Le Comte de Foix. Frédéric 1800-1847 Soulié

Le Comte de Foix - Frédéric 1800-1847 Soulié


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Les femmes de ma race, messire, meurent et vivent pour leur époux, quand cet époux est un homme ; mais, messire, ce n’est pas moi qui, il y a dix-huit ans, vous ai été choisir.

      » Rappelez-vous Othon de Terride, votre fils ; il était mes amours et j’étais les siennes ; il vous plut de me trouver belle, et comme mon père ne cherchait pas un mari selon mon cœur, mais un allié selon son intérêt, il pensa que le père, puissant seigneur de ce château, lui vaudrait mieux que le fils qui ne l’avait qu’en espoir, et il me donna à vous.

      » Je vous ai dit alors que j’aimais Othon, vous n’en avez tenu compte.

      » Ai-je été perfide, ou bien avez-vous été fou ?

      » Vous avez chassé votre fils qui vous faisait peur, vous m’avez enfermée ici durant dix-huit ans, à votre merci ; prisonnière par la force, je m’échappe dès que je le puis.

      » Sire Guittard de Terride, vous avez engagé votre parole de donner votre fille et ce château au sire Guy de Lévis, quand le sire de Montfort serait le seigneur reconnu de la Languedoc. Le pape a prononcé pour lui, tenez votre serment de bonne grâce, ou, de par le Christ, vous le tiendrez par force.

      À ces mots, le vieillard se leva tout chancelant, et prenant une épée de forte taille qu’il agitait avec une frénésie qui lui tenait lieu de vigueur :

      — Hélas ! s’écria-t-il, les Français sont-ils donc dans l’antre du lion, qu’une femme ose s’y montrer de cette insolence ?

      — Ils y sont, sire de Terride, reprit Guy d’une voix calme, le château est en mon pouvoir.

      — En ton pouvoir ! dit le vieillard ; ses murs se sont donc ouverts devant toi ?

      — Ce que la force n’eût pu faire, la ruse l’a emporté.

      — La ruse, la ruse, n’est-ce pas ? l’arme des femmes et des lâches… dit le vieux châtelain en s’avançant sur Guy ; mais tu m’as oublié… moi !

      En disant cela, il leva son épée ; mais Guy, sans daigner tirer la sienne, saisit le bras du vieillard dont l’épée tomba, et le rejetant avec violence sur sa chaire, il s’écria d’une voix tonnante :

      — Assez ! assez ! ce que j’eusse voulu obtenir de votre courtoisie, je l’aurai de votre obéissance. Qu’on prépare la chapelle.

      À cet ordre, le vieillard se laissa tomber de son siège sur ses genoux et se mit à crier d’une voix lamentable :

      — Mon Dieu ! Seigneur ! n’y a-t-il donc pas un homme ici !

      — Il y en a, monseigneur, dit une voix retentissante, il y en a plus d’un, et fussé-je le seul, c’est assez pour punir ce chevalier félon qui vous a osé toucher de sa main.

      À l’instant même le pèlerin, dépouillé de sa longue robe, sauta par-dessus la balustrade, l’épée à la main ; le sire de Lévis se retourna sans que son visage montrât la plus légère émotion, et mesurant d’un regard de dédain celui qui le menaçait :

      — Fou ! lui dit-il, combien êtes-vous pour vous attaquer à moi tout seul ?

      — Sire Guy, ils sont six dans cette tour pour me voir punir ton insolence et ta déloyauté. Oh ! ne cherche pas ton cor pour donner aux tiens le signal d’accourir, car les portes de la seconde enceinte sont fermées, et si nous sommes en ton pouvoir au dehors, tu es ici à notre merci. Ce n’est pas une ruse de guerre nouvelle, tu le sais, sire Guy, toi qui reviens de Beaucaire ?

      — L’épée au vent pour le Romieu ! cria Crédo en sautant la barrière avec les autres archers, tandis que le Maure s’était approché de l’enfant comme pour le couvrir de son corps.

      — Et qui es-tu, misérable ! lui dit Guy, pour t’opposer à l’exécution de la parole que ce vieillard m’a donnée ?

      — T’a-t-il donné cette parole, dit le pèlerin, sans aucune autre restriction que celle dont tu as parlé ?

      — Sans aucune autre, dit la comtesse Signis.

      — Il n’a réservé les droits de personne ?

      — De personne, repartit la comtesse.

      — Est-ce vrai, messire, dit le pèlerin ?

      — C’est vrai, et je croyais promettre l’impossible quand j’ai fait ce serment ; car je ne croyais pas tant d’iniquités assises sur le trône du vicaire de Dieu.

      » Mais toi-même, dis-moi, est-ce vrai que notre Saint-Père ait donné à ce barbare la suzeraineté de notre belle Languedoc ?

      — C’est vrai, messire ; mais, sous cette condition même, étiez-vous donc libre d’engager votre parole ?

      — Qui êtes-vous donc, dit la comtesse avec hauteur, pour interroger ici ?

      — Puisqu’il n’y a dans cette demeure ni un cœur qui ait gardé un souvenir, ni une pierre qui ait gardé un écho de mon nom, je vous le dirai…

      — Tu te trompes, Othon de Terride, dit le Maure en s’avançant ; je t’ai reconnu dès que tu es entré ; car je n’aurais pas laissé cet homme être si longtemps insolent si je n’avais su que nul n’a le droit de parler dans le château, quand son véritable maître s’y trouve.

      — Et moi aussi ! s’écria Crédo, je vous avais reconnu, maître, et c’est pour cela que je vous ai laissé barricader les portes de la seconde enceinte, et que je vous ai suivi jusqu’ici.

      V

      Au nom d’Othon, le vieux sire de Terride s’était relevé ; et ayant ramassé son épée, il se rangea à côté de son fils, comme si sa présence lui eût rendu la force avec l’espoir.

      En même temps, le beau jeune homme, dont tout ce qui s’était passé jusqu’à l’intervention du pèlerin n’avait pas un moment détourné l’attention du manuscrit qu’il lisait, ce beau jeune homme, dis-je, vint se placer brusquement à côté du sire Guy de Lévis, et tira son épée sans prononcer une parole.

      La comtesse Signis pâlit et tomba sur son siège, tandis qu’Ermessinde, à genoux devant elle, et la tête cachée dans son giron, s’écriait d’une voix lamentable :

      — Oh ! ma mère, ma mère, nous sommes perdues !

      Au même instant, Guy, arrêtant le jeune homme qui s’était placé près de lui et qui semblait prêt à commencer l’attaque, lui dit d’une voix que n’avait point émue le danger qu’il courait :

      — Laisse, enfant, ce n’est point à de nobles épées de chevaliers à se salir du sang de manants et d’imposteurs. Je te reconnais maintenant, maître pèlerin ; je t’ai vu à Rome ; mais là tu ne portais ni épée, ni cotte de mailles ; tu n’y portais pas même le bourdon ; tu portais l’habit de marchand et la valise sur le dos ; je t’y ai acheté la plume que je porte à mon loquet, et tu peux reconnaître aux pans de la robe d’Ermessinde la broderie que tu m’as vendue alors.

      — C’est vrai, dit le pèlerin, et tu dois te souvenir sans doute aussi du jeune homme qui t’a mesuré cette broderie sur une canne de trois pans ; eh bien, ce jeune homme, il a changé la canne du marchand contre une épée double en longueur, et avec cette épée il a tenu enfermés dans le château de Beaucaire, Lambert de Limou et soixante des meilleures lances françaises.

      » Ce bel apprenti marchand était le jeune comte de Toulouse, et je ne rougis point d’avoir fait le métier que mon suzerain a honoré en le partageant.

      — Eh bien, dit Guy de Lévis, suzerain marchand et vassal marchand dégradés de noblesse par le concile de Latran, que venez-vous faire ici ?

      — Nous venons en appeler du jugement des prêtres au jugement de Dieu, et moi je viens crier à tous ceux de ce pays le dernier mot que m’a jeté le jeune comte de Toulouse en signe d’adieu : qu’en la cour de Rome


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