Une Pupille Genante. Dombre Roger

Une Pupille Genante - Dombre Roger


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qui suivait sa rêverie; mais chez mon papa cétait plus beau encore.

      Aux Antilles, nest-ce pas?

      Oui; il y avait la mer si bleue, des fleurs si parfumées,

       un jardin superbe.

      Mais, si vous aimez la campagne, vous vous plairez aux

       Marnes.

      Aux Marnes?

      Oui, une grande propriété que possède Monsieur dans lIsère. Moi, jaime mieux la ville, parce quil y a les amis, les cafés où lon va un peu rire avec les camarades quand on a fini louvrage. Cependant aux Marnes on reçoit quantité détrennes; Monsieur a beaucoup de visites, vous y mènerez joyeuse vie, allez, Mademoiselle.

      Moi, je ne dois pas mamuser cette année, Lazare, fit

       Gilberte en jetant un regard éloquent à ses vêtements noirs.

      Oh! que si; Monsieur vous fera bien divertir pour peu que vous vous y prêtiez un peu. Plus vous vous montrerez gamine et dégourdie, plus il vous gâtera; il est comme ça, Monsieur.

      Maman naimait pas, au contraire, que je me montrasse ainsi.

      Ah! cest certain quil est plus joli pour une demoiselle de nêtre pas trop garçon, mais puisque Monsieur est votre maître à présent et que cest son goût, faut vous permettre de petites diableries qui le feront rire.

      Gilberte ne répondit pas et alla chercher sa poupée délaissée sur le tapis.

      Son oncle était bien peu apte, hélas! à comprendre cette nature fine et aimante qui, avec une éducation chrétienne, fût devenue exquise. Le malheureux voulait, selon son expression, façonner à sa manière le caractère et lesprit de la fillette, en faire une philosophe, une libre penseuse, et Dieu sait que cette uvre satanique lui était facile, car lenfant était jeune et son intelligence aimait à fouiller tous les mystères, à savoir tout ce quelle ignorait.

      Néanmoins, Gilberte navait pas fait un grand pas dans le cur de Simiès: il nadmirait encore en elle que sa beauté qui le flattait; il était fier quand il la montrait à ses amis ou, sil sortait avec elle, dentendre murmurer autour de lui:

      "La ravissante fillette!"

      Seulement le sérieux et la mélancolie de ses neuf ans lennuyaient.

      "Bah! se disait-il, sous peu de jours elle va entrer en pension et quel débarras. Je ne len retirerai que pour la marier, et vive la joie! ma tutelle ne maura pas trop pesé!"

      En attendant, il pesait assez durement sur la vie de lenfant et se montrait parfois dur jusqu'à lexagération.

      Un matin, à déjeuner, on servit des ufs brouillés, la bête noire de Gilberte!

      Elle refusa de se servir lorsque le plat lui fut présenté et elle leva sur son oncle un regard craintif qui néchappa point au despotique vieillard.

      Il fit signe à Lazare qui obéit à regret et il mit lui-même sur lassiette de la petite fille une portion assez considérable du mets détesté.

      Lenfant résista dabord.

      Si vous ne mangez pas cela tout de suite, lui dit Simiès avec rudesse, je fais étrangler aujourdhui même votre chien Néro que vous aimez tant.

      Entre son fidèle ami et les ufs brouillés Gilberte ne balança point et se mit en devoir dobéir, mais son petit cur se soulevait bien fort et elle pensait:

      "Comme il est méchant, mon oncle!"

      Pendant ce temps Simiès se félicitait in petto, se disant:

      "Décidément je suis fait pour élever et mâter les petites filles indisciplinées; mon système est parfait."

      Le repas terminé à la grande satisfaction de Gilberte, il lenvoya shabiller pour sa promenade quotidienne; mais au bout dun quart dheure Mme Dutel vint prévenir son maître que lenfant, tout à fait malade, ne pouvait sortir; il fallut la coucher et la nourrir de thé pendant quarante-huit heures. Comme elle eut un peu de fièvre et que Simiès, effrayé des conséquences de sa dureté, fit venir le médecin, celui-ci déclara que ce nétait quun accident, mais que la petite fille était dune constitution délicate qui exigeait de grands ménagements.

      Elle va entrer en pension la semaine prochaine, dit le terrible oncle qui aspirait à cet instant de toutes les puissances de son âme.

      En pension? Eh bien! dans lintérêt de votre nièce, je vous conseille de la garder un peu plus longtemps auprès de vous; vos soins lui sont nécessaires.

      Mais, docteur! sécria linfortuné tuteur, elle sera bien mieux soignée chez les dames H… que chez moi qui nai pas lhabitude des petites filles.

      Je ne suis pas de votre avis. Que vous importe de la conserver quelques jours ici? Il serait bien plus ennuyeux pour vous si les dames H… vous la renvoyaient tout à fait malade, une semaine après son entrée chez elles.

      Cest vrai, murmura légoïste, épouvanté de cette

       perspective.

      Et il se décida à confier Gilberte aux soins de Mme Dutel encore une quinzaine.

      Une après-midi, la fillette, guérie, quoique toujours un peu pâle, jouait avec une vieille poupée que, toute fanée quelle était, elle préférait aux splendides dames que son oncle, dans une heure de générosité, lui avait données; elle était seule et, assise sur sa petite chaise basse, elle berçait en silence sa chère Nora.

      Dans la chambre voisine deux voix se faisaient entendre, alternant dans une conversation animée; cétait celle de Mme Dutel et celle de Lazare qui balayait lappartement.

      Oui, Madame Dutel, disait ce dernier sans sarrêter de cirer ou de frotter, je garderai la petite en votre absence, puisque vous avez un rendez-vous à Montmartre.

      Le temps daller et de revenir avant que Monsieur ne

       rentre, mon bon Lazare.

      Il nen saura rien, Monsieur; ce nest pas moi qui vous

       vendrai, allez, ni la petite.

      Pour ça non; la petite nest pas bavarde.

      Cest ma foi vrai; il y a des moments où jai pitié de cette enfant, quand je la vois si seule, abandonnée à elle- même.

      Sans compter quelle ne sera pas beaucoup plus heureuse dans cette pension où Monsieur veut lenfermer. Ah! si elle savait seulement le prendre, la fine mouche, elle en ferait tout ce quelle voudrait, de ce vieux mécréant.

      Vous croyez, Madame Dutel?

      Si je le crois, bonté du ciel! mais Monsieur disait lui- même hier: "Elle mennuie, cette mioche, avec ses grands yeux tristes et son air grave; et puis elle est trop soumise et trop craintive; si elle me ripostait quelque bonne impertinence, si elle faisait un peu le diable à quatre dans ma maison, je crois que je laimerais."

      Ben oui, Madame Dutel, mais voyez-vous, ça nest pas dans le tempérament de lenfant; cest doux, cest sage, cest résigné, mais ça ne sait pas se rebeller, et puis ça na pas de ruse, cest franc comme lor; ça nira jamais à Monsieur.

      Gilberte entendait tout cela; elle se dressa sans bruit sur ses petits pieds, déposa Nora sur le tapis et, le cur battant, se rapprocha de la porte.

      "Cest mal ce que je fais, se disait-elle, cest mal découter les conversations des autres, maman me ferait honte et elle aurait raison, mais je ne peux pas men empêcher."

      Pour ça oui, reprenait Lazare heureux de souffler entre deux coups de brosse; la petite demoiselle est trop douce; un petit garçon bien lutin ou alors une petite fillette comme celle de Mme Martelle aurait bien mieux convenu à Monsieur.

      Ah! Dieu non, quel démon!

      Jolie comme est cette petite Gilberte, avec un air endiablé, une voix impérieuse et des colères furibondes, elle ferait le bonheur de Monsieur.


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