su que la maison devait passer par cette ville.

      L'empereur aimait Lacken; il y fit faire des réparations et des embellissemens considérables; et ce palais devint par ses soins un charmant séjour.

      Ce voyage de Leurs Majestés dura près de trois mois. Nous ne fûmes de retour à Paris, ou plutôt à Saint-Cloud, qu'en octobre. L'empereur avait reçu à Cologne et à Coblentz la visite de plusieurs princes et princesses d'Allemagne; mais, comme je ne pus savoir que par ouï-dire ce qui se passa dans ces entrevues, j'avais résolu de n'en pas parler, lorsqu'il me tomba dans les mains un manuscrit dans lequel l'auteur est entré dans tous les détails que je n'étais point à même de connaître. Voici comment je me suis trouvé possesseur de ce curieux journal.

      Il paraît qu'une des dames de S. M. l'impératrice Joséphine tenait note, jour par jour, de ce qui se passait d'intéressant dans l'intérieur du palais et de la famille impériale. Ces souvenirs, parmi lesquels il se trouvait beaucoup de portraits qui n'étaient pas flattés, furent mis sous les yeux de l'empereur, probablement, comme on le soupçonna dans le temps, par l'indiscrétion et l'infidélité d'une femme de chambre.

      Leurs Majestés étaient fort durement, et, selon moi, fort injustement traitées dans les mémoires de madame***. Aussi l'empereur entra-t-il dans une violente colère, et madame*** reçut son congé. Le jour où Sa Majesté lut ces manuscrits dans sa chambre à coucher de Saint-Cloud, son secrétaire, qui avait coutume d'emporter tous les papiers dans le cabinet de Sa Majesté, oublia sans doute un cahier assez mince, que je trouvai par terre, près de la baignoire de l'empereur. Ce cahier n'était autre chose que la relation du Voyage de l'impératrice à Aix-la-Chapelle, relation qui faisait apparemment partie des mémoires de madame***. Comme nous étions au moment de partir pour Paris, et que d'ailleurs des papiers négligemment oubliés et non réclamés ne me semblèrent pas devoir être d'une grande importance, je les jetai dans le haut de l'armoire d'un cabinet, laquelle ne s'ouvrait qu'assez rarement, et je ne m'en occupai plus. Personne, à ce qu'il paraît, n'y pensa plus que moi; car ce ne fut que deux ans après, que cherchant dans tous les recoins de la chambre à coucher je ne sais quel objet qui se trouvait égaré, mes yeux tombèrent sur le manuscrit tout poudreux de madame***. La pensée de l'empereur était alors bien loin d'être occupée d'une petite tracasserie de 1805, et je ne m'avisai pas d'aller lui rappeler des souvenirs désagréables. Mais, comme je trouvai dans cette relation des détails piquans sur le retour de Leurs Majestés d'Aix-la-Chapelle, je ne crus pas me rendre coupable d'une grande indiscrétion en emportant chez moi le manuscrit, et j'espère qu'on ne me saura pas mauvais gré de le trouver joint à mes mémoires. Toutefois je proteste ici d'avance contre toute interprétation qui tendrait à me rendre solidairement responsable des opinions de madame***. Elle était du nombre de ces personnes qui, appartenant à l'ancien régime, soit par elles-mêmes, soit par leurs liens de famille, avaient cru pouvoir accepter ou même solliciter les charges de la maison de l'empereur, sans renoncer à leurs préventions et à leur haine contre lui. Cette haine a porté plus d'une fois l'auteur du Voyage à une exagération injuste sur tout ce qui se rapporte à Leurs Majestés, et j'ai répondu dans quelques notes à ce qui m'a paru inexact dans ses jugemens. Quant à ce qui concerne les princes allemands, et divers autres personnages, madame*** me fait l'effet d'avoir été spirituellement véridique, quoique un peu trop railleuse.

      JOURNAL

      DU VOYAGE À MAYENCE

      PREMIÈRE PARTIE

Paris, 1er juillet 1804.

      J'ai prêté mon serment aujourd'hui à Saint-Cloud, comme dame du palais de l'impératrice, en même temps que M. d'Aubusson comme chambellan. Madame de La Rochefoucault seule assistait à cette cérémonie, qui s'est passée dans le salon bleu, d'une manière assez gaie. Joséphine y a mis beaucoup de grâce; elle avait rencontré autrefois dans le monde M. d'Aubusson; il lui a paru très-plaisant de renouveler connaissance avec lui, en recevant son serment comme impératrice. Elle parle de son élévation très-franchement, très-convenablement. Elle nous a dit avec une naïveté tout-à-fait aimable qu'elle était très-malheureuse de rester assise, lorsque des femmes qui naguère étaient ses égales ou même ses supérieures, entraient chez elle; qu'on exigeait d'elle de se conformer à cette étiquette, mais que cela lui était impossible. Madame de La Rochefoucault, qui s'est fait prier long-temps pour accepter la place de dame d'honneur, et qui ne l'a fait que par l'attachement qu'elle a pour Joséphine, se donne une peine infinie pour faire arriver à cette cour tout le faubourg Saint-Germain. C'est elle qui a déterminé M. d'Aubusson. Il avait désiré prendre du service comme colonel; il a été un peu surpris de recevoir, au lieu d'un régiment, une nomination de chambellan. La formation des maisons de l'empereur et de l'impératrice occupe tout Paris; chaque jour on apprend le nom de quelque famille de l'ancienne cour, qui va faire partie de celle-ci. C'est une chose assez curieuse que l'embarras avec lequel on aborde les personnes de sa connaissance: incertain si elles ont reçu des nominations, on ne veut pas se vanter de la sienne; mais apprend-on la leur, on en est enchanté; c'est une arme de plus pour le faisceau qu'on voudrait former, en opposition aux mauvaises plaisanteries du faubourg Saint-Germain.

8 juillet 1804.

      Madame de La Rochefoucault m'a conté ce matin une aventure assez plaisante. Elle venait de faire une visite à madame de Balby. Celle-ci, enchantée de trouver l'occasion de lancer une pierre dans son jardin, lui a dit: «Madame de Bouilley sort d'ici; je lui ai dit qu'on la désignait dans le monde comme dame du palais; mais elle s'en est défendue de manière à me prouver qu'on avait tort.» Madame de La Rochefoucault avait précisément sur elle la lettre dans laquelle madame de Bouilley demande cette place: elle a répondu: «Je ne sais pourquoi madame de Bouilley s'en défend, car voilà sa demande et sa nomination.»

14 juillet 1804.

      Quelle journée fatigante! Nous nous sommes réunies au château, à onze heures, pour accompagner l'impératrice à l'église des Invalides, pour assister à la distribution des décorations de la Légion-d'Honneur.

      Placées dans une tribune, en face du trône de l'empereur, nous l'avons vu recevoir dix-neuf cents chevaliers. Cette cérémonie a été suspendue un instant par l'arrivée d'un homme du peuple, vêtu d'une simple veste, qui s'est présenté sur les degrés du trône. Napoléon étonné s'est arrêté: on a questionné cet homme, qui a montré son brevet, et il a reçu l'accolade et sa décoration. Le cortége a suivi, au retour, le même chemin, en traversant la grande allée des Tuileries. C'est la première fois que Bonaparte passe en voiture dans le jardin. Rentré dans les appartemens de l'impératrice, il s'est approché de la fenêtre; quelques enfans qui étaient sur la terrasse, l'ayant aperçu, ont crié: Vive l'empereur! Il s'est retiré avec un mouvement d'humeur très-marqué, en disant: «Je suis le souverain le plus mal logé de l'Europe; on n'a jamais imaginé de laisser approcher le public aussi près de son palais.» J'avoue que si j'étais arrivé aux Tuileries comme Napoléon, j'aurais cru plus convenable de ne pas paraître m'y trouver mal logé.

      Je ne sais si c'est ce petit mouvement d'humeur qui s'est prolongé; mais, en passant dans le cercle que nous formions, il s'est approché de madame de La Vallette, et en donnant un coup de pied16 dans le bas de sa robe, «Fi donc! a-t-il dit, madame, quelle robe! quelle garniture! Cela est du plus mauvais goût!» Madame de La Vallette a paru un peu déconcertée.

      Le soir, nous sommes montées au balcon du pavillon du milieu, pour entendre le concert qui se donnait dans le jardin. Après quelques instans, l'empereur


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<p>16</p>

Ce coup de pied ressemble beaucoup aux prétendus mauvais traitemens que l'on a reproché à l'empereur d'exercer contre ses gens. M. Constant a répondu ailleurs à cette ridicule accusation.

(Note de l'éditeur.)