Le Comte de Foix. Frédéric 1800-1847 Soulié

Le Comte de Foix - Frédéric 1800-1847 Soulié


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cette réponse il éclata de rire, et tous les moines en firent autant, tandis que l’abbé s’écriait :

      — Cet homme croit aux vraies vérités ; qu’on le laisse libre.

      Le nom de Crédo en resta à Macrou ; mais comme il savait que la haine du prieur ne lui pardonnerait jamais la gaieté qu’il avait excitée, il quitta clandestinement les terres des moines, et se rendit au sire de Terride.

      Ce fut l’occasion d’un procès célèbre, dans lequel les moines gagnèrent, par jugement de l’archevêque de Narbonne, le droit de faire la culture du raisin blanc dans les vignes du coteau de Terride, qui était le plus renommé du pays.

      On fut étonné de ne pas voir le sire de Terride appeler de ce jugement, qui lui enlevait une si large part d’un de ses meilleurs revenus. Mais on comprit bientôt son obéissance ; car l’année d’ensuite il fit arracher tous les ceps blancs, et les fit remplacer par du raisin noir, ce à quoi les moines n’eurent rien à dire, le cas n’ayant pas été prévu.

      Ces circonstances, indépendamment de la force et du courage de Crédo, avaient donné dans le pays un certain renom à cet homme ; et s’il était étonné de l’allusion faite par l’étranger à la peur qu’il avait éprouvée, c’est que ce mot lui avait souvent été adressé par quelqu’un dont le souvenir était depuis longtemps oublié dans ce pays, lorsque celui-là voulait l’entraîner à quelque joyeuse escapade.

      Cependant ils arrivèrent tous, suivant le pèlerin, jusqu’à l’entrée du manoir.

      Pour que nos lecteurs puissent comprendre la scène qui s’y passa, il est nécessaire de leur expliquer comment était disposée la salle où entra le pèlerin.

      IV

      C’était une longue galerie, divisée en deux parties égales par une balustrade à hauteur d’appui, comme le chœur d’une église l’est de la nef.

      Du côté par où on entrait, des dalles de pierre couvraient le sol, et les murs étaient garnis de bancs de bois ; une vaste cheminée, où, malgré la douceur de la saison, brûlait un feu qu’un homme d’un teint presque noir réveillait de temps en temps en y jetant des paquets de sarments, occupait le fond de cette première partie, où une lampe à trois becs répandait une clarté pauvre et tremblante.

      C’était de ce côté que se trouvait la porte d’entrée qui communiquait directement avec l’extérieur.

      L’autre moitié de la galerie avait un aspect bien différent.

      Le pavé en était couvert de tapis, ainsi que les murs ; d’énormes bougies brûlaient dans des candélabres fichés aux murs.

      Des piles de coussins étaient épandues çà et là, et une table de marbre, supportée par des pieds incrustés, occupait le centre de cette partie de la galerie.

      À côté de cette table étaient assises deux femmes, l’une paraissant avoir trente-six ans, l’autre seize ou dix-sept. Leur ressemblance était extrême ; toutes deux étaient petites, d’une taille frêle, brunes, avec de grands yeux noirs, des cheveux d’ébène, et apportant dans leurs moindres mouvements une vivacité rapide et libre.

      À quelque distance un groupe de cinq ou six femmes travaillaient en causant tout bas ; sur les genoux de l’une d’elles était un enfant de six à sept ans, aux beaux cheveux blonds et profondément endormi. Près de l’une des nombreuses portes qui de cet endroit communiquaient aux intérieurs, se tenait un jeune homme de dix-huit ans qui, debout devant une espèce de lutrin, semblait absorbé par la lecture d’un manuscrit.

      De l’autre côté de la table, un vieillard à la barbe blanche, le corps cassé, les traits flétris, le regard abattu, assis dans une chaire de bois à dossier et à dais sculpté, écoutait le sire de Lévis, qui, debout devant lui, continua à lui parler en ces termes, sans que l’arrivée du pèlerin et des archers qui se groupaient autour de la cheminée parût le gêner le moins du monde :

      — C’est chose vraie, sur mon honneur, notre seigneur le pape a prononcé l’arrêt. Toutes les terres de la Languedoc, du Quercy, de Comminges et de Conserans, sont données à perpétuité à monseigneur, et maintenant au vôtre, le comte Simon de Montfort.

      » Et permettez à mon amour de s’en réjouir, puisque vous m’avez déclaré que si le fait advenait, vous me donneriez la main d’Ermessinde.

      — C’est vrai, dit le sire de Terride, je t’ai donné cette parole, car si jamais ce château doit rendre hommage à ce barbare Normand, Français ou Anglais, car ce Montfort n’est le vrai fils d’aucune nation, ce ne sera point par ma voix.

      » Si ce que tu dis est vrai, si le bon droit, la noblesse et la courtoisie ont été condamnés par la cour de Rome, c’est qu’il n’y a plus de justice et d’équité sur terre ; et alors, moi, pauvre vieillard, qui n’ai plus ni force ni pouvoir pour les défendre, je la quitterai, navré du triomphe des méchants, et joyeux de n’y pas assister.

      » Attends encore quelques jours, sire Guy, tu viens de m’apporter une nouvelle qui m’a plus blessé que ne l’eût pu faire ton couteau français.

      » Demain, après-demain, cette châtellenie sera libre par ma mort, et alors tu pourras prendre tout à la fois le château, les terres, et cette fille qui est la mienne, et qui t’aime.

      — Excusez-moi, messire, il faut que je retourne devers Toulouse avant vingt-quatre heures expirées ; c’est plus de temps qu’il n’en faut pour que votre chapelain unisse ma main à celle de votre fille.

      — Vous avez donné votre parole, dit la comtesse Signis avec une impatience mal déguisée.

      — Ah ! fit le vieillard, vous avez grande hâte de servitude, madame.

      — J’ai hâte, messire, dit Signis d’un ton sec, d’arracher ma fille à la mort ou à la honte.

      » Et puisque les glorieux seigneurs de la Languedoc ne peuvent plus défendre leurs châteaux ni l’honneur de leurs femmes et de leurs filles, ils n’ont rien de mieux à faire qu’à les mettre sous une protection plus efficace et plus jeune.

      Le vieux sire de Terride se leva vivement à cette dernière parole ; mais la colère, qui l’avait redressé d’un seul mouvement, ne put le tenir debout, il retomba sur sa chaire, et dit d’un ton de rage :

      — Plus jeune, n’est-ce pas ? Ah ! Signis, le joug que tu portes t’est donc bien lourd, que pour t’en affranchir tu veuilles donner ta fille à un Français !

      » Et pourtant, femme, je t’ai donné un des plus nobles noms de nos contrées, tu es la maîtresse de tout dans ma maison, tu es puissante ici comme une suzeraine.

      — Suzeraine sans cour, maîtresse sans serviteurs, et demain, peut-être, à la merci du premier routier auquel il plaira d’attaquer ce château. Non, messire, cela ne peut pas durer ainsi.

      — Ermessinde, dit le vieillard à sa fille, et toi aussi veux-tu, comme ta mère, qu’à l’heure même cet homme devienne ton époux ?

      — Vous avez donné votre parole, mon père, dit Ermessinde en baissant les yeux.

      — Oh ! fit le vieillard, cela devait être quand je me pris d’un fol amour pour la fille d’un Aragonais qui avait épousé sa servante mauresque. Elle était servante ta mère, Signis, servante et païenne ; et si elle fit semblant, pour épouser le comte de Tolède, de se convertir à la vraie foi, elle n’en garda pas moins dans le cœur toute la perfidie et la bassesse de son origine. Elle te les a transmises, Signis, et tu les as transmises à ta fille.

      » Crois-moi, Lévis, crois-moi, ne sois jamais faible et malheureux avec ces femmes dans ta maison ; car elles te vendront, comme elles me vendent, contre une écharpe ou un joyau.

      » Ce n’est pas du sang de chevalier qui est dans leurs veines, mais le sang africain, le sang des Maures pillards et des courtisanes qui tiennent


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