Nach Paris! (Roman). Dumur Louis
le bourdonnement de leurs paroles indistinctes, firent longuement le tour des fronts au port d'arme. Chaque drapeau s'inclina silencieusement sur leur passage. Il n'y eut ni roulements de tambours, ni sifflements de fifres, ni claironnements de trompettes. La musique du régiment elle-même, groupée dans un angle, toute gonflée de ses bombardons, de ses trombones, de ses ophicléides, épauletée de ses nids d'hirondelles, avec son stabshoboïst, ses neuf musiciens sous-officiers et son tambour-maître armé de sa canne enrubannée à pomme d'argent, s'abstint de ses cadences habituelles et de ses glorieuses fanfares.
Leur promenade terminée, notre surprise ne fut pas moindre de voir les généraux s'engager mystérieusement dans l'escalier qui montait chez le colonel. Les majors et le capitaine Morgenstein les suivirent, après avoir commandé le repos aux troupes. Nous attendîmes longtemps. Descendus de leurs bêtes, les capitaines avaient pris place à leur tour sous la statue de Guillaume Ier et, tout en surveillant de l'œil leurs compagnies, discutaient gravement à voix basse. Les havresacs avaient été mis à terre et les faisceaux formés.
A sept heures, on commença à faire souper les hommes. On les envoyait compagnie par compagnie aux cuisines; chacune avait un quart d'heure pour manger. Pendant ce temps, les officiers gagnaient la cantine pour dépêcher un morceau.
La nuit tombait quand nous vîmes reparaître les généraux. Ils s'en allèrent aussi sobrement qu'ils étaient venus, et nous entendîmes le lointain ébrouement de leurs automobiles. Nous remarquâmes alors que notre colonel, qui les avait reconduits à l'entrée, arborait maintenant l'uniforme de guerre.
A dix heures, les voitures du train commencèrent à partir. Les premières furent celles du train régimentaire, comprenant les fourgons à bagages, les fourgons à vivres et la voiture d'outils; puis vint le train de combat, avec les voitures de munitions, les douze cuisines roulantes et la voiture médicale; toutes étaient à deux chevaux et sans lumières. La compagnie de mitrailleuses partit ensuite, avec ses six pièces portées sur roues, ses trois caissons, ses soixante chevaux et sa centaine d'hommes.
A minuit, le premier bataillon se forma en colonne de route et le major von Putz en prit la tête.
Nous vîmes la première compagnie disparaître dans le gouffre obscur de la grande porte; puis la seconde, puis la troisième puis la quatrième. Il était minuit vingt quand la dernière section eut été avalée par l'ombre.
A une heure, le capitaine Kaiserkopf monta à cheval. Le major von Nippenburg vint se placer à son côté et après avoir consulté sa montre, cria de sa voix de fausset:
—Rechts um! Das Gewehr... über!... Marsch!
—Marsch!... Marsch!... répétèrent les lieutenants.
Et nous nous trouvâmes noyés dans l'obscurité et dans l'air soudain plus pur de l'extérieur, tandis que retentissait derrière nous le «Gewehr... über... Marsch!... Marsch!» de la sixième compagnie du capitaine Tintenfass.
Par des rues désertes et à peine éclairées nous fûmes dirigés sur la gare de Neustadt. Les abords en étaient gardés par des sentinelles prises dans notre quatrième bataillon, qui restait au dépôt. Sur le quai d'embarquement, nous retrouvâmes, enveloppés dans leurs manteaux, le colonel von Steinitz et les généraux de l'après-midi. Le premier bataillon était déjà loin.
Un long train nous attendait. J'espérais pouvoir m'installer en première classe avec les officiers, mais j'étais toujours de service et je dus monter en troisième avec mes hommes. Les ordres étaient stricts: pas de cris, pas de chants, pas de lumières, et, sitôt le jour venu, tous stores baissés. Un peu après deux heures, le train s'ébranla, sans autre bruit que celui des essieux, sans autre apparat que le geste des officiers généraux restés sur le quai qui faisaient le salut militaire.
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