Une Pupille Genante. Dombre Roger

Une Pupille Genante - Dombre Roger


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yeux.

      Simiès jouissait orgueilleusement des précoces succès de sa nièce, et, afin de mieux sen parer pour ainsi dire, et la faire admirer, il lui permettait quelquefois de trôner en face de lui dans les dîners quil donnait à ses amis, pourvu quelle allât se coucher au dessert.

      Ainsi de bonne heure il déclassait la pauvrette dans une compagnie de mauvais ton où la religion, le prêtre et la vertu étaient dénigrés à qui mieux mieux.

      Ces viveurs, oubliant la présence de lenfant et excités par les boissons capiteuses, se lançaient souvent dans des récits très risqués, jusquà ce que leur amphytrion sécriât en riant:

      "Gazez, mes chers amis, gazez, je vous en prie, il y a ici de jeunes oreilles pour lesquelles vos paroles ne sont pas perdues."

      Alors Gilberte nen écoutait que mieux, ne comprenant rien du tout, mais trouvant très drôle tout ce qui se disait là.

      De jour en jour, et cela se conçoit avec une telle éducation, elle acquérait un aplomb plus grand, et elle démontait ses interlocuteurs par ses questions à brûle-pourpoint ou ses réflexions inattendues.

      Elle jugeait tout, discutait tout avec un sang-froid imperturbable. Il fallait quelle sût toutes les nouvelles des salons parisiens; qui avait couru ou fait courir; qui avait gagné le Grand-Prix; jubilant si elle avait pronostiqué juste aux dernières courses, car Mlle Mauduit, cette bambine de treize ans, aimait avec passion les concours hippiques et tout ce qui concernait le cheval. Puis elle discutait politique avec lassurance dun vieux général et se rangeait successivement dun parti ou dun autre à mesure que ceux-ci lui paraissaient plus dignes de son approbation.

      Lorsque, après le dîner, Gilberte avait joué son morceau de piano, servi le café et chanté quelque leste chansonnette, le sommeil de son âge la gagnait; alors elle secouait à la ronde la main des invités de son oncle, à langlaise, cest- à-dire par ce mouvement gracieux qui détache lavant-bras de lépaule, et elle allait se coucher en faisant à part soi ses petites remarques:

      "Un tel était moins bien teint aujourdhui que jeudi dernier. Le jeune D… posait pour le spleen; X… buvait trop, cela nuisait à son intelligence; oh! il baissait, il baissait depuis quelque temps! M. Simiès navait pas lair de sen apercevoir."

      Parfois Fräulen croyait de son devoir de faire quelques observations à sa caustique élève.

      Oh! miss Gilberte, lui disait-elle en anglais, la fillette préférant cet idiome à celui, plus dur, dOutre-Rhin, young misses must never speak so boldly as you do; it is shocking!

      Les jeunes demoiselles ne doivent pas parler hardiment comme je le fais?… Ah! Fräulen! sécriait la petite folle, navez-vous donc jamais entendu mon oncle dire que tout mest permis?

      Ya, miss Gilberte.

      Tout mest permis parce que je suis jolie et spirituelle; ces Messieurs aussi disent la même chose.

      Miss Gilberte, you are proud.

      Orgueilleuse? et après, nen ai-je pas le droit?

      No.

      Mon oncle veut que je sois fière et capricieuse; il dit que les imbéciles seuls sont humbles.

      La gouvernante ne répliqua plus; elle ne voulait pas contredire M. Simiès et elle redoutait les réponses embarrassantes de son élève.

      Cependant Gilberte ne dépassait généralement pas les limites du convenable, et si elle parlait souvent à tort et à travers, elle gardait une certaine délicatesse dans ses paroles, toute vulgarité lui répugnant.

      Cette enfant, très intelligente, douée dune beauté rare et dinstincts artistiques, ravissait en effet, non seulement son oncle, mais les amis de son oncle; or ceux-ci, peu soucieux de ce quil en pouvait résulter pour cette petite nature encore innocente, lui laissaient entendre quelle était jolie et spirituelle, à tel point quelle finit par savoir ce quelle valait et au delà, et elle naccepta plus les compliments quavec cette indifférence banale des femmes assurées davance de ce quon va leur dire. Quant au vieux Simiès, elle nignorait pas que sa petite main le menait où elle voulait et quil nétait pas un de ses caprices auquel il nobéît. Il lemmenait dîner ou déjeuner avec lui dans les restaurants à la mode et ses fantaisies étaient des plus coûteuses, non que lenfant fût gourmande, mais elle aimait à commander les mets les plus rares, quitte à les laisser intacts dans son assiette sils ne lui plaisaient plus une fois servis.

      Cest quelle ignorait encore que, à la porte de ces restaurants étincelants où sont prodigués les vins fins, les truffes et le gibier exquis, de pauvres affamés tendent la main, souvent en vain, pour obtenir un morceau de pain dur.

      Ce nétait pas légoïste Simiès que lui eût appris.

      Aux courses où il ne manquait jamais de lemmener, il lui permettait de parier.

      Pour satisfaire sa passion pour les chevaux il lui avait fait présent de deux amours de poneys quelle conduisait tous les jours attelés à un élégant panier; aux Marnes où lon passait une partie de la belle saison, quatre ou cinq chiens énormes et magnifiques suivaient partout la fillette.

      Simiès lui avait aussi donné le goût de la chasse, mais Gilberte navait pas encore usé beaucoup du petit fusil anglais quil avait fait faire exprès pour elle; elle était surtout ravie de se voir vêtue en jeune Diane chasseresse, la jupe aux genoux, chaussée de bottes rouges, la toque posée cavalièrement sur ses cheveux blonds.

      Quant au patinage, la petite Mauduit, comme on le disait au Bois de Boulogne, était de première force; elle ressemblait à un cygne avec son visage rosé et sa longue chevelure au vent, habillée de fourrures claires, tandis quelle glissait avec une grâce incomparable, dessinant sur la glace mille arabesques, de son petit patin dargent.

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