Une Pupille Genante. Dombre Roger

Une Pupille Genante - Dombre Roger


Скачать книгу

      Eh! oui, vous ne connaissez donc pas cette parole dun diplomate arrangée plus tard par je ne sais quel homme desprit: "La parole a été donnée à la femme pour déguiser sa pensée".

      Gilberte ouvrit tout grands ses yeux sombres.

      Vous ne comprenez pas? Quel âge avez-vous?

      Neuf ans, répondit Gilberte en redressant sa taille

       fluette.

      Vous êtes grande pour votre âge. Et si lon vous coupait

       les cheveux, que diriez-vous?

      Lenfant recula dun pas et ses prunelles flamboyèrent.

      Je ne veux pas!

      Ah! vous êtes coquette?

      Je ne sais pas, mais maman aimait mes cheveux flottants sur

       mes épaules, je veux les conserver ainsi.

      Simiès hocha la tête et étendit la main pour tâter la chevelure souple et dorée de la fillette.

      Gardez-les, je ne veux pas vous priver dune si jolie parure; dailleurs, je ne vous gronderai jamais pour être vaniteuse; cest permis aux petites filles.

      Pourquoi?

      Parce que… mais, au fait, vous nêtes pas encore à lâge

       où lon a du plaisir à être belle. Vous croyez-vous laide?

      Gilberte se haussa sur ses petits pieds afin dapercevoir dans le miroir sa mignonne image.

      On ma souvent dit que je suis jolie, mais je ne sais pas

       si cest vrai.

      Aimeriez-vous à être jolie?

      Oh! oui.

      Eh! eh! ricana le vieillard, vous allez bien, ma nièce,

       déjà femme!

      Y a-t-il du mal à désirer cela? Jaime tout ce qui est

       beau; je serais désolée dêtre laide.

      Bon, voilà pour la coquetterie. Maintenant, êtes-vous

       gourmande?

      Je ne ferais pas de bassesses pour un bonbon, répondit

       dédaigneusement Gilberte, seulement…

      Seulement quoi?

      Je naime pas beaucoup la soupe et pas du tout les ufs brouillés et les épinards.

      Vraiment? eh bien! moi, je vous apprendrai à manger de ces trois choses et vous verrez que, après quelques essais, vous en raffolerez.

      Lenfant ne répondit pas, mais sa petite figure exprima leffroi.

      Ah! encore une question: êtes-vous curieuse?

      Non, mon oncle, maman menseignait à être discrète.

      Cest bien, nous verrons cela. Et paresseuse?

      Je ne sais pas… peut-être un peu pour me lever de bonne heure lhiver.

      Et pour vos études?

      Je ne sais pas encore grandchose, mais jaime à apprendre.

      Quétudiez-vous?

      La musique, puis le calcul, la grammaire, la géographie, lhistoire, langlais et lallemand, le catéchisme…

      Simiès bondit.

      Le catéchisme?… Vous le laisserez de côté.

      Pourquoi? maman y tenait beaucoup.

      Oui, votre mère était une bigote, murmura le vieillard entre ses dents. Enfin, reprit-il plus haut, je modifierai votre éducation à mon gré désormais. Vous pouvez maintenant aller jouer ou vous reposer comme vous voudrez; Mme Dutel qui couchera près de vous va vous conduire à votre chambre.

      Il sonna la femme de charge qui emmena Gilberte.

      Lappartement destiné à la fillette était agréable, car Simiès aimait le luxe partout autour de lui; rose et blanc avec de soyeux rideaux au lit et à la fenêtre, des fleurs fraîches dans des cornets de cristal, un tapis moelleux, un feu clair dans la cheminée, une température douce et égale, des meubles élégants; le regard charmé de Gilberte inspecta les murailles quornaient quelques tableaux représentant des sujets mythologiques ou des membres de la famille Simiès.

      Il ny a pas de bon Dieu ici, fit-elle très grave.

      Oh! ce nest pas de ces choses-là quil faut chercher chez nous, ma petite demoiselle, répondit Mme Dutel, bonne femme au fond, mais absolument nulle et platement soumise aux idées de son maître.

      Pourquoi?

      Dame, parce que Monsieur ne croit pas à la religion.

      Comment ferai-je ma prière?

      Je ne sais pas; il ne faut toujours pas parler de ça à votre oncle, il se fâcherait.

      Pourquoi? demanda de nouveau lenfant.

      Pourquoi? eh! parce que ça lui déplaît. Est-elle drôle, cette petite, avec ses pourquoi? Je pense bien quelle ne va pas me questionner comme cela sur tout, grommela tout bas la vieille femme.

      Gilberte soupira et se laissa enlever ses vêtements de sortie sans plus parler.

      Le dîner sonna; elle se rendit à la salle à manger, un peu triste et fatiguée dune journée de voyage.

      Ce soir-là son oncle ne la tourmenta pas, et, voyant quelle sendormait sur sa chaise, il ordonna quon lemportât pour la coucher, ce que fit Lazare avec des précautions presque maternelles; le brave garçon était le seul peut-être en cette étrange demeure, qui conçût pour lorpheline une pitié sincère.

      Gilberte dormit comme dorment les enfants de son âge, dun sommeil profond et doux, et sa mère, remontée là-haut, dut laisser tomber une larme sur ce front dange qui allait perdre sous ce toit impie la divine candeur et la piété naïve qui semblaient jusquà présent innées en sa petite âme.

      III

      Non, je naime pas mon oncle, disait Gilberte en secouant sa tête blonde avec mélancolie.

      Pourquoi? demanda à son tour Lazare en frottant énergiquement son argenterie tandis que la petite fille le regardait faire avec distraction.

      Parce que… parce que… je ne sais pas; il est si différent de mon pauvre papa.

      Il est cependant bon pour vous quelquefois, à sa manière.

      Oui, à sa manière, répéta Gilberte.

      Est-ce quil vous fait peur? demanda Lazare en secouant sa peau de chamois.

      Gilberte allongea ses lèvres roses:

      Non, sauf quand il se met en colère. Papa se fâchait quelquefois, lui aussi, mais sans crier comme mon oncle. Et puis mon oncle il dit des choses, des choses enfin qui sont tout le contraire de ce que disait maman.

      En fait de religion sans doute?

      Oui, en fait de religion. Est-ce que vous pensez comme mon oncle, vous, Lazare?

      Dame, Mamzelle, Monsieur est si savant; autrefois, moi, je croyais comme vous; à présent ça a changé. Monsieur ma dit tant de fois que jétais un imbécile auparavant.

      Ah!

      Et Gilberte rêva quelques minutes sur ces paroles, son fin menton blanc dans sa petite main délicate.

      Est-ce que vous vous plaisez à Paris? reprit Lazare pour

       rompre le silence.

      Je suis si peu sortie encore! répondit lenfant.

      Dame, Mamzelle, vous vous êtres enrhumée et vous navez pu beaucoup vous promener. Cest tout


Скачать книгу