Le Comte de Foix. Frédéric 1800-1847 Soulié

Le Comte de Foix - Frédéric 1800-1847 Soulié


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qui nous a fait passer le bac.

      — Vous avez eu tort, sire chevalier, dit Crédo ; déjà cette jeune fille a assez de vanité de sa beauté pour ne pas lui donner celle qu’elle peut tirer de sa parure. Mais il m’importe peu qu’elle soit ce qu’elle voudra, depuis qu’elle s’est mise en amour avec ce Sarrazin qui habite ici.

      — Je monte au château, dit le sire de Guy, et je vais envoyer, de la part du sire de Terride, l’ordre de laisser pénétrer ici mes hommes et leurs charges.

      — C’est comme si je le tenais, dit Crédo ; vous allez le demander à la comtesse Signis, car depuis longtemps le comte ne donne plus d’ordre, et la comtesse le donnera dès qu’elle entendra parler de parures. Entrez donc tout de suite, et comme je suppose que vous et vos gens passerez la nuit au château, je vais baisser la herse et fermer la poterne.

      Guy de Lévis demeura pour voir entrer tous ses équipages, et leur désigna lui-même une vaste grange isolée dans le préau où ils pourraient aller décharger les roussins et se reposer.

      Au moment où la porte s’allait fermer derrière le dernier mulet, un homme se glissa rapidement, et ce ne fut que lorsqu’il fut dans l’intérieur que Crédo s’aperçut que c’était ce qu’on appelait en général un bourdonnier.

      — Eh, quel est ce drôle ? s’écria Crédo ; est-ce un de vos gens, sire Guy, qui ose se présenter ici le bourdon au poing ? s’il est à vous, il ment à la trêve que vous avez conclue avec le sire de Terride, et qui dit que nul Français portant croix ou bourdon, ou aucun autre signe de la croisade, n’entrera au château ; s’il n’est pas à vous, ce que je crois, car sa robe trempée prouve qu’il a passé le torrent à la nage, et non avec votre compagnie, je vais lui prouver comment on reçoit ceux de son espèce dans ce château quand ils ne sont pas couverts par la trêve de leur seigneur.

      — Je ne suis ni un Français ni un croisé, dit l’étranger, je suis un simple romieu (on appelait ainsi les pèlerins qui faisaient ou avaient fait le voyage de Rome).

      — Viens-tu de la sainte ville ou bien y vas-tu ? dit le sire de Lévis avec une vivacité qui prouvait que pour lui la différence pouvait être grande.

      — J’y vais, messire, dit le pèlerin.

      — Alors qu’il entre, dit Guy de Lévis en s’éloignant pour gagner la partie du château habitée par le sire de Terride.

      Pendant le temps que Crédo fermait la poterne, quelques archers avaient entouré le nouveau venu et lui demandaient des nouvelles des pays qu’il avait traversés. Le pèlerin sembla attendre que les hommes du sire de Lévis se fussent éloignés, et s’adressant à Crédo qui était venu se joindre à ses camarades, il leur dit alors :

      — Il vous sied bien en vérité de vous enquérir des nouvelles du dehors, lorsque vous ignorez même celles qui sont enfermées dans ces murs.

      — Nous ne les savons que trop, dit Crédo, nous savons très bien que cet impénétrable château, le seul peut-être de la Languedoc, qui ne fût pas tombé au pouvoir des croisés par les armes, leur va tomber en partage par le mariage.

      » Oh ! damné soit le jour où le sire de Terride permit à la comtesse Signis et à sa fille d’aller à la cour d’amour de Saverdun, c’est là qu’elles ont vu le sire de Lévis et se sont prises d’amour pour les fêtes et les pas d’armes, les parures et les galanteries.

      » Si tu nous veux dire que ce mariage est prochain, et que peut-être ce sont des présents de noces qui viennent d’entrer, nous le savons.

      — Beaux présents de noces en effet, dit le pèlerin, et comme il convient qu’un traître en apporte à des lâches. Ce sont des casques, des cuirasses dont se revêtent les prétendus marchands que tu as reçus, Crédo.

      — Dis-tu vrai ? s’écria celui-ci.

      — Va écouter à la porte de leur grange, et tu entendras un murmure de fer.

      — Trahison ! nous sommes perdus, dit Crédo.

      — Depuis quand donc les Provençaux se disent-ils perdus lorsqu’ils tiennent enfermés leurs ennemis armés dans la même enceinte qu’eux ?

      — Depuis qu’ils ne sont que six contre vingt, six couverts d’armures dont les courroies sont pourries et se détachent au premier coup d’épée.

      — Eh bien, dit le pèlerin, mettez entre eux et vous des pierres et des portes, que les coups d’épée ne puissent détacher si aisément que vos armures, et puisque les loups tiennent les chiens enfermés, que les chiens enferment à leur tour le renard dans une autre cage, et nous verrons qui sera le maître.

      » Et maintenant venez tous, si vous voulez savoir des nouvelles.

      Aussitôt le pèlerin se mit à gravir l’allée de chênes qui menait à la première ligne de bâtiments ; il s’arrêta devant la porte de la chapelle, elle était déserte, la salle d’armes l’était également ; nul pas ne se faisait entendre dans les étages supérieurs.

      — En êtes-vous là ? dit le pèlerin.

      — Nous en sommes là, dit Crédo d’un air mortifié.

      — Où en sont donc ceux de là-haut ? dit l’étranger d’un ton sombre.

      Un ricanement de mauvais augure fut la seule réponse de Crédo.

      Alors le pèlerin ferma derrière lui les portes et en assura les barres de fer.

      Les archers voulurent s’y opposer, mais Crédo les arrêta en leur disant :

      — Laissez faire, ou je me trompe fort, ou celui-là a le droit d’agir ainsi.

      Pendant qu’il prenait ces précautions, Crédo vit briller sous sa large robe le bout d’une haute épée et les mailles d’une amure, et voulant vérifier le soupçon qu’il avait conçu, il s’approcha de lui pour lui parler ; mais le pèlerin, croyant qu’il voulait s’opposer à son dessein, l’arrêta par ces mots :

      — N’aie pas peur, Crédo, nous n’avons pas affaire à des prêtres.

      Celui-ci tressaillit à cette parole ; et pour qu’on puisse comprendre à quoi ce mot pouvait faire allusion, il est nécessaire de raconter la circonstance qui avait valu à cet homme le nom qu’il portait.

      Plus de vingt ans avant le jour où commence cette histoire, cet homme appartenait comme serf à l’abbaye de Saint-Maurice, où il était chasseur et avait mérité le surnom de Tueur de loups. C’était l’époque où l’hérésie des parfaits et des insabbatés s’introduisait dans les campagnes.

      Or Macrou (c’était le nom de cet homme), avait été accusé d’aller écouter dans les bois les prédications des sectaires vaudois. Mais ce n’était pas encore le temps où l’on procédait à l’extirpation de l’hérésie par le massacre et l’incendie, et l’abbé de Saint-Maurice fit comparaître Macrou devant lui. Ce fut pour le manant une horrible peur ; car on ne parlait pas moins que d’oubliettes toutes hérissées d’aciers tranchants et où on jetait les hérétiques.

      Sur le conseil d’un jongleur, le pauvre Macrou, qui se voyait déjà enfermé dans les profonds cachots du couvent, renferma toute sa défense en un mot, et ce mot était Credo.

      Ainsi, quand l’abbé lui demanda s’il croyait aux doctrines des parfaits :

      — Credo, répondit Macrou.

      — Tu ne crois donc pas à la sainte Trinité ?

      — Credo fut la réponse de Macrou.

      Et il n’en fit aucune autre, soit qu’on l’interrogeât dans un sens ou dans un autre, sur la vérité du catholicisme ou sur les erreurs de l’hérésie.

      Enfin, le prieur, qui s’était chargé de l’interroger, outré de cette façon de répondre, lui dit d’une voix de tonnerre :


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