Nach Paris! (Roman). Dumur Louis

Nach Paris! (Roman) - Dumur Louis


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de sous-officiers!...

      La cantine était pleine de jeunes officiers, quand nous y entrâmes. Quatre ou cinq capitaines seulement occupaient une table. J'allai immédiatement claquer des talons devant eux pour leur demander la permission de rester dans la salle, ce qui me fut accordé d'un signe de tête. Nous prîmes place, Kœnig et moi, en compagnie du lieutenant Schimmel et de l'ancien volontaire Max Helmuth, promu comme moi à la dignité d'aspirant. Je fus heureux de les retrouver. Schimmel était d'ailleurs beaucoup moins sympathique que Kœnig; il cultivait le genre schneidig; mais dans sa figure couturée, auprès de laquelle ma balafre ne devait paraître qu'une modeste écorchure, luisaient des yeux fauves qui ne manquaient pas d'intelligence.

      L'ordonnance servit la bière.

      —Prost!

      —Prost!

      —Prost!

      —Prost!

      —Nous sommes prêts, archi-prêts, déclarait Schimmel. Pourvu que cette fois-ci soit la bonne! Vont-ils se décider, à Berlin?

      Schimmel, qui avait fait des voyages d'espionnage en France, ne cachait pas son assurance.

      —Si je pouvais parler, dire seulement le quart de ce que je sais!... Vraiment, ce sera drôle!... Croyez-m'en, Kœnig. Et ce que je connais n'est qu'une parcelle, une minime parcelle de notre vaste organisation en pays ennemi.

      —La ligne de leurs forteresses est solide, observa Kœnig. Il faudra sans doute de grands sacrifices...

      —Les hommes sont là pour ça.

      —Et puis, monsieur le lieutenant, il y a les trouées, fit Helmuth qui se piquait de stratégie.

      —Oui, Charmes, Stenay... Quoi qu'il en soit, messieurs, soyez certains d'une chose, c'est que nous serons sous les forts de Paris avant que les Français aient achevé leur mobilisation. C'est même ce qu'il y a d'ennuyeux pour nous, ajouta-t-il: ce sera si vite fait que notre avancement risque d'en être singulièrement compromis.

      Un peu partout, me sembla-t-il, aux diverses tables, les conversations flottaient sur le même thème. Du roulis des voix, des verres et des fourchettes émergeaient des mots plus fortement prononcés: aéroplanes, poudres, calibres, canons de campagne, artillerie lourde, effectifs, coupoles, shrapnells, zeppelins. A la table des capitaines, où fumait une énorme choucroute, une orageuse discussion se déchaînait. Ailleurs déferlaient des rumeurs politiques, où les noms de Serbien et de Russland s'élevaient et revenaient sur des vagues de mépris ou de fureur. J'aperçus le joli lieutenant von Bückling brandissant avec agitation son monocle, tandis qu'en face de son buste corseté, le cinglant premier-lieutenant Poppe battait l'air dans une démonstration qui paraissait géométrique. L'incessante oscillation des têtes qui mangeaient ou se répondaient crêtait vivement le bleu foncé des tuniques et le rouge des cols, que rompait par endroits la note grise des uniformes de guerre arborés déjà par quelques lieutenants. Une forte odeur de charcuterie montait de toutes parts, pendant qu'entrait par les fenêtres ouvertes le sourd grondement de la caserne et que, du haut de sa place d'honneur, dans son pesant cadre doré, un grand portrait de Bismarck dominait de sa moustache énorme cette scène animée.

      —Avec tout ça, qu'allons-nous manger? demanda Kœnig en consultant le menu. Messieurs, on nous offre des côtelettes de porc à la sauce bordelaise, du bœuf à la mode, du ragoût de veau, du poulet chasseur, des tournedos portugaise...

      —C'est une honte, s'écria Schimmel à cette énumération, de voir combien de mots étrangers encombrent encore notre langue allemande. En cuisine, notamment, c'est un véritable scandale. Nous ne manquons pourtant pas d'excellents termes allemands pour remplacer tous ces intrus. Quand purgera-t-on nos menus de ces vocables français qui les déshonorent?

      —Vous avez raison, fit Kœnig en riant. Mais comment, par exemple, remplaceriez-vous le mot «Kotelett»?

      —Par le mot bien allemand de Rippe. Une côtelette de porc, c'est une Schweinsrippe.

      —Et la sauce bordelaise?

      —Rien de plus simple. La sauce bordelaise est une sauce au vin rouge. Nous dirons donc Rotweinsauce.

      —Ah! pardon, vous laissez le mot Sauce!

      —C'est juste. Alors Rotweintunke ou Rotweinbeiguss.

      —Bravo! applaudîmes-nous.

      —Et le bœuf à la mode? demanda Kœnig.

      —Le bœuf à la mode? Voyons... Que diriez-vous de Sauerbraten?

      —Ça va, mais c'est moins savoureux qu'en français. Comment vous en tirerez-vous maintenant avec le ragoût de veau?

      Schimmel réfléchit, plissa un instant sa figure ravagée puis accoucha:

      —Brauneingemachtes Kalbfleisch.

      —Un peu pénible, jugea Kœnig, mais on peut l'accepter.

      —Pour le poulet chasseur, continua Schimmel satisfait de son succès, je vous proposerai ceci: Huhn mit Edelpilzbeiguss. Voilà qui me semble réussi.

      —Réussi indiscutablement, approuva Helmuth.

      —Quant aux tournedos portugaise... portugaise... Ma foi, c'est plus difficile! avoua Schimmel embarrassé.

      Nous nous mîmes tous quatre à chercher. Le mot «portugaise» contenait tant de choses qu'il semblait presque intraduisible. Je suggérai cependant: Perlzwiebeln-und-Tomaten-Lendenschnittchen, et j'eus le plaisir de voir ma traduction adoptée à l'unanimité.

      —Et voilà, conclut Schimmel avec un geste tranchant, voilà à quoi nos Herren Professoren devraient bien s'occuper, au lieu de perdre leur temps à fatiguer nos jeunes gens par l'étude des racines grecques.

      —Fort bien, fit Kœnig en reprenant le menu qui avait passé de main en main, mais il s'agit pour le moment de décider ce que nous allons commander. Sera-ce des Schweinsrippen mit Rotweinbeiguss, du brauneingemachtes Kalbfleisch ou des Perlzwiebeln-und-Tomaten-Lendenschnittchen?

      —Pour moi, dit Schimmel, je prendrai simplement une bonne choucroute à l'allemande.

      —Moi aussi, dit Kœnig.

      —Moi de même, fit Helmuth.

      Je ne pus que me rallier à ce choix général, et bientôt une magnifique choucroute, abondamment garnie de saucisses de Francfort et de jambon de Westphalie, faisait rivaliser notre table avec celle des capitaines.

      —Oui, messieurs, reprit alors le lieutenant Schimmel, je vous disais qu'il nous faut souhaiter la guerre. Je ne m'occupe pas de politique, moins encore d'économie politique, et je suppose qu'à ces deux points de vue la guerre aussi ne pourra que nous valoir des avantages. Je ne me place qu'au point de vue militaire; mais là je sais bien une chose, c'est que jamais l'Allemagne n'a été plus prête; et j'en sais bien une autre, c'est que la France ne l'est pas. J'ignore ce qui se passe du côté russe; je ne connais de la Russie que ce qu'en dit le Militær Wochenblatt; mais Poppe, qui l'a pratiquée, déclare qu'elle est encore moins prête que la France. Alors, que risquons-nous?

      —Rien, c'est bien clair, dit Helmuth.

      —Plusieurs fois déjà, continua Schimmel sans cesser de mâcher sa choucroute, plusieurs fois nous avons laissé fuir l'occasion. Cinq, si je compte bien, depuis 1871. La dernière, c'était lors de l'affaire d'Agadir. Mais nous avions un point faible, qui était l'aviation.

      —Votre avis, demanda Kœnig, est que notre aviation est maintenant supérieure à l'aviation française?

      —Très supérieure.

      —Je parle des aéroplanes, non des dirigeables.

      —J'entends bien. Extrêmement supérieure. Ce n'est pas parce qu'ils exécutent des tours de clown


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