Nach Paris! (Roman). Dumur Louis
à la guerre européenne?
—J'y crois aussi.
—Cependant, notre gouvernement assure qu'il veut la paix.
—Il l'assure, sans doute. Il faut toujours assurer qu'on veut la paix. Mais je pense que c'est précisément pour avoir un bon motif d'intervention qu'il laisse François-Joseph donner tête baissée dans l'affaire balkanique. Vous comprenez que, si l'Allemagne voulait réellement la paix, notre empereur n'aurait qu'un mot à dire pour que tout rentre aussitôt dans l'ordre.
—Ce mot, l'empereur va peut-être le dire. Qui sait s'il ne rentre pas aujourd'hui à Berlin pour cela?
—Je ne le pense pas. L'Allemagne a tout intérêt à une guerre européenne. Jamais la situation ne nous aura été plus favorable: la Russie sans chemins de fer et perdue par ses grèves, la France plus qu'aux trois quarts pourrie, incapable d'un effort militaire, l'Angleterre en proie à la guerre civile et devant forcément rester neutre.
—C'est juste. Mais si la situation nous est si favorable, ne pensez-vous pas, monsieur le juge de district, qu'aucun pays n'osera nous attaquer? Il faudrait donc que ce soit l'Allemagne qui prenne l'offensive? Assumerait-elle la responsabilité de déclarer la guerre?
—Pourquoi pas? Je ne vois pas pourquoi l'Allemagne ne déclarerait pas la guerre, si c'est nécessaire. Offensive, défensive, tout cela ne signifie rien, Herr Wilfrid. En réalité, on se défend toujours, même quand on attaque. Or, nous nous sentons attaqués, parce qu'on ne nous laisse pas faire ce que nous voulons. En attaquant à notre tour, nous ne faisons donc que nous défendre. Il n'y a pas un Allemand qui ne comprenne cela.
—Vous vouiez dire que, de quelque façon que la guerre s'engage, cette guerre ne sera jamais pour nous qu'une guerre défensive?
—C'est exactement ce que je veux dire. Tenez, les socialistes eux-mêmes... Je vois que vous venez de lire cette peste de Vorwærts, fit-il en posant son gros index poilu sur la feuille socialiste... Eh bien, les socialistes eux-mêmes finiront aussi par le comprendre.
Et comme j'avais un geste d'incrédulité:
—Vous verrez, affirma-t-il.
Puis, après avoir allumé un cigare et fait renouveler son litre, le juge de district Obercassel continua:
—C'est maintenant qu'il nous faut agir. Dans quelques années, il serait trop tard. Nous avons besoin de nous étendre, de briser autour de nous des résistances qui pourraient devenir trop fortes. Il nous faut les ports du nord, les mines de fer et les colonies françaises. Il nous faut la Vistule et la mainmise sur la Baltique. Il nous faut l'accès de la Méditerranée et la domination surtout l'empire ottoman. Voilà pour commencer. Dans vingt ans, ce sera le tour de l'Angleterre. Dans cinquante ans, les États-Unis seront allemands, le Brésil de même; le canal de Panama nous appartiendra et nous pourrons alors nous occuper sérieusement de la Chine.
—C'est magnifique! m'écriai-je enthousiasmé.
—Nous ne verrons pas tout cela. Vous peut-être, pas moi. Mais je suis modeste, je mécontenterai d'assister à la première partie de cette colossale trilogie.
Il prononçait tout cela tranquillement, l'œil doucement émerillonné, en ingurgitant à petits coups sa bière blonde.
—Mais j'y songe, fit-il, vous êtes mobilisable, Herr Wilfrid. Vous n'avez encore rien reçu?
J'hésitais à répondre. Mais je voulus maintenir le secret.
—Non, dis-je en rougissant.
—Cela m'étonne, car chez nous l'artillerie et les pionniers sont déjà partis.
—Quand?
—Il y a trois jours. Ils doivent être bien loin maintenant.
—Vous les avez vus?
—Non. Peu de gens les ont vus. Ils sont partis de nuit. Le 26e régiment d'infanterie est également parti, mais la nuit dernière seulement. Il s'est embarqué à la gare de Neustadt.
—Et le 183e?
—Le 183e, on ne le voit pas non plus. Mais je crois qu'il est encore ici. Il doit être consigné dans sa caserne. Est-ce au 183e que vous êtes incorporé?
—Pour le moment, oui. Mais je serai peut-être affecté à son régiment de réserve.
—C'est probable. Vous êtes sous-officier maintenant?
—J'ai été libéré avec ce grade, mais je ne sais si on me le conserverait dans une campagne.
—Oh! certainement. On n'a jamais trop de sous-officiers. Et, si la chance vous favorise, vous ne serez pas longtemps sans avoir le porte-épée. Il y aura vite des trous à combler, expliqua-t-il placidement.
Ceci me rappela la caserne. Je tirai ma montre. Il était cinq heures et demie.
Je réglai ma consommation et, prétextant un train à prendre, je laissai le juge Obercassel dans la salle enfumée du Franziskaner.
—Mes amitiés chez vous, me cria-t-il encore... et bonne chance!... Si vous allez en France, vous m'enverrez une carte postale timbrée de Paris!
La grosse horloge du corps de garde sonnait six heures, quand je fis mon entrée à la caserne. Une vie intense la remplissait du haut en bas. A tous les étages s'agitaient des gestes, s'activaient des silhouettes, à toutes les fenêtres s'astiquaient ou se brossaient des effets militaires. Sous la haute majuscule de leur lettre d'ordre, les multiples portes engouffraient on dégorgeaient un flot incessant d'uniformes. Un sourd remuement continu, sans éclat, sans vacarme, montait ou descendait de partout, coupé de brefs commandements ou du bruissement cadencé des pas. Sur tout un côté de la cour principale étaient alignés trois ou quatre cents hommes en calot rond et vareuse de coutil qui faisaient l'exercice sous les ordres d'un premier-lieutenant et d'une demi douzaine de sous officiers. Des cours annexes parvenaient des odeurs d'écurie, de piscine, de cordonnerie et de soupe au lard.
J'aperçus tout d'abord le lieutenant Kœnig, occupé à dénombrer un amoncellement de bagages à l'entrée du magasin de bataillon. Une liste à la main, il en vérifiait le compte, pendant que deux soldats du train rangeaient les colis et les classaient sous ses yeux. J'allai aussitôt à lui.
—Tiens, Hering! Wie geht's, bester Freund?
—Fort bien. Un peu ahuri seulement par tous ces événements.
—Hein! Qui nous aurait dit aux dernières manœuvres...
—Alors quoi? Nous partons?
—Nous partons. Mais quand, das weiss ich nicht. Le colonel reste mystérieux. Quand avez vous reçu votre ordre?
—Avant-hier.
—Parfait. Avez-vous vu le capitaine?
—Pas encore. J'arrive.
—Eh bien, montez vous mettre en tenue. Je vous rejoindrai dans une demi-heure. Nous irons ensemble. Vous verrez, mon cher, un homme extraordinaire.
—Qui ça, Braumüller?
—Mais non, Kaiserkopf... le capitaine Kaiserkopf. Puis, voyant mon étonnement:
—C'est juste, vous ne savez pas... Braumüller est parti avec l'active.
—Le régiment n'est plus ici?
—Non. Nous autres, nous sommes affectés au cadre de réserve. Nous avons un nouveau capitaine, et c'est le capitaine Kaiserkopf.
—Kaiserkopf..., répétai-je, comme pour me graver dans la tête ces syllabes sonores.
—Vous verrez. C'est un homme... je ne sais pas s'il vous plaira... c'est un homme extraordinaire... Il vient de Torgau.
—Qu'a-t-il de si extraordinaire?
—Vous