Nouveaux contes bleus. Édouard Laboulaye

Nouveaux contes bleus - Édouard Laboulaye


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      —Hélas! mon Père, vous avez bien raison; la défense du roi est une suprême injustice. Mais, quand je voudrais sortir, les gardes s'y opposeraient. N'ayez pas l'air étonné; voilà de quelle façon le roi me traite dans ses caprices. Je suis la plus malheureuse des femmes.

      —J'en ai le coeur navré, dit le capucin. Quelle tyrannie! Quelle barbarie! Pauvre femme! Eh bien! non, Madame, vous ne devez pas céder à de pareilles exigences; votre devoir est de faire votre volonté.

      —Et le moyen? dit la reine.

      —Il en est un si vous avez le sentiment de vos droits. Entrez dans ce sac; je vous ferai sortir du château, au risque de ma vie. Et dans cinquante ans quand vous serez aussi belle et aussi fraîche qu'aujourd'hui, vous vous applaudirez encore d'avoir bravé votre tyran.

      —Soit! dit la reine, mais ce n'est point un piège que l'on me tend?

      —Madame, dit le saint homme en levant les bras et en se frappant la poitrine, aussi vrai que je suis un moine, vous n'avez rien à craindre de ce côté. D'ailleurs, tant que ce malheureux sera près de vous, j'y resterai.

      —Et vous me ramènerez au château?

      —Je le jure.

      —Et avec le secret? ajouta la reine.

      —Avec le secret, reprit le moine. Mais, enfin, si Votre Majesté a quelque scrupule, restons-en là, et que la recette meure avec celui qui l'a trouvée, s'il n'aime mieux la donner à quelque femme plus confiante.

      Pour toute réponse, la reine entra bravement dans le sac; le capucin tira les cordons, chargea le fardeau sur son épaule et traversa la cour à pas comptés.

      Chemin faisant, il rencontra le roi, qui faisait sa ronde.

      —La quête est bonne, à ce que je vois? dit le prince.

      —Sire, répondit le moine, la charité de Votre Majesté est inépuisable; je crains d'en avoir abusé. Peut-être ferais-je mieux de laisser ici ce sac et ce qu'il contient.

      —Non, non, dit le roi. Emportez tout, mon Père, et bon débarras! Je n'imagine pas que tout ce que vous avez là-dedans vaille grand'chose. Vous ferez un maigre festin.

      —Je souhaite à Votre Majesté de souper d'aussi bon appétit, reprit le moine d'un ton paterne, et il s'éloigna en marmottant des paroles qu'on n'entendit pas, quelques oremus, sans doute.

      La cloche sonna le souper; le roi entra dans la salle en se frottant les mains. Il était content de lui et il espérait se venger, double raison pour avoir grand appétit.

      —La reine n'est pas descendue? dit-il d'une voix ironique; cela ne m'étonne guère. L'inexactitude est la vertu des femmes.

      Il allait se mettre à table, quand trois soldats, croisant la hallebarde, poussèrent dans la salle le petit homme gris.

      —Sire, dit un des gardes, ce drôle a eu l'audace d'entrer dans la cour du château, malgré la défense royale. Nous l'aurions pendu de suite pour ne pas troubler le souper de Votre Majesté, mais il prétend qu'il a un message de la reine, et qu'il est porteur d'un secret d'État.

      —La reine! s'écria le roi tout ébahi, où est-elle? Misérable, qu'en as-tu fait?

      —Je l'ai volée, dit froidement le petit homme.

      —Et comment cela? dit le roi.

      —Sire, le capucin qui avait un si gros sac sur le dos et à qui Votre

       Majesté a daigné dire: «Emporte tout, et bon débarras!…»

      —C'était toi! dit le prince; mais alors, misérable, il n'y a plus de sûreté pour moi. Un de ces jours tu me prendras, moi et mon royaume par-dessus le marché.

      —Sire, je viens vous demander davantage.

      —Tu me fais peur, dit le roi. Qui donc es-tu? Un sorcier ou le diable en personne?

      —Non, sire, je suis simplement le prince de Holar. Vous avez une fille à marier, je venais vous demander sa main, quand le mauvais temps m'a forcé de me réfugier, avec mon grand-écuyer, chez le curé de Skalholt. C'est là que le hasard a jeté sur ma route un paysan imbécile et m'a fait jouer le rôle que vous savez. Du reste, tout ce que j'ai fait n'a été que pour obéir et plaire à Votre Majesté.

      —Fort bien! dit le roi. Je comprends, ou plutôt je ne comprends pas; il n'importe! Prince de Holar, j'aime mieux vous avoir pour gendre que pour voisin. Dès que la reine sera venue…

      —Sire, elle est ici. Mon grand-écuyer s'est chargé de la reconduire en son palais.

      La reine entra bientôt, un peu confuse de sa simplicité, mais aisément consolée en songeant qu'elle avait pour gendre un si habile homme.

      —Et le fameux secret, dit-elle tout bas au prince de Holar, vous me le devez?

      —Le secret d'être toujours belle, dit le prince, c'est d'être toujours aimée.

      —Et le moyen d'être toujours aimée? demanda la reine.

      —C'est d'être bonne et simple, et de faire la volonté de son mari.

      —Il ose dire qu'il est sorcier! s'écria la reine indignée en levant les bras au ciel.

      —Finissons ces mystères, dit le roi, qui déjà prenait peur. Prince de Holar, quand vous serez notre gendre, vous aurez plus de temps que vous ne voudrez pour causer avec votre belle-mère. Le souper se refroidit: à table! Donnons toute la soirée au plaisir; amusez-vous, mon gendre, demain vous serez marié.

      A ce mot, qu'il trouva piquant, le roi regarde la reine; mais elle fit une telle mine qu'à l'instant même il se frotta le menton et admira les mouches qui volaient au plafond.

      Ici finissent les aventures du prince de Holar; les jours heureux n'ont pas d'histoire. Nous savons cependant qu'il succéda à son beau-père et qu'il fut un grand roi. Un peu menteur, un peu voleur, audacieux et rusé, il avait les vertus d'un conquérant. Il prit à ses voisins plus de mille arpents de neige, qu'il perdit et reconquit trois fois en sacrifiant six armées. Aussi son nom figure-t-il glorieusement dans les célèbres annales de Skalholt et de Holar. C'est à ces monuments fameux que nous renvoyons le lecteur.

      III

      Encore une petite histoire pour mon neveu le collégien, qui, d'une ardeur sans égale, se débat entre rosa et dominus, et croit qu'il serait moins difficile de faire marcher ensemble les rois d'Europe que d'accorder l'adjectif et le substantif, qui se gourment toujours, en genre, en nombre et en cas.

      IV

      LES DEUX EXORCISTES

      Au temps jadis, il y avait dans un petit village d'Islande un prêtre qui savait autant de latin qu'un poisson. Un jour qu'on lui apportait au baptême un enfant nouveau-né, au lieu de regarder dans son livre, il se mit à réciter de travers la formule de l'exorcisme.

      —Abi, dit-il, abi, male spirite.

      Mais le diable, qui a inventé la grammaire (grammaire et grimoire, c'est tout un), n'était pas d'humeur à se laisser chasser par un solécisme.

      —Pessime grammatice, s'écria-t-il à la grande terreur des assistants.

      Le prêtre, sentant qu'il s'était trompé et prenant son courage à deux mains, dit d'une voix tremblante:

      —Abi, male spiritu.

      A quoi le diable, qu'on ne prend pas en défaut, répondit:

      —Male prius, nunc pejus.

      Le prêtre, furieux, reprit: Abi, male spiritus.

      —Sic debuisti dicere prius, répondit le diable, et il sortit tranquillement.


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