Nouveaux contes bleus. Édouard Laboulaye

Nouveaux contes bleus - Édouard Laboulaye


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      Le chef des gardes courut après l'insolent; mais ses compagnons l'arrêtèrent.

      —Fi! lui dirent-ils, on égorge le louveteau après le loup, mais on ne tue pas un fou; quel mal peut-il faire?

      Et Briam se sauva, en chantant et en dansant.

      Le soir, le roi eut le plaisir de caresser Bukolla et ne trouva point qu'il l'eût payée trop cher. Mais, dans la pauvre chaumière, une vieille femme en pleurs demandait justice à Dieu. Le caprice d'un prince lui avait enlevé en une heure son mari et ses six enfants. De tout ce qu'elle avait aimé, de tout ce qui la faisait vivre, il ne lui restait plus qu'un misérable idiot.

      II

      Bientôt, à vingt lieues à la ronde, on ne parla plus que de Briam et de ses extravagances. Un jour il voulait mettre un clou à la roue du soleil, le lendemain il jetait en l'air son bonnet pour en coiffer la lune.

      Le roi, qui avait de l'ambition, voulut avoir un fou à sa cour, pour ressembler de loin aux grands princes du continent. On fit venir Briam, on lui mit un bel habit de toutes couleurs. Une jambe bleue, une jambe rouge, une manche verte, une manche jaune, un plastron orange; c'est dans ce costume de perroquet que Briam fut chargé d'amuser l'ennui des courtisans. Caressé quelquefois et plus souvent battu, le pauvre insensé souffrait tout sans se plaindre. Il passait des heures entières à causer avec les oiseaux ou à suivre l'enterrement d'une fourmi. S'il ouvrait la bouche, c'était pour dire quelque sottise: grand sujet de joie pour ceux qui n'en souffraient pas.

      Un jour qu'on allait servir le dîner, le chef des gardes entra dans la cuisine du château. Briam, armé d'un couperet, hachait des fanes de carottes en guise de persil. La vue de ce couteau fit peur au meurtrier; le soupçon lui vint au coeur.

      —Briam, dit-il, où est ta mère?

      —Ma mère? répondit l'idiot; elle est là qui bout. Et du doigt il indiqua un énorme pot-au-feu, où cuisait, en olla podrida, tout le dîner royal.

      —Sotte bête! dit le chef des gardes en montrant la marmite, ouvre les yeux: qu'est-ce que cela?

      —C'est ma mère! c'est celle qui me nourrit! cria Briam. Et, jetant son couperet, il sauta sur le fourneau, prit dans ses bras le pot-au-feu tout noir de fumée, et se sauva dans les bois. On courut après lui; peine perdue. Quand on l'attrapa, tout était brisé, renversé, gâté. Ce soir-là, le roi dîna d'un morceau de pain; sa seule consolation fut de faire fouetter Briam par les marmitons du château.

      Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière et conta à sa mère ce qui lui était arrivé.

      —Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.

      —Que fallait-il dire, ma mère?

      —Mon fils, il fallait dire: Voici la marmite que chaque jour emplit la générosité du roi.

      —Bien, ma mère, je le dirai demain.

      Le lendemain, la cour était réunie. Le roi causait avec son majordome. C'était un beau seigneur, fort expert en bonne chère, gros, gras et rieur. Il avait une grosse tête chauve, un gros cou, un ventre si énorme qu'il ne pouvait croiser les bras, et deux petites jambes qui soutenaient à grand'peine ce vaste édifice.

      Tandis que le majordome parlait au roi, Briam lui frappa hardiment sur le ventre:

      —Voici, dit-il, la marmite que tous les jours emplit la générosité du roi.

      S'il fut battu, il n'est pas besoin de le dire; le roi était furieux, la cour aussi; mais, le soir, dans tout le château, on se répétait à l'oreille que les fous, sans le savoir, disent quelquefois de bonnes vérités.

      Quand Briam, tout écloppé, rentra dans sa chaumière, il conta à sa mère ce qui lui était arrivé.

      —Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.

      —Que fallait-il dire, ma mère?

      —Mon fils, il fallait dire: Voici le plus aimable et le plus fidèle des courtisans.

      —Bien, ma mère, je le dirai demain.

      Le lendemain, le roi tenait un grand lever, et, tandis que ministres, officiers, chambellans, beaux messieurs et belles dames se disputaient son sourire, il agaçait une grosse chienne épagneule qui lui arrachait des mains un gâteau.

      Briam alla s'asseoir aux pieds du roi, et, prenant par la peau du cou le chien qui hurlait en faisant une horrible grimace:

      —Voici, cria-t-il, le plus aimable et le plus fidèle des courtisans.

      Cette folie fit sourire le roi; aussitôt les courtisans rirent à gorge déployée; ce fut à qui montrerait ses dents. Mais, dès que le roi fut sorti, une pluie de coups de pieds et de coups de poings tomba sur le pauvre Briam, qui eut grand'peine à se tirer de l'orage.

      Quand il eut raconté à sa mère ce qui lui était arrivé:

      —Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.

      —Que fallait-il dire, ma mère?

      —Mon fils, il fallait dire: Voici celle qui mangerait tout si on la laissait faire.

      —Bien, ma mère, je le dirai demain.

      Le lendemain était jour de fête, la reine parut au salon dans ses plus beaux atours. Elle était couverte de velours, de dentelles, de bijoux; son collier seul valait l'impôt de vingt villages. Chacun admirait tant d'éclat.

      —Voici, cria Briam, celle qui mangerait tout, si on la laissait faire.

      C'en était fait de l'insolent si la reine n'eût pris sa défense.

      —Pauvre fou, lui dit-elle, va-t'en, qu'on ne te fasse pas de mal. Si tu savais combien ces bijoux me pèsent, tu ne me reprocherais pas de les porter.

      Quand Briam rentra dans sa chaumière, il conta à sa mère ce qui lui était arrivé.

      —Mon fils, mon fils, dit la pauvre femme, ce n'est pas ainsi qu'il fallait parler.

      —Que fallait-il dire, ma mère?

      —Mon fils, il fallait dire: Voici l'amour et l'orgueil du roi.

      —Bien, ma mère, je le dirai demain.

      Le lendemain, le roi allait à la chasse. On lui amena sa jument favorite; il était en selle et disait négligemment adieu à la reine, quand Briam se mit à frapper le cheval à l'épaule:

      —Voici, cria-t-il, l'amour et l'orgueil du roi.

      Le prince regarda Briam de travers; sur quoi le fou se sauva à toutes jambes. Il commençait à sentir de loin l'odeur des coups de bâton.

      En le voyant rentrer tout haletant:

      —Mon fils, dit la pauvre mère, ne retourne pas au château; ils te tueront.

      —Patience, ma mère; on ne sait ni qui meurt ni qui vit.

      —Hélas! reprit la mère en pleurant, ton père est heureux d'être mort; il ne voit ni ta honte ni la mienne.

      —Patience, ma mère; les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

      III

      Il y avait déjà près de trois mois que le père de Briam reposait dans la tombe, au milieu de ses six enfants, quand le roi donna un grand festin aux principaux officiers de la cour. A sa droite il avait le chef des gardes, à sa gauche était le gros majordome. La table était couverte de fruits, de fleurs et de lumières; on buvait dans des calices d'or les vins les plus exquis. Les têtes s'échauffaient, on parlait haut, et déjà plus d'une querelle avait commencé. Briam, plus fou que jamais, versait le vin à la ronde et ne laissait pas un verre


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