Nach Paris! (Roman). Dumur Louis

Nach Paris! (Roman) - Dumur Louis


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étonnement, il n'y eut pas de manœuvre, pas le moindre mouvement d'arme ou de marche. Assistés du premier-lieutenant Poppe et du vice-feldwebel Biertümpel, les deux officiers passèrent lentement le long de la ligne, s'arrêtant tous les quatre ou cinq pas pour vérifier un harnachement, soupeser un sac, tapoter une cartouchière, discutant longuement à voix basse sur un détail d'équipement, la ternissure d'un bouton ou la pression d'une courroie. C'était bien une revue, au sens précis du terme, et point du tout une parade. De temps en temps, ils faisaient sortir un homme du rang.

      —Oui, toi, le grand blond... Comment t'appelles-tu?

      —Bohnenstengel.

      —Au pas gymnastique trois fois le tour de la cour!

      Et quand l'homme revenait, rouge et suant, on se jetait sur lui pour le mesurer de droite et de gauche, de biais et d'équerre, et supputer l'équilibre de son ajustement.

      —Trois centimètres de déviation pour le sac, deux pour le ceinturon! annonçait Kaiserkopf.

      Ou bien, on lui faisait prendre plusieurs fois de suite la position de tir à genou, de tir accroupi, de tir couché; on lui donnait l'ordre de mettre le havresac à terre, de le déboucler, d'en extraire la boîte à graisse ou la brosse à dents, de le reboucler et de le réendosser, le tout aussi rapidement que possible. Le soldat s'y bousculait de toute son énergie.

      —Cinquante-quatre secondes! constatait alors, chronomètre en main, le capitaine Kaiserkopf.

      Le major hochait du menton et le premier-lieutenant Poppe relevait d'un doigt sa moustache.

      On termina par une inspection détaillée des sous-officiers et des quatre musiciens. Il était midi trente-cinq quand retentit le commandement libératoire: «Rompez!» Pour la première fois de ma vie militaire je n'avais entendu prononcer aucune punition.

      Je retrouvai à la cantine la société de la veille, beaucoup augmentée, car tout le monde était présent. Faute de place, plusieurs officiers mangeaient debout. Le major von Putz lui-même était là, ventripotent et très excité, car tandis que nous avions notre revue de compagnie dans la cour de l'intendance, il passait la revue de son bataillon dans la cour principale.

      —Superbe! criait-il. Quinze cent soixante-dix hommes! Je n'ai jamais vu un bataillon pareil. Il me semblait que j'étais général de brigade!

      Je m'informai des nouvelles. La matinée avait été si occupée que personne n'avait encore lu les journaux. Kœnig, qui en détenait un, le dévorait en même temps que son ragoût de porc, ou, pour parler comme Schimmel, son eingemachtes Schweinfleisch.

      —Rien, disait-il, rien de nouveau. L'Angleterre propose de régler le conflit dans une conférence. L'Italie veut une médiation des quatre puissances non intéressées: Italie, Grande-Bretagne, France et Allemagne. Vous verrez que tout cela finira en douceur.

      —Verdammter Schwindel! bougonna Schimmel, nos diplomates ne f..... donc rien?...

      En attendant que nos diplomates voulussent bien f... quelque chose, je fus charmé de voir paraître à mes yeux l'objet choyé d'une diplomatie princière, le baron Hildebrand von Waldkatzenbach en personne.

      —Ah! cher ami!... arriva-t-il vers moi la main tendue.

      Je dois expliquer que j'étais devenu son «cher ami» pour lui avoir prêté souventes fois de l'argent, ce dont je n'étais pas peu fier, et ces emprunts réitérés du noble Hildebrand à ma bourse étaient même, à ma connaissance, une des rares preuves d'intelligence qu'il eût jamais données.

      —Cher ami... khrr, khrr... je suis enchanté...

      Je dois ajouter en outre que ce cher ami ne pouvait prononcer trois paroles sans les interrompre d'une sorte de râclement de la gorge, très aristocratique sans doute, mais qui rappelait d'assez près le jurement d'un chat en colère. Ses quatre poils de moustache hérissés et ses yeux verts changeants achevaient de lui conférer sa ressemblance avec ce félin.

      —Je suis enchanté... khrr, khrr... de vous revoir. J'ai passé brillamment mon examen. Je viens d'entrer... khrr, khrr... avec mon grade dans la compagnie... khrr, khrr... du capitaine Tintenfass.

      —Très heureux... tous mes compliments, cher baron.

      —Savez-vous qu'on m'a promis... khrr, khrr... le porte épée pour dans quinze jours?

      —Vraiment?

      —Oui, cher ami, pour dans quinze jours... khrr, khrr... s'il y a la guerre.

      —Sapristi!... Et vous croyez à la guerre?

      —Si j'y crois... khrr, khrr!... J'ai des renseignements certains.

      —Ah! ah! voyons? s'écrièrent Kœnig et Schimmel intéressés.

      —Je tiens mes informations... khrr, khrr.. de haute source. La guerre éclatera... dans quatre jours. Elle nous sera déclarée... khrr, khrr.. par la Russie. Vingt-quatre heures après... khrr, khrr... nous envahissons la France.

      —Par où? demanda Schimmel.

      —C'est le secret... khrr... du grand État-major. Mais je consens... khrr, khrr... à le trahir pour vous. Sachez donc, meine Herren, que tandis que nous portons trois armées sur la frontière... nous en jetons quatre autres... khrr, khrr... sur la Suisse.

      —C'est impossible, déclara Kœnig.

      —Je sais ce que je dis... khrr khrr... affirma le baron Hildebrand von Waldkatzenbach. Quatre armées. Le Rhin franchi sur vingt points à la fois... khrr, khrr... nous bousculons les Helvètes... khrr, khrr... et les rejetons dans leurs montagnes. Le plateau est à nous. Zurich, Berne, Fribourg occupés... khrr... Lausanne emporté... khrr... Genève pulvérisé... khrr, khrr... Par toutes les passes, routes, vallées du Jura, nous débordons sur la France surprise... khrr, khrr... Besançon, Dijon, Lyon sont saisis... khrr... le Creusot, Bourges détruits... khrr... la France coupée en deux... khrr, khrr... Pendant que nous tenons la ligne de la Loire, l'armée de Metz rompt la digue de Verdun... khrr... Nous marchons sur Parie par l'est et par le sud. Nous dirigeons une armée sur Bordeaux... khrr... une autre sur Toulon... khrr... En deux mois, la France annihilée est réduite à se rendre... khrr, khrr... Nous l'occupons avec notre landwehr... khrr... et nous retournons l'active sur la Russie... khrr, khrr... Tel est, meine Herren, le plan du grand État-major... khrr, khrr, khrr...

      —Vous êtes fou! s'écria Kœnig qui avait suivi ce développement avec une impatience marquée. Tout ce beau plan pèche par la base. La Suisse est un pays neutre et l'Allemagne n'envahira pas un territoire dont la neutralité a été reconnue par l'Europe.

      Démonté par cette simple observation, le baron n'eut d'autre ressource que d'arguer de son ignorance.

      —Tiens, fit-il, la Suisse est neutre?... khrr, khrr... Vous me l'apprenez... khrr... On m'avait pourtant affirmé...

      —On vous en a conté, mon bon. La neutralité helvétique est inviolable et constitue pour nos armées un obstacle beaucoup plus infranchissable que celui des forteresses françaises. Nous ne pouvons passer par la Suisse.

      —Ce ne serait pourtant pas si bête, murmura Schimmel pensif.

      —Ce ne serait pas si bête évidemment, dit Kœnig, mais ce serait déloyal. Or, l'Allemagne ne peut faire une guerre déloyale. Notre force, c'est notre droit.

      —Que faites vous donc de la formule de Bismarck: la force prime le droit?

      —Jamais Bismarck n'a voulu dire que là où le droit existe, la force n'a pas à le respecter, répliqua Kœnig avec irritation. Bismarck entendait que là où le droit n'existe pas ou est contestable, la force le crée, ce que j'admets. Ainsi dans la question de l'Alsace-Lorraine...

      —La force était de notre côté, fit Schimmel.

      —Oui, reprit Kœnig. Mais le droit n'était pas du côté de la France. La France avait conquis l'Alsace-Lorraine par


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